L'Héritage des Enfers (En cours)

Chapitre 7 (partie 1)

   Thalsémar faisait pianoter nerveusement ses doigts sur la table de sa salle de conseil. Il écoutait ses enfants et conseillers débattre du cas de la princesse de Liney, récemment emprisonnée dans les geôles de son donjon. Il avait espéré que son jumeau, le roi Elioren, envoie un convoi de négociation, ou ne serait-ce qu'un courrier, afin de discuter de la libération de la Dame. Mais rien de tout ceci ne s'était encore produit, et il fallait désormais réfléchir à ce qu'il allait advenir de la princesse.

  Thalsémar ne souhaitait pas la faire tuer. Cela n'avait aucun sens, et bien qu'il soit qualifié de roi sanguinaire, il n'était pas dans ses habitudes d'exécuter des prisonniers sans raison, surtout lorsqu'il s'agissait de femme. Il ignorait tout des capacités et talents de la sorcière, et l'estimait aussi vulnérable que sa propre épouse à presque huit mois de grossesse.

  Il rejeta sa nervosité sur le compte de la naissance de son cinquième enfant à venir. La succession de son trône étant assurée, avant tout par Azarel, son aîné, mais également par Samaël qui faisait preuve de bien plus de talent princier que son frère - mais le roi tâchait de dissimuler son favoritisme pour ne pas engendrer de querelle entre ses fils, car il savait Azarel ambitieux et jaloux - pourquoi diable chercherait-il à se battre avec ses voisins ?

  Mais Rhéodor était dangereux. Malione lui avait rapporté que le décès de son épouse était suspicieux, et le fait qu'il s'intéresse autant à la princesse de Liney du jour au lendemain avait éveillé sa méfiance. Il ne le blâmait pas de se donner le moyen de ses ambitions. Lui-même avait atteint le pouvoir grâce à un coup d'État. L'homme qui avait été son géniteur - car il était hors de question pour lui de le reconnaître ou l'appeler 'Père'- avait bien failli faire chuter Béléon dans une période de crise difficilement gérable qui aurait plongé le royaume dans le déclin. Thalsémar s'était emparé du trône avant que la situation ne dégénère en supprimant son propre père. Depuis, Béléon était à l'apogée de sa grandeur.

  Mais il soupçonnait Rhéodor de convoiter la puissance militaire d'Elioren pour se joindre à la sienne et se retourner contre Béléon. Il ne pensait pas les deux royaumes capables de l'assaillir, mais il se doutait que le roi d'Aelia avait plus d'un tour dans son sac et que l'annexion de Liney n'était qu'une partie d'un plan bien ficelé. Il avait beau détester Rhéodor, il fallait bien admettre qu'il faisait preuve d'un bon sens stratégique.

  Thalsémar n'avait pas peur de la guerre. Il craignait d'y perdre un de ses fils. Mais si elle s'avérait nécessaire, il dirigerait ses armées en première ligne, tel qu'il l'a toujours fait.

  Il était un combattant hors pair. Il avait été le meilleur, avant que Samaël ne se hisse au-dessus de lui dans la caste des épéistes. Mais il ne le reconnaîtra que sur son lit de mort, c'est ce qu'il se disait. Question de fierté.

  Parce que s'il fallait choisir un défaut pour qualifier le souverain de Béléon, c'était bien l'orgueil.

-Père ? appela la voix d'Azarel.

  Thalsémar releva rapidement les yeux sur son conseil. Ses pensées ne s'égaraient presque jamais lors de ces entretiens. Mais il avait un mauvais pressentiment depuis qu'il avait entendu parler d'Evelyne de Liney. Pour une raison qu'il ignorait encore, elle éveillait en lui autant de méfiance que de sympathie. Sans doute car son dernier enfant, Moira, s'était subitement attaché à la captive. Et l'instinct de cette petite avait déjà fait ses preuves, probablement grâce aux visions dont elle était sujette depuis un moment déjà. Mais qu'elle s'entiche d'une étrangère au service d'un autre roi ne le rassurait guère.

-Qu'y a-t-il ? demanda le roi sans admettre qu'il n'avait rien écouté.

-Peut-être devrions-nous envoyer un émissaire dicter nos conditions de libération de leur princesse à Liney ?