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Seize longues journées passèrent avant que Nandrag n’émerge de sa profonde inconscience.
Les nombreux chirurgiens et apothicaires du roi apportèrent leur précieuse aide à Romus, qui détenait quelques antiques secrets de guérison cléricales des Nains.

L’annonce de la mort du roi Gerdrik avait eu des répercussions inattendues pour les alliés de Nandrag. Personne ne cria au régicide. En effet, la joie, l’allégresse se lisaient sur tous les visages des habitants de Tritiak. La crainte de l’inconnu valant mieux à leurs yeux que la continuité du règne de ce tyran avide d’or et de sang.
Partout dans l’immense cité, le vin et l’alcool coulèrent à flot, les auberges, les tavernes et les maisons closes ne désemplirent pas pendant plusieurs jours.

Ce furent les coups de langue baveux de Draxan qui ramenèrent Nandrag du pays des morts. Tristar était allé chercher le loup blanc, sachant que son ami avait besoin de tous ses compagnons pour se remettre au plus vite. Le jeune homme était à présent tout à fait éveillé, alité et bandé comme un rôti, mais bien vivant.
Kriddo, Tristar et Garrak n’avaient pas quitté son chevet, amis fidèles et inquiets quant à la guérison de leur frère d’armes.
-- Nandrag ! Enfin te revoilà parmi les vivants, tu nous as fait une sacré peur mon ami, explosa Kriddo, aux anges.
-- Kriddo a raison. Nous étions si inquiets que nous sommes restés à tes cotés pour tenter de te donner de notre énergie vitale, ajouta Tristar, lui aussi souriant de toute son âme.
Garrak se tenait en retrait, encore dévasté par la perte de sa famille, mais on pouvait quand même lire de la gratitude dans ses yeux, envers les Dieux sur l’amélioration de l’état de son récent et loyal compagnon.
Un page sortit de la chambre royale.

Quelques courts instants plus tard, plusieurs personnes entrèrent dans la pièce en grande pompe. Après tout, Nandrag se voyait être l’héritier direct, par le sang, au trône d’All’Kaar.
Un Gilpatrik requinqué faisait partie de ce groupe de conseillers du royaume. Il s’approcha respectueusement de la couche du blessé en déclarant :
-- Altesse, nous sommes si heureux de vous voir vous rétablir ! Nous vous sommes dévoués, sachez-le.
-- Pourquoi m’appelez vous altesse ? questionna Nandrag en grimaçant, car sa blessure au poitrail le tiraillait.
-- Parce que vous êtes Kendrik, deuxième fils de Rodrik et en tant que tel vous succéderez à votre frère selon la loi de notre royaume depuis plus de six cents ans.
-- Je ne sais rien au sujet de ce Kendrik, mis à part les explications de celui qui était soit disant mon frère !
-- Monseigneur, vous êtes Kendrik…
-- Je suis Nandrag ! aboya le jeune blessé.
-- Altesse, puis-je me permettre de rectifier certaines incorrections ? demanda Gilpatrik.
-- Allez-y, je vous écoute.
-- Votre frère n’a pas tué votre père avant de vous faire disparaître alors que vous n’étiez encore qu’un jeune enfant. La vérité est qu’il vous a d’abord fait disparaître, en maquillant une morsure de serpent, pour faire souffrir son père, le roi Rodrik, expliqua le chambellan.
-- Continuez je vous prie, encouragea Nandrag.
-- Gerdrik s’est dans un premier temps délecté de la douleur dans laquelle s’est échoué son père, votre père. Il m’est arrivé plus d’une fois d’intercepter des regards inquiétants chez le jeune prince qu’il était. Puis, il s’est sans doute lassé de ce spectacle et a décidé de prendre la place de son géniteur plus vite que prévu. Il l’a donc assassiné, de sa main ou de celle d’un tiers je l’ignore, mais le résultat fut sans appel. Votre père vous préférait à Gerdrik, nul ne peut nier cela, mais votre comportement était tellement plus noble et affectueux que celui de votre aîné, que ceci n’était que justice selon moi. Toutefois, il en prit fortement ombrage, fomentant ce complot indigne et cruel.
-- Et vous, qui étiez vous au sein de la cour de Rodrik ?
-- Son fidèle chambellan, conseiller et ami, je dois le reconnaître. Votre père était un excellent roi, de l’avis de tous et de toutes, l’un des meilleurs que le royaume est enfanté, et je vois en vous son juste reflet.
-- Et bien, enfin une bonne nouvelle. Mon frère était un monstre, à qui bien des pauvres gens doivent leurs trépas, mais mon père était un homme bon, si je vous écoute. Je ne suis donc pas le rejeton d’une lignée totalement démoniaque, plaisanta Nandrag en lorgnant ses amis, sidérés par de telles révélations.
-- Je crois que rejeton ne sied guère au fils d’un roi mon ami, déclara Tristar, d’une voix guindée et légère.
-- Ouais, et bien ça ne l’empêche pas de rester notre fidèle Nandrag, contra Kriddo en rigolant.
Le chambellan Gilpatrik, les conseillers et ministres eurent un rire pincé qui déclencha un tonnerre d’hilarité parmi les Nomades, peu habitués à pareille étiquette.
-- Je dois ajouter que vous me considériez comme un de vos plus fidèles précepteurs lorsque vous étiez un jeune enfant, avant toute cette déferlante de haine et de noire sorcellerie.
-- Je suis désolé mais je n’ai aucun souvenir de cela, lâcha Nandrag, d’un air triste.
-- Cela ne fait rien, nous aurons sûrement l’occasion de rattraper le temps perdu. Alors seigneur Kendrik, acceptez-vous que je vous nomme altesse ? demanda Gilpatrik, bienveillant.
-- Laissez moi réfléchir quelques jours. Il me reste des choses à accomplir, des choses personnelles. Mais dans tous les cas, je suis et resterai Nandrag ! Tous les autres noms que j’ai porté, sans m’en souvenir, ne m’ont offert que souffrance et douleur, alors je vous le redis, nommez moi Nandrag, chambellan Gilpatrik, est-ce que c’est entendu ? dit-il d’une voix ferme et sans appel, sans en devenir autoritaire pour autant.
La voix d’un roi, qui sait d’instinct commander sans forcer sa nature.
-- Bien mon prince. Bientôt vous serez le roi Nandrag, proclama le vieil homme, opiniâtre.
-- Et attendez, je n’ai pas encore accepté cette responsabilité, coupa le jeune homme, faussement froissé.
-- Ceci est selon moi la meilleure preuve comme quoi vous méritez cet immense honneur et ce lourd fardeau. Qui d’autre que vous refuserait un titre de roi d’All’Kaar ? Prince Nandrag, vous êtes le digne fils de votre père, notre bien-aimé Rodrik.
-- Merci de ces gentilles paroles mon cher Gilpatrik, mais, appelez-moi Nandrag, tout court. Dites moi Gilpatrik, j’ai une question à vous poser.
-- Je vous écoute mon prince.
-- Qu’est-il advenu de l’épée de mon frère ? Pourquoi a-t-elle disparue de cette manière ?
-- Il est dit dans les Tablettes d’Ankaar qu’un guerrier légendaire, du nom de Turldrik, entra en guerre aux côtés des Dieux pour chasser les Géants de leurs terres. Les batailles furent titanesques, véritables bains de sang qui durèrent plus de dix années complètes. La victoire fut enfin remportée et les Géants tombèrent dans l’oubli. En gage de remerciements éternels, les Dieux consacrèrent Turldrik premier roi du royaume d’All’Kaar. De plus, chacun de ses descendants de sang recevraient à leur naissance un cadeau divin, une épée aux pouvoirs extraordinaires.
Nandrag et l’assemblée présente restaient silencieux, à l’écoute de ce conte enchanté.
-- Le lien entre l’acier et la main qui la manie se dissipe à l’instant exact de la mort du possesseur de ce bien divin. Ce qui est magie retourne à la magie, car rien de se perd, tout se transforme, altesse.
-- Voulez-vous dire que l’épée de mon…du roi Rodrik s’est aussi volatilisée de la sorte ?
-- Oui altesse, il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi, les tablettes le confirment explicitement.
-- Chambellan Gilpatrik, je vous remercie pour ces précisions historiques. Je me réjouis d’avance de tout ce que vous pourrez m’enseigner sur ma famille défunte. Maintenant mes amis, nous allons festoyer. Mon cher chambellan, faites livrer aux tavernes de Tritiak des tonneaux du meilleur cru de la cave royale, je veux que toutes et tous profitent des richesses du royaume. Ceci sera mon premier ordre en tant que prince héritier à la couronne d’All’Kaar.
-- Très bien Altesse ! Ce sera fait ! s’enflamma le chambellan, reprenant son service de premier conseiller.

Tantor l'âme de l'épée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant