Eve princesse révolutionnaire. S1.

Épisode 34

« Par sous-estimer, vous voulez dire...

— Les pierres magiques ne sortent pas des mines toutes seules, on l'oublie trop souvent. Au moment où je vous parle, des vies sont sacrifiées afin de compenser leur baisse de production. »

La fille du Comte Lucciad se tut. Eve faisait clairement référence aux homonculi qui s'échinaient dans les mines. Les rumeurs s'avéraient donc exactes, c'était une rebelle dans l'âme. Tout aussi curieux que cela pût lui paraître, Anaïs se découvrit tout un tas de raisons d'adhérer à son point de vue.

« Oh... j'ai l'impression de m'être légèrement écartée du sujet ! » reprit Eve, embarrassée.

Confier ainsi ses préoccupations profondes était sans doute maladroit à ce stade et elle se hâta d'embrayer sur autre chose.

« Pour revenir à ce qui nous concerne, j'ai pensé que vous pourriez aussi utiliser les fours à céramique des ateliers de poterie. L'établissement de bain que vous êtes en train de faire construire dans le district dix-sept, se trouve justement tout près de l'avenue des Artisans, où de nombreux ateliers se sont regroupés.

— Ah, c'est exact... Sans compter que la température des fours à céramique est bien plus élevée que celle d'un four normal. »

Eve acquiesça et effaça d'un geste de la main le schéma qui scintillait toujours dans les airs avant de poursuivre :

 « Vous réalisez qu'il sera donc important de prendre en compte le lieu d'implantation des prochaines constructions, lorsque vous reverrez la planification de votre projet.

— Je n'y manquerai pas ! s'exclama Anaïs, l'expression bien plus sereine.

 — J'espère que ces informations vous seront utiles, Lady Anaïs...

— Bien plus qu'utiles, Votre Altesse. Vous venez de sauver la Maison Lucciad d'une faillite programmée et je vous en remercie de tout mon cœur.

— Je suis heureuse de l'entendre, » se réjouit Eve.

Le sourire épanoui et sincère qui étirait ses lèvres, n'avait rien du sourire souvent convenu des gens de la bonne société. La princesse venait juste de franchir un pas de plus dans la bonne direction et prévenir, peut-être, le dramatique événement survenu dans le passé. Une tragédie qui aurait pu et dû être évitée : après le dépôt de bilan de la Maison Lucciad, résultat des manigances de Brigitte, l'ensemble de leurs entreprises avait été racheté par la Guilde Commerciale Chansley. Le projet des bains publics leur avait été, bien entendu, également transféré. Et après ce passage en force, Brigitte leur avait encore fourni tout le soutien nécessaire, ce qui englobait l'allégement de la législation concernant les restrictions d'usage du feu en faveur des établissements de bains publics.

Leur projet se déroulait donc au mieux avec l'appui politique de la troisième princesse, et se rendre aux bains était vite devenu une pratique sociale très populaire. Son succès était tel, que non seulement les nobles mais aussi l'Empereur lui-même s'étaient laissé emballer par cette nouvelle mode. Ainsi ce dernier avait-il decidé de se débarrasser de la vasque en marbre de sa chambre à coucher pour la remplacer par une énorme baignoire toute ornementée et exclusivement réservée à son usage personnel. Et bien entendu, celui qui avait reçu l'insigne honneur de s'en charger était le Marquis Chansley, en personne.

Après en avoir appris la nouvelle, le Comte Lucciad s'est suicidé, incapable de supporter la criante injustice qu'il avait subie.

Si l'affaire s'était arrêtée là, on aurait pu la considérer comme une manœuvre politique cruelle, ayant entraîné la mort d'une seule et unique victime. Mais Brigitte et le Marquis Chansley étaient loin d'en avoir fini avec leurs funestes agissements. Leur plus populaire établissement de bains était parti en fumée lors d'un gigantesque incendie. Un drame dû à la mauvaise gestion de système de chauffage et directement lié à la dérégulation de l'usage du feu, instauré par la troisième princesse. Plus de trois cents personnes avaient péri dans les flammes, prisonniers pour toujours de ce cercueil géant qu'étaient devenues les ruines de l'établissement.