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Nandrag et ses compagnons étaient installés devant la cheminée tout en s’entretenant avec les Nains.
Lors du repas qui suivit le vidage de quelques bouteilles de somptueux vins d’Astar, (pays œnologue par excellence parmi tous les royaumes connus de cette planète) l’homme affublé de cette curieuse cape de dissimulation s’était évanoui comme par enchantement. Tout comme il était soudain apparu pour se mêler à la conversation, il s’était éclipsé sans qu’on ne le remarque, profitant sans doute du côté exubérant des Nains qui créaient un sacré remue ménage. Ce personnage plus qu’énigmatique était décidément fort talentueux en matière de discrétion, Nandrag et ses amis restèrent un moment perplexes. Mais, la quantité impressionnante de vin qu’ils avaient ingurgité, leur firent oublier leur méfiance et bientôt leurs pensées se concentrèrent sur ces nouveaux compagnons barbus plutôt bruyants et résistants à l’alcool.

A présent, il ne restait donc à leur table que les cinq Nains du Duergor. Après un moment de pur divertissement alcoolisé, la discussion prit une tournure plus sérieuse. Celui qui était apparemment le chef de groupe, le plus large et robuste des cinq, se renfrogna tout en jetant un regard alentour, pour s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne les écoutait. Satisfait, il déclara :
-- Nous vous devons la vérité car vous avez montré des signes évidents de sagesse, de compassion et de combativité en intervenant de la sorte. Je dois bien reconnaître, et mes compagnons pensent de même, que votre réaction à notre égard nous a touché. Vous vous souciiez réellement de notre sort, sachez que nous apprécions grandement cette attitude et nous vous en remercions humblement, joignant le geste à la parole, le Nain s’inclina tout en levant sa chope.
Le groupe de Nomades rendirent ce salut en levant eux aussi leurs chopes d’étain. Après quelques sourires timides, le Nain reprit la parole :
-- Nous ne sommes pas des forgerons, mais des émissaires de paix, ou plutôt des messagers de paix. Nous voyageons incognito pour observer les comportements de votre race à notre égard. Jusqu’à présent, nous n’avons eu que de bonnes réactions, l’incident de ce soir est le premier que nous déplorons sur vos terres.
-- Maître Nain ? Pourquoi cette enquête ? demanda Nandrag d’un air détaché.
Le rude messager des Monts Duergor soutint le regard de jade un instant, puis se tourna vers ses compatriotes, sembla échanger des informations avec ces derniers et enfin offrit un large sourire à Nandrag.
-- Messieurs, je crois qu’avant de continuer cette discussion, il serait plus judicieux de nous présenter mutuellement, qu’en dites-vous ?
-- Ce sera un plaisir pour nous, assura l’homme sans mémoire.
-- Alors dans ce cas, je me nomme Durgo, voici Limm et Galar, reprit-il en montrant deux de ses compagnons de droite, et voici Romus et ce jeune écorché à la langue bien pendue se nomme Talin, continua-t-il en faisant un geste vers sa gauche.
-- Enchanté, je suis Nandrag. Je vous présente mes amis, Tristar, Kriddo et Garrak, déclara-t-il en désignant chacun des trois hommes.
Les trois guerriers hochèrent de la tête pour signifier leurs respects et les cinq Nains firent de même. À présent, ils pourraient se parler ouvertement, sans se voir contraints d’utiliser des termes de politesse pour se nommer.
-- Durgo, puis-je savoir pourquoi vous menez cette enquête sur les habitants d’All’Kaar ? demanda à nouveau l’homme au bandeau noir.
-- Et bien, c’est tout là le problème que nous rencontrons. Votre roi a envoyé des soldats sur nos terres sans en demander l’autorisation. Il ne fait nul doute que cette intrusion a un rapport avec nos nombreux filons de minerais précieux. Alors notre roi, Dorgal, subodore une invasion éventuelle, voilà la raison de notre présence : déterminer l’agressivité de vos gens vis-à-vis de nous.
-- Quel rapport voyez-vous entre les ordres d’un roi et l’humeur de ses sujets à votre encontre ?
-- C’est bien là tout l’enjeu de ce voyage. Si votre roi bénéficie de l’appui de son peuple, la guerre ne peut être qu’inévitable, lâcha Durgo, triste.
-- Vous n’y pensez pas, rétorqua Tristar.
-- Notre roi est un bon roi, mais il est doté d’un caractère fier et dur. Certains de nos conseillers ont œuvré pour la paix à maintes reprises car les intrusions répétées de vos soldats l’ont mis dans des rages noires. S’il s’avérait que votre peuple soutient son souverain, alors Dorgal trouverait ainsi une légitime raison d’entrer en guerre. Il est né pour faire la guerre !.
-- Je vois, je peux comprendre, ajouta Nandrag, surtout face un homme tel que Gerdrik. Je suppose que vous connaissez les récits que l’on fait de sa cruauté et de sa folle ambition ?
-- Tout à fait et j’ai cru comprendre que vous n’approuviez pas cela, Nandrag ?
-- Oh non, je suis même son plus farouche opposant, avoua-t-il avant de regretter ses mots.
-- N’ayez crainte guerrier, nous œuvrons pour la même cause, la paix.
-- Durgo, nous nous rendons à Tritiak, capitale de Gerdrik car nous avons l’intention de demander des comptes à ce petit roi. Peut-être pourrions nous faire la route ensemble ?
-- Vous avez l’intention de provoquer le roi à vous quatre ? C’est bien cela que je dois comprendre ? demanda Durgo avec un sourire tendu sur son visage rubicond.
Devant les faciès décidés des quatre hommes, les Nains lâchèrent des jurons bien pesés, avant de féliciter un tel dévouement par des toasts énergiques.
-- Nous acceptons. Mais il va falloir nous raconter ce qui vous a mené à cet endroit avec ces intentions mes amis, encouragea le Nain en levant bien haut sa chope de vin d’Astar.
Ils passèrent le reste de la soirée à conter leurs aventures aux montagnards Duerguis. Ces derniers n’en croyaient pas leurs oreilles et encore le chapitre sur l’existence de Tantor leur fut épargné.

-- Vos chevaux sont magnifiques, complimenta Tristar.
-- En effet, nous les nommons poneys Duerguis. Nous en sommes très fiers, même s’ils sont un peu petits pour vos longues jambes, répondit Limm avec un sourire rustre.
-- Pourquoi sont-ils si courts sur pattes ? questionna Kriddo vraiment intéressé.
-- Je suppose que la nature fait ce qu’il faut. Dans les montagnes, il faut avoir un centre de gravité très bas pour ne pas trébucher où dévisser dans les nombreux précipices, en fait, ils sont tels que nous, trapus.
Limm était celui qui connaissait le plus les bêtes aux courtes pattes, logiquement d’ailleurs, car sa famille les élevaient depuis des générations. Ces poneys ne pourraient certes pas rivaliser dans un gallo sur une prairie avec les longues foulées des chevaux des hommes, mais sur les sentiers escarpés des montagnes du Duergor, ils se montreraient imbattables.
Les quatre Nomades étaient à présent vêtus du soir au matin des capes ainsi que des casques que Nandrag avaient achetés. De cette façon, ils pourraient se faire passer pour l’escorte des Nains afin de dissimuler en partie leurs visages et apparences. Un léger stratagème qui se révélerait surtout nécessaire pour Garrak et à n’en pas douter pour le jeune guerrier à l’œil unique, ex-assassin du royaume d’All’Kaar, (si on se référait aux souvenirs de Ladril, conseiller personnel du roi des Elfes).
Les neufs cavaliers avançaient au pas. Le paysage défilait, tantôt fait de champs de culture, tantôt fait de sous bois. Draxan suivait un peu à l’écart, se languissant de partager des instants de complicité avec son maître.
Ils s’arrêtèrent afin de prendre une petite collation, celle du milieu de la journée. Le groupe mit pied à terre et les cavaliers enlevèrent les selles de leurs montures. La chaleur de cette fin de printemps faisait transpirait les bêtes, elles pourraient donc s’aérer un peu tout en prenant du repos et du fourrage.
Les Nains firent profiter de leur fût de bière brassée et déballèrent également de la viande séchée. Cette nourriture primaire, rustique, était quand même de bonne qualité et les saveurs inconnues aux hommes de Kââydish.
Soudain, un des Nains, Talin en l’occurrence, se leva prestement en brandissant sa hache.
-- Tout doux mon ami, lança Nandrag, ce loup est mon compagnon, range donc ta hache.
-- Comment cela, ce loup est ton compagnon ? demanda Talin, suspicieux.
-- C’est mon ami.
Et pour confirmer cet aveu, Draxan se jeta sur le jeune homme. Le Loup se dressa sur ses solides membres postérieurs et à l’aide de ses grosses pattes avant, il s’agrippa au buste de son ami en lui léchant amoureusement les mains. Les cinq Nains n’en revenaient pas et leurs mimiques singulières firent éclater de rire notre bon Kriddo. Ces derniers ne prirent pas la mouche pour autant, obnubilés qu’ils étaient par ces débordements d’affection de la part d’un loup, gigantesque, selon leurs proportions, sur la personne de Nandrag.
-- Alors ça, c’est incroyable ! Par le cul de Dagoth, je n’ai jamais vu ou entendu de récit sur semblable spectacle, ce garçon a des talents cachés, par Taâr.
Les quatre autres compères de Talin opinèrent du chef, tout en lâchant des jurons fleuris dont seuls les Nains sont détenteurs.
Draxan et Nandrag jouaient ensemble comme deux jeunes fous. L’homme attrapait le loup de ses deux mains, le caressait sous le ventre, enfouissait sa tête dans l’épaisse toison du cou de l’animal. Il y posait de gros bisous sonores ou soufflait dans les oreilles de son ami Canis-Lupus. Ce dernier se débattait alors afin de mordiller les manches de l’armure de cuir noir.
Ce chahut dura un long instant, puis le loup se dirigea vers Kriddo, qui lui fit de grosses caresses virils. Puis, l’animal se dirigea vers Tristar qui le caressa aussi, alors Garrak se joignit aux fêtes de l’animal, supposé sauvage, cet événement eut la qualité d’apporter la joie sur les visages du groupe de compagnons.
Les Nains restèrent plus réservés vis-à-vis du loup, mais leurs attitudes laissèrent filtrer un certain réconfort de voir des Hommes lier de tels contacts avec des animaux de mère nature.
Le peuple des Nains, à l’instar des Elfes, vivait en harmonie avec la nature, ils en retiraient ce dont ils avaient besoin sans en faire d’excessifs commerces. Malgré leur goût différent pour l’architecture et pour l’environnent dans lequel ils prospéraient, leur approche de la vie était tout aussi respectueuse que celle des longues vies des profondes forêts.
Certes, certaines rumeurs les présentaient comme étant beaucoup plus matérialistes que la race aux oreilles pointues, mais ce n’était point là toute la vérité, du moins pour la plupart d’entre eux. Bien sûr, les Nains étaient rudes, souvent taciturnes, leur naturel toujours fait de droiture, voir même de raideur, mais leur loyauté était infaillible, indestructible. Avoir des alliés de cette race mythique était systématiquement un grand atout, que ce soit dans un conflit armé ou dans d’autres circonstances moins martiales.

Tantor l'âme de l'épée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant