Eve princesse révolutionnaire. S1.

Épisode 21 : Le Colisée

« À vos ordres, Votre Majesté. »

Le visage dénué de toute expression, Mikael monta les quelques marches qui le séparaient du trône tel un golem androïde totalement privé de conscience et se tint devant l'Empereur, les yeux baissés.

« À genoux, » aboya celui-ci, au lieu de lui donner simplement l'ordre de poser son seul genou gauche à terre, comme c'était la coutume pour les chevaliers.

Mikael s'exécuta sans un mot, tandis que le monarque retroussait sa manche droite avant poser sa large paume sur le front de l'homonculus, qu'il empoigna avec rudesse. Si de nombreux artistes avaient décrit le rituel d'allégeance comme un baptême et une bénédiction, la réalité était toute autre. Le geste de l'Empereur n'avait rien d'un sacrement et ressemblait plus à une démonstration de force qui violait avec brutalité à la fois le corps et l'esprit de l'impétrant. Mais il est vrai que la lumière blanche qui émanait de la main impériale, donnait à ce rite une aura biblique trompeuse, bien loin de l'agression sauvage qu'elle était en vérité. Mikael se prépara mentalement à ce qui allait suivre.

L'Empereur déclama d'un ton péremptoire le sort qui allait implanter dans son esprit, une loyauté absolue envers la famille impériale.

« Moi, Desmond, Dominic, Callisto Hadelamid, seizième Empereur de la dynastie Hadelamid, t'ordonne, Mikaelis Agnito, créature de l'alchimie impériale, d'obéir à tous ceux qui portent le sang impérial. Tu ne pourras ni te rebeller contre eux, ni attenter de quelque manière que ce soit à ces nobles personnes. Cet ordre l'emporte sur tous les autres, à l'exception de ceux liés à l'imprégnation et dictera désormais ta conduite, et ce jusqu'à ta mort.

— Je me soumets à votre volonté.

— Dans ce cas, baise le sol, à mes pieds. »

Une requête humiliante de plus, qui n'avait plus court depuis des siècles et qu'on n'imposait, alors, qu'aux esclaves... L'expression indéchiffrable, Mikael obéit en silence et s'inclina pour embrasser la moquette qui recouvrait le sol, la pointe de ses cheveux sombres frôlant le bout des chaussures blanches du monarque. Celui-ci sourit, satisfait, son regard condescendant planté sur l'arrière du crâne de l'incontrôlable homonculus. Le voir ainsi, prosterné à ses pieds dans cette position d'extrême soumission le comblait.

« C'est bon. Tu peux te redresser. »

Tandis que l'Empereur se lavait les mains dans la bassine que le grand chambellan venait de lui apporter, Mikael redescendit pour retourner à sa place, en évitant de croiser le regard d'Eve.

Mikael...

Eve se sentait horriblement mal à l'aise, mais elle se doutait que ce qu'éprouvait Mikael devait être bien pire. Elle décida de clore cette désagréable entrevue aussi vite que possible.

« Je vous remercie d'avoir accompli le rituel d'allégeance, Père, et ne désire pas vous faire perdre plus de temps. Je vais prendre congé, à présent. Je laisserai au grand chambellan le rooibos parfumé que j'ai préparé pour vos migraines.

— Oui, fais donc. »

Suivie de son chevalier attitré, Eve quitta l'atmosphère oppressante de la salle d'audience, aussi vite que le lui autorisait la bienséance. Ils empruntèrent un chemin différent pour le retour. Un trajet plus long mais qui leur permettrait de traverser un jardin d'hortensias situé un peu à l'écart et d'éviter ainsi les oreilles indiscrètes. La septième princesse s'arrêta dans un lieu dissimulé aux regards d'autrui par deux énormes arbres à neige. Elle se retourna et fit face à Mikael, pour la première fois depuis qu'ils avaient quitté le palais.

« Tu vas bien ? »

Le visage de son interlocuteur était toujours aussi inexpressif, comme s'il avait banni avec soin toute émotion de sa conscience, mais l'éclat sombre qui brillait dans son regard améthyste n'échappa point à Eve, une lueur qui indiquait assez son état d'esprit actuel. Elle comprenait trop bien le sentiment d'injustice qu'il avait dû éprouver, lui qui serait un jour Roi des Homonculi. Elle espérait juste que la dégradante expérience qu'il venait de vivre au palais impérial ne serait pas le catalyseur qui le conduirait plus vite à la rébellion.