Chapitre 51

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Je pressai le pas en me dirigeant vers l'école. Je quittais rarement le boulot en retard, mais un client qui était arrivé en fin de service avait fini bien éméché et j'avais dû l'aider à sortir. Et vu que j'étais pas un connard, j'étais resté à côté de lui pendant qu'il vomissait et je lui avais même appelé un taxi. J'étais à la bourre pour aller chercher Archie et je n'aimais pas ça. A son âge, on pouvait facilement s'inquiéter de pas voir son parent arriver, d'autant plus qu'il n'avait pas d'autre famille que moi. Normalement la maternelle avait aussi le numéro de Nana mais ce n'était pas pareil. Enfin j'aperçus les grilles de l'école qui étaient fermées. Ils avaient dû rentrer à l'intérieur avec Archie pour attendre, il faisait vraiment froid ces derniers temps. Je sonnai au portillon pour qu'on me laisse entrer. Dans le hall de réception, je tombai sur une animatrice.

–Bonjour, où est-ce que je peux récupérer mon fils, Archibald Ratier?

Je vis la confusion apparaître sur son visage.

–Archibald? Mais, je ne comprends pas... C'est sa mère qui est venue le chercher, elle a dit que vous vous étiez arrangés puisque vous aviez du retard.

–Sa mère?

–Oui, Lyndsay... Je ne sais plus son nom, mais elle m'a montré son livret de famille avec sa carte d'identité.

Elle blanchit tout à coup.

–Ce n'est pas sa mère?

–Si, mais... c'est plus compliqué que ça. Ça vous a pas paru louche qu'elle vienne le chercher alors que vous ne l'aviez jamais vue de votre vie!?

Je fis demi-tour et me précipitai vers la porte.

–Attendez! Où allez-vous?

–J'ai pas le temps là, répondis-je, la porte déjà ouverte et le téléphone en main. Heureusement, j'avais gardé le numéro de Lyndsay. En espérant qu'elle en ait pas changé.

La sonnerie résonna une, deux, trois fois. J'attendis, de plus en plus tendu. Quelle que soit la raison pour laquelle Lyndsay c'était pointée à l'école, ce n'était pas bon signe. J'étais sérieusement flippé de ce que cette folle pouvait faire à Archie.

–Allô? Gabriel j'imagine?

–T'as foutu quoi Lyndsay? Où est Archie?

–Ne t'inquiète pas, il est en sécurité.

–Ça ne répond pas à ma question!

–C'est dommage que tu te sois adouci Gabi, avant t'aurais laissé ce pauvre ivrogne se noyer dans son propre vomi.

–C'était un coup monté? Putain mais t'es tordue, c'est quoi ton problème? Tu veux quoi de moi? Ecoute, si tu veux de la drogue, je t'en filerai mais laisse Archie en dehors de tout ça.

–Oh mais j'en ai déjà de la drogue! Vois-tu, ton ami Julian m'a fait une offre très généreuse: Je lui amenais Archibald et il me filait assez de drogue pour que je plane loooongtemps!

J'eus l'impression de tomber dans un abîme sans fin. Je marchais dans la rue et j'eus besoin de m'appuyer contre un lampadaire pendant un instant.

–C'est Julian qui a Archibald?

–Oui! Je suis encore avec eux, je te passe Julian.

Respirant un bon coup, je tentai de mettre ma terreur de côté, même si j'avais la sensation de ne plus avoir d'air, comme si mes poumons étaient bloqués. Expirant tout l'air qu'ils contenaient, je bloquai ma respiration quand le téléphone passa à Julian.

–Ecoute-moi bien, Gabriel. Je veux que tu te pointes ce soir à l'adresse que je vais te donner. C'est le 18, Route des Parnières, quand tu sors de la ville tu arrives sur une zone industrielle, c'est un gros entrepôt avec un grand parking en terre battue. Je te donne ces précisions parce que je ne voudrais pas que tu arrives en retard. Ce serait bête que la cervelle de ton rejeton saute pour un manque de ponctualité.

–J'y serai.

–Mais je sais que t'y seras. Et je peux même te dire que tu viendras seul. Si j'ai le moindre doute, je fais exploser la tête de ton gamin. C'est bien compris?

–Oui.

–Bien. Par mesure de sécurité, on n'est pas encore là-bas et le temps de tenir ma parole auprès de la magnifique mère de ton enfant, je te donne rendez-vous à vingt heures sonnantes. T'as intérêt d'y être. 

–J'y serai. 

–Et Gabriel? N'essaie même pas de contacter qui que ce soit, ton portable est sur écoute et tes messages sont surveillés. 

–Compris.

–Puisqu'on a trouvé un terrain d'entente, à tout à l'heure!

–Attends!

Le connard avait déjà raccroché. Je n'avais même pas pu parler à Archie. J'essayai de rappeler. Plusieurs fois. Personne ne décrocha.

 J'avais la sensation qu'un immeuble venait de s'effondrer sur ma tête. J'étais figé en plein milieu de la rue, mon téléphone glissa de ma main inerte et se fracassa au sol. Le bruit m'interpela à peine. Deux secondes plus tard, mon corps pris le même chemin que mon portable et je me retrouvai par terre, à genoux, le désespoir s'insinuant dans chaque recoin de mon âme. Un long gémissement m'échappa et je me mis à pleurer toutes les larmes de mon corps. Même si j'arrivais à sauver Archie en faisant exactement ce que Julian voulait, je n'avais aucune garantie que moi j'aurais la vie sauve. Et donc je ne pouvais être certain de rien concernant la vie saine et sauve de mon fils. Julian avait bien dit que mon téléphone ne me serait d'aucune aide, et je devais probablement être surveillé à l'instant même. Je ne pouvais pas prendre le risque d'aller acheter un portable tout pourri pour passer un appel. Même chez moi, je n'étais pas en sécurité. Mais à part rentrer et regarder le lieu où je devais me rendre, qu'est-ce que je pouvais bien faire?

Dans un état second, je me redressai, replaçai mon téléphone dans la poche de mon jean, et me mis en route vers mon appartement. Je crois que je croisai une personne qui me demanda si j'allais bien. Je ne me souvenais pas de lui avoir répondu. Je sortis les clés de mon appartement et ouvris le battant. Tout paraissait normal. Aucun signe de fouille ou de cambriolage. En apparence, tout était exactement comme d'habitude.

Sauf qu'Archie venait de se faire kidnapper. Comment est-ce que j'en étais arrivé là? Je savais que Julian était dangereux, mais bêtement, je n'avais jamais envisagé qu'il puisse s'en prendre à mon fils. Je m'étais toujours cru assez malin pour échapper à ses pièges, mais j'avais merdé en beauté. Je me dépêchai d'allumer mon laptop et ouvrit le moteur de recherche. Je tapai ma destination et regardai sur la carte où se trouvait l'adresse. C'était une partie de la ville que je ne connaissais pas, j'y allais très peu et c'était sûr que je n'étais jamais allé dans cet entrepôt. J'allais le prendre large, je voulais être sûr de ne pas arriver en retard, j'avais beaucoup trop peur de ce que Julian pouvait faire à mon fils.

Sans même enlever mes chaussures, je m'allongeai sur le lit puis me roulai en boule dans les couvertures. Je me mis à pleurer doucement. Mes pleurs se transformèrent bientôt en de gros sanglots qui secouèrent tout mon corps. Chaque seconde était une torture. Dès qu'une minute passait, j'étais à la fois soulagé parce que ça me rapprochait du moment où je retrouverais Archie, mais c'était aussi une terreur sans nom, de ne pas savoir comment il allait, de ne pas savoir ce qui nous attendait une fois que je serais là-bas. J'enfouis mon visage dans le coussin et me calai sous les couvertures. Je tournai la tête vers mon réveil, le regard fixé sur l'heure qui tournait.

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