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Les trois cavaliers avançaient au pas pour ménager leurs montures.

Ils chevauchaient tous trois de front dans le sable brûlant, sous le soleil de plomb de ce désert tout à la fois si stérile et envoûtant. Londar et Tristar n’avaient aucun besoin de cartes : ils se dirigeaient au travers des dunes de sables rouges ou jaunes grâce au soleil et jamais ne s’égaraient.

Parfois, ils croisaient des carcasses desséchées où ne subsistait que les os blanchâtres, (pareille rencontre n’invitait pas à se perdre par ici).

Tristar estimait leur voyage à trois jours de cheval pour arriver au campement voisin. Il leur faudrait traverser la partie orientale du désert de Sarthak, renommé pour sa chaleur intense la journée et pour la froideur de ses nuits.

Les trois aventuriers trottaient lentement, continuant de se découvrir au fil du passage du soleil dans le ciel. Ils échangeaient des histoires de conquêtes guerrières où des femmes, toujours plus belles les unes que les autres, finissaient toujours par embrasser amoureusement les héros.

Nandrag, pérorant dans son beau tour de tête de tissu noir confectionné par la dame de Londar, écoutait ses deux compagnons. Il s’instruisait de la culture du Peuple des Sables qui était l’un des derniers peuples indigènes à ne pas admettre la suprématie du royaume d’All’Kaar et surtout du roi Gerdrik. Ce qui signifiait une position dissidente qui occasionnait bien des malheurs à Londar et Tristar, ainsi qu’à leurs congénères.

La dernière attaque en date aurait pu engendrer l’extinction du clan si tous les enfants et les femmes avaient été exterminés. Heureusement, le guerrier sans mémoire avait repoussé l’échéance en s’interposant avec sa puissante épée et son sens hors norme du combat.

Le roi n’en resterait sûrement pas là ; il était plus que probable qu’il enverrait d’autres détachements pour prendre par surprise les Nomades afin de les détruire.

La pénombre tomba presque sans prévenir et les trois hommes se préparèrent donc à passer leur première nuit en plein désert.

Ils n’avaient pas de guitounes, seulement des couvertures épaisses étudiées pour se protéger du froid nocturne. La température pouvait se révéler très basse, concrètement dangereuse pour celui qui n’avait pas le bon équipement.

Ils firent un feu puis mangèrent des rations de voyage à base de viande séchée et de graines de Deshnet, sortes de pois chiche qu’ils consommèrent en soupe. Les trois hommes avaient même du vin aux épices pour accompagner leurs repas, ils s’en servirent quelques timbales, ce qui facilita cette première soirée à la belle étoile.

Nandrag apprit que Tristar longues jambes, ce grand et mince chasseur aux longs cheveux blonds, aux yeux d’un profond gris acier était un sang mêlé.
Ces ancêtres du côté de sa mère étaient des « longues vies aux oreilles pointues ». Son père, qui fut un aventurier aguerri et indomptable pendant de longues années, rencontra bien des races autres que celles du Peuple des Sables. C’est comme cela qu’il tomba éperdument amoureux d’une jeune Elfe des bois avec qui il mena plusieurs campagnes de guerre au nord des royaumes civilisés.
Ils vécurent pour l’aventure et l’action, s’aimant sans tenir compte des mises en garde de leurs peuples respectifs, car il était plus que risqué de panacher les sangs et d’avoir des enfants bâtards. Ils n’écoutèrent que leur amour et eurent un enfant au sang mêlé qui était tout sauf faible et malingre.
Tristar prit le meilleur des deux races. Après avoir été un enfant intelligent, agile, endurant, il devint un adulte fort et méritant.
Les traits de son visage, à la fois fins et rudes, lui donnaient quelque chose de particulièrement unique. Par moment, Nandrag pouvait même admirer la forme étrange du lobe supérieur des oreilles du chasseur, comme taillées en pointes.

Ses parents repartirent dans les forêts du nord, lui resta avec le clan du Grand Ocre. Toutefois son goût pour l’aventure le menait souvent bien loin du camp.
C’est ainsi qu’il devint tout naturellement chasseur attitré du clan et, dans certaines occasions l’éclaireur en chef du Peuple des Sables.
  
Le jour se leva sur l’horizon orangé.
Le soleil réchauffa rapidement les trois hommes qui avaient quelque peu souffert du froid.
Ils rangèrent leur équipement pour la nuit avant de se mettre en route pour leur deuxième jour de voyage.

Londar expliqua que le clan qu’ils allaient visiter était un clan puissant, respecté parmi le Peuple des Sables.
Leur chef était un rude combattant réputé pour son sens de l’humour inexistant.
-- Vu ton jeune âge, il va être tenté de t’imposer son caractère plus que sérieux, alors tâche de rester calme si tu veux qu’il nous aide à trouver ce que nous sommes venus chercher, expliqua Londar.
Nandrag répondit par un signe de tête affirmatif.
-- Bah, quand nous lui aurons raconté ton haut fait d’armes face aux mercenaires du roi, je ne crois pas qu’il se montrera irrévérencieux, déclara Tristar avec un sourire charmeur sur son beau visage ambré.

Un nouveau soleil s’était levé sur le troisième jour de trajet.
Ils avaient rapidement avalé une collation avant de se remettre en route, toujours à petite allure pour ne pas trop épuiser leurs montures.
Le trio continua à trotter dans le sable brûlant en échangeant toujours des propos légers, enjoués.

La journée passa lentement et lorsque le soleil commença à faiblir, ils arrivèrent en vue du village nomade.
Hélas, les trois compagnons purent immédiatement remarquer qu’il était advenu quelque chose de grave.
Une épaisse fumée noire s’élevait au dessus de ce qui avait été un campement immense.
Ils étaient encore à plusieurs centaines de coudées mais il paraissait évident que le camp était dépourvu de vie. Les pavillons étaient réduits à de sinistres tas de cendres, les formes sombres qu’ils distinguaient sur le sol ne pouvaient être que des corps trépassés.
Ils talonnèrent des deux, galopant sans se soucier d’un éventuel danger qui pourrait les attendre, dissimulé en ces ruines.

Arrivés à l’entrée du village des sables, ils sautèrent de cheval tout en sortant leurs épées. Les deux Nomades étaient bouleversés car les formes au sol étaient bel et bien des cadavres.
Certains étaient carbonisés, d’autres couverts de blessures béantes, souillés de sang coagulé.
Les hommes, les femmes, les enfants et les vieillards, même les animaux domestiques avaient été massacrés sans différence aucune.

Ici ne régnait plus que la mort, irréversible.

Soudain, un bras cauchemardesque se leva parmi les victimes de ce carnage.
Une plainte s’échappa de ce corps malingre, qui maintenant ressemblait à une pitoyable momie racornie et noircie.
Les trois hommes se précipitèrent vers ce survivant de l’enfer, s’agenouillant en toute hâte.

Londar posa son cimeterre à même le sable et poussa les corps qui recouvraient en partie ce qui était contre toute attente un petit garçon se trouvant entre la vie et la mort.
Il était brûlé sur tout le corps, saignant encore d’une estafilade au visage.
-- Que s’est-il passé ? demanda le guérisseur d’une voix douce.
-- Des soldats… Ils sont venus hier et nous ont massacré pendant la nuit…
-- Des mercenaires de Gerdrik ?
-- Oui…
-- Tristar, va chercher ma besace s’il te plaît, souffla Londar.
Le chasseur se leva et courut vers les chevaux qui étaient nerveux, comme avant un combat.
Tristar revint en tendant le sac de cuir souple à son ami. Londar en sortit une trousse, à l’intérieur, il y trouva une gourde.
Le guérisseur fit sauter le bouchon d’un pouce expert et fit boire une longue gorgée au petit supplicié.
Celui-ci avala avec difficulté cet épais breuvage et l’on put lire de la reconnaissance dans son regard.
Il semblait ne plus souffrir, il ferma ses petits yeux où l’innocence avait déserté pour l’éternité.
Il les rouvrit et, dans un effort inouï pour un si petit corps, déclara :
-- Vengez mon village et ma famille, vengez votre peuple avant de mourir… Ils nous ont pris par surprise, même Vilgar et ses puissants guerriers Atââr n’ont pu nous sauver !... Ils se sont bravement battus mais les soldats étaient trop nombreux, trop lourdement armés…
Puis, l’enfant martyr se détendit et sembla s’endormir. Peu après, le petit bout d’homme expira son dernier souffle.
-- Maudit soit ce chien de Gerdrik ! persifla Tristar dont les yeux étaient remplis de larmes.
-- Nous devons retourner au camp pour avertir les nôtres, décréta Londar en regardant Nandrag.
-- Il faut partir tout de suite et ne pas s’arrêter pour la nuit, renchérit Tristar.
-- Je suis avec vous mes amis ! conclut Nandrag.

Tantor l'âme de l'épée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant