Chapitre 1

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Liney n'était pas une contrée hospitalière. Du moins, elle ne l'était plus. Il est difficile de dire si cela est arrivé à cause du voile automnale qui s'abat chaque année sur la région, chassant les derniers rayons chaleureux du soleil d'été, ou si la guerre interne qui gangrène le peuple linéen en est la cause.

Il est vrai qu'en temps de paix relative, et lorsque le climat s'y prête, les forêts enchanteresses du royaume offrent un délice, autant pour les yeux que pour l'âme. Evelyne se souvient parfois avec émotion des après-midi fugueurs qu'elle passait avec son frère jumeau, dans leur jeunesse presque naïve, à jouer dans la forêt, s'extasiant d'un duel d'escrime où leurs épées n'étaient que de simples branches d'arbre cassées et séchées, ou profitant d'une baignade dans un lac féérique dont la magie était jalousement gardée entre les branches d'imposants mimosas.

Mais rien de tout ceci ne persiste aujourd'hui. Qu'il s'agisse du fantastique des forêts, ou de la relation fusionnelle qu'elle entretenait jadis avec son jumeau. Au lieu de cela, à l'aube de ses vingt-cinq ans, elle était résolue à vivre dans l'ombre (pour son plus grand plaisir d'ailleurs) afin de permettre à ces terres qu'elle chérissait du plus profond de son cœur de ne pas sombrer dans la folie.

Ce matin-là, l'air était froid et humide. Il ne pleuvait pas, mais l'atmosphère moite et sombre de ce début de journée promettait une grisaille qui priverait les champs et forêts du moindre rayon de soleil. Bien que cette saison était synonyme de couleurs orangées, chatoyantes et chaleureuses, les heures sombres que traversait cette contrée jetaient un voile morose sur le royaume qui le privait de toute beauté automnale.

Evelyne était perchée sur sa monture, le dos droit, les talons bas, à l'abri du temps menaçant sous une grande capuche dont la cape terminait sa course sur la croupe de sa jument. A quelques mètres devant elle, Eli, de son nom complet 'Elioren', brillait de prestance et imposait le respect de sa seule présence royale. Il fixait l'estrade d'exécution sur laquelle la couleur du sang avait imprégné le bois, en attendant patiemment le condamné d'aujourd'hui. On entendait au loin le bruit des sabots de montures martelant le sol, et l'aboiement puissant d'une meute de chiens de chasse en pleine action. Ils avaient acculé leur proie, et les chasseurs montés aboyaient des ordres à leurs limiers en sifflant à tout va pour ne pas que l'animal ne se fasse déchiqueter avant qu'on ne le traîne devant sa seigneurie. Evelyne haïssait plus que tout ces moments de barbarie sans nom, mais elle le cachait avec un stoïcisme qui ne laissait transparaître aucune de ses émotions. Avec le temps, elle avait développé une capacité extraordinaire à paraître le plus neutre et insensible possible, à tel point que même Elioren ignorait parfois ce qui lui passait par la tête.

Le jappement des chiens impatients se rapprochait. Un duo de gardes sortit soudainement d'entre les buissons qui bordaient la clairière sombre où patientaient Elioren, Evelyne, et toute une troupe de gardes. Ils trainaient chacun par le bras une jeune femme couverte de boue, les cheveux en bataille et sa tunique rudimentaire, typique de la classe paysanne, était déchirée par endroit après une course poursuite éffrénée dans les bois. Elle parvenait tout juste à suivre le rythme des gardes qui la tiraient, posant à peine les pieds au sol entre deux glissades. Ils semblaient la balocher comme s'il s'agissait d'une abomination qui méritait tout le mépris du monde. Pourtant, entre les mèches de la cascade de cheveux blond salit et en pagaille qui tombaient devant son visage, on pouvait apercevoir le minois d'une jeune fille terrorisée et innocente.

Evelyne assistait à la scène en silence. Devant elle, sur sa propre monture, Elioren gonfla le torse d'une inspiration en suivant la condamnée du regard pendant que ses hommes la hissaient sur la potence. Mais la pendaison n'était pas la sentence qu'on lui réservait. Les gardes la forcèrent sans douceur à s'agenouiller devant une bûche de bois gorgée de sang séché que la pauvre fille fixa avec terreur. Sa respiration se mit à siffler et elle releva les yeux sur le souverain pour hurler en pleurant :

L'Héritage des Enfers (En cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant