Le sergent Garrak se dirigea vers l’écurie, attenante à l’établissement pour héler un palefrenier :
-- Bien le bonjour, pourrais-tu aller chercher ton maître je te prie ?
-- Le bonjour, qui dois-je annoncer ? demanda le tout jeune homme.
-- Dis lui que le sergent Garrak est ici.
-- Bien, j’y vais de ce pas.
Quelques instants plus tard, le jeune apprenti revint accompagné d’un homme d’age mûr, renfrogné, à la démarche volontaire. Lorsqu’il aperçut le sergent, ses yeux s’éclairèrent alors qu’un large sourire voilé envahit son visage.
-- Garrak, mon vieil ami, je suis si heureux de te revoir, annonça l’aubergiste.
-- J’en suis heureux aussi Ségur. Cela fait presque un an que je suis parti et je commençais à désespérer de pouvoir goûté à nouveau tes galettes au fromage.
Ils furent bientôt en pleine étreinte, réellement joyeux de se retrouver.
-- Voici mes compagnons. Aurais-tu assez de chambres pour nous tous ?
-- Bien sûr, il y aura toujours assez de chambres pour toi dans ma demeure. Venez messieurs, suivez-moi à l’intérieur, nous pourrons ainsi faire connaissance devant une bonne bouteille de vin d’Astar, invita Ségur avant de lancer des consignes strictes à son maréchal ferrant et autres palefreniers.
Ici, les chevaux des neuf compagnons seraient traités comme des princes.
Ils emboîtèrent le pas de Ségur et passèrent sous l’enseigne de son auberge, sorte de drapeau en fer forgé avec en son centre : « Le Canard Laqué » gravé en lettres d’or.
Ce nom amusa Kriddo, qui fit un signe à Nandrag pour lui montrer l’enseigne dont ce dernier n’avait eu cure.
-- Je n’ai jamais mangé de canard, déclara Kriddo, quel goût ça a d’après toi ?
-- Je ne sais pas. Celui du canard je suppose, répondit le jeune guerrier, en se gaussant du géant d’ébène.
Tristar et Garrak levèrent les yeux au ciel devant tant de puérilité, décidément, Kriddo resterait à jamais un grand enfant, s’amusant de tout ou presque.
Le groupe pénétra dans l’auberge, pratiquement vide du fait de l’heure matinale. Ils se dirigèrent vers l’arrière salle, lieu réservé aux clients de marque de l’établissement. Ségur passa derrière le long comptoir afin d’attraper deux bouteilles de vin qu’il posa sur un plateau. Ensuite il désigna les chopes à Garrak qui en saisit le nombre voulu.
Lorsqu’ils entrèrent dans la deuxième salle, les aventuriers remarquèrent d’emblée le degré supérieur, en terme de décoration, de cette confortable pièce. Tout d’abord, la cheminée était bien plus imposante, donnant une douce chaleur, (pas vraiment nécessaire à ce moment même car la température extérieure était plus qu’agréable). Ensuite, les meubles n’avaient rien en commun avec le mobilier basique de la première salle. Les boiseries de luxe, finement ciselés, provenaient à coups sûrs d’une manufacture de rare compétence. De couleurs bordeaux, les tissus voluptueux des tentures et des rideaux, à la coupe parfaite, aux brodures somptueuses, faisaient admirablement ressortir le blanc des murs de pierre.
-- Par Gayâ, ces meubles viennent du désert, s’exclama Tristar.
-- Mais non, mon bon monsieur, je les ai acheté sur le marché de Tritiak, il y a plus de six années, contra Ségur avec une certaine retenue dans ses propos.
-- Je ne conteste pas cela. Ce que je veux dire, c’est que mon peuple a fabriqué ces meubles. Kriddo, ne reconnais-tu point le style ?
-- Si, c’est vrai, tu as raison Tristar. Ces meubles sont des œuvres du grand Sarthak.
Ségur, ne sachant pas comment réagir, se tourna vers Garrak.
-- Ne t’inquiètes pas, mes amis viennent du grand désert de Sarthak et leur peuple est un peuple d’artisans. Tu as acheté leurs meubles sans savoir que quelques années plus tard, tu les aurais comme clients dans ton auberge. Buvons pour fêter cet heureux hasard mon ami, reprit le sergent.
L’aubergiste s’exécuta et bientôt les voyageurs levaient leurs chopes d’étain à la santé de leur rencontre et de leur entreprise.
Plus tard, Ségur leur fit visiter les chambres. Le Canard Laqué était une vaste auberge, mais ils n’auraient pas pour autant des chambres individuelles, car la propreté de ce lieu attirait toujours beaucoup de clients.
Deux douillettes chambrées avec quatre lits leur furent allouées. Le calme et le petit luxe de ces pièces leur donnèrent suffisamment de raison d’être satisfaits pour oublier ce petit inconvénient.
Mêmes les Nains, obligés de partager quatre lits pour cinq ne trouvèrent rien à redire. Il faut savoir que leur voyage les avait parfois entraîné dans des situations autrement pires.
Après avoir fait un brin de toilette, Garrak descendit retrouver Ségur. Il avait des questions à lui poser, certaines personnelles et pour le bien de tous, il était préférable qu’il y aille tout seul.
-- Ségur ?
-- Ah, tu es ici, souffla l’ex sergent du royaume.
-- Garrak ? Les chambres plaisent-elles à tes amis ?
Le soldat passa derrière le comptoir, vérifia que personne n’écoutait ou ne pouvait le faire avant de chuchoter :
-- Oui, ça va. Il faut que je te pose plusieurs questions qui risquent de te mettre en danger si tu y réponds. Alors, je ne t’en tiendrais pas rigueur si tu refuses, d’accord ?
-- Ma vie est déjà en sursit mon ami. Cette ville devient le repaire de tous les corbeaux de la terre et j’ai horreur de ces sales bêtes ! Poses tes questions, j’y répondrais, si je connais les réponses…Le sergent Garrak entra dans la chambre et les trois hommes ne purent s’empêcher de s’approcher de leur compagnon.
Celui-ci était défait, son visage était sombre, inanimé. Ses mains pendaient au bout de ses bras comme autant de franges inutiles.
-- Garrak, que se passe-t-il ? demanda Nandrag.
Ce dernier ne répondit pas. Il se contenta de se laisser choir sur un fauteuil. Il se prit la tête à deux mains et des larmes charnues coulèrent sur ses joues creusées, il semblait perdre toute l’eau de son corps par ses yeux fermés.
-- Garrak, réponds, que s’est-il passé ? insista le guerrier.
-- Mortes,…Elles sont mortes…
Garrak ne pouvait parler plus que cela. Ses mâchoires semblaient sur le point d’éclater tant ses muscles saillaient sous la tension nerveuse.
Nandrag dirigea un instant son regard orphelin sur ses amis du désert, circonspects.
-- Qui ? Qui sont mortes ?
Pas de réponse.
Puis, après un silence pesant.
-- Ma femme,… Ma fille !
Les trois hommes comprirent instantanément, Gerdrik ! Qui d’autre pouvait mettre un homme aimant dans un tel état de souffrance et de rage.
-- Le roi a fait…assassiné toutes les familles des soldats qui ne sont pas rentrés de leur…mission dans le désert. La mission qui…nous envoyaient vous exterminer, vous, les Nomades de Sarthak.
Nul reproche ne filtrait dans ces mots, juste une douleur profonde, mélangée à de la haine, une haine brûlante qui allait jaillir comme un geyser et ébouillanter tout son entourage. Il fallait l’aider à contrôler cette puissante force de destruction, sinon, elle consumerait son âme.
On frappa à la porte.
Durgo et ses amis entrèrent, les Nains furent informés de cette triste nouvelle.
-- Cet homme est pire qu’un Troll ! gronda Talin.
-- Les Trolls n’ont pas de conscience Talin ! À mon sens, cet homme est un Démon ! renchérit Durgo, penné pour l’ancien soldat.
-- Il se peut que le roi d’All’Kaar ait désormais totalement sombré dans la folie mes amis, il faut d’autant plus que nous le stoppions, déclara Nandrag.
-- Et comment vas-tu réussir cet exploit ? demanda Talin, perplexe.
-- Le plus dur sera de l’approcher, le reste, j’en fais mon affaire !
-- Devons-nous comprendre que tu projettes d’assassiner le roi d’All’Kaar ? questionna Durgo.
-- Cet homme aime faire couler le sang. Il est de plus, un excellent escrimeur, si je me fie à ce qu’on m’a raconté bien sûr, expliqua-t-il en regardant Tristar et Kriddo, je vais le provoquer et le forcer à me combattre en duel…
-- Nul ne peut défier un roi aussi facilement, tu seras mort avant de l’avoir provoqué ! coupa Durgo, mais nous, en tant qu’ambassade, nous pouvons t’aider à l’approcher suffisamment près pour que tu puisses tenter ta chance.
-- Et prendre le risque d’être assimilés à mon projet de destitution d’un roi par le fil de l’épée ?
-- Nous sommes prêts à prendre ce risque. Tout est mieux qu’un conflit ouvert entre vos armées et les nôtres, le nombre de morts serait bien trop élevé, intolérable. Non, notre meilleure chance est de vous suivre dans votre entreprise, nous sommes liés par cette quête mes amis, assura le Nain.
-- Quelle est ton plan pour pouvoir approcher Gerdrik ? demanda Tristar.
-- Nous sommes détenteurs d’une lettre de notre roi que nous devons lui remettre en personne, alors de toutes les façons, nous serons reçus par son altesse, expliqua-t-il, finissant sa phrase sur un ton sarcastique, ainsi nous allons te faire accéder à ce rendez-vous. Ensuite, ce sera à toi d’entrer en action Nandrag.
-- Ce plan me convient. De plus, si j’échoue, ce qui ne sera pas le cas, vous pourrez toujours clamer votre innocence en prétextant que vous ne connaissiez pas mes intentions réelles.
-- C’est plus que tiré par les cheveux, commenta Kriddo.
-- Tu as raison mon ami, mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, déclara Tristar longues jambes, aussi déterminé que peut l’être un rude chasseur courant aussi bien les forêts que les déserts les plus dangereux.
-- Hé, je n’ai pas dit que ce plan ne me plaisait pas ! contra le géant d’ébène, avec un sourire carnassier sur son visage couturé.
-- Bon, vous avez tous pris votre décision ? demanda Nandrag.
Tous opinèrent du chef, bien décidés à offrir leurs vies pour donner une autre alternative à ce monde en construction.
-- D’accord, alors dans ce cas nous passerons à l’action demain matin, car plus nous flânerons en ville, plus nous aurons de chance d’être repéré par les espions du roi, décréta le jeune guerrier à l’œil unique.
-- Ce qui est dit est dit, gronda Durgo, maintenant, descendons nous restaurer. Demain, le sort de bien des vies sera entre nos mains, alors il nous faut prendre des forces.
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Tantor l'âme de l'épée
FantasyUn guerrier laissé pour mort,sans nom et sans mémoire. Un peuple de nomades vivant dans un désert immense. Un roi cruel et sans pitié, avide de conquêtes. Des nains, des Elfes et des barbares. Et une épée, une épée de légendes servant le bien univer...