Il semblait à Evelyne qu'une année entière s'était passée tant les journées lui paraissaient longues.
Ses occupations journalières se résumaient à de la lecture, quelques balades dans les jardins, évidemment sous bonne garde, et un peu de dessin. L'attention qu'elle jouissait maintenant qu'elle avait accepté d'épouser Azarel Adraghor l'enferma dans une prison dorée. Elle n'était plus libre de ses faits et gestes, et un gardien lui avait été assigné afin qu'il la suive tout au long de la journée, relayé par un autre pour la nuit.
Elle n'était pour ainsi dire jamais seule. Même lorsqu'elle se trouvait dans une pièce vide de toute présence physique, elle sentait le regard pénétrant d'un spectre scrutant le moindre de ses faits et gestes. Ces personnages là - car il lui était impossible de dire s'il s'agissait d'homme ou de femme pour la plus part - étaient d'une discipline incroyable et d'une discrétion égale à celle d'un oiseau de proie nocturne en pleine chasse, dont aucun bruit ne trahissait la présence. Elle avait bien essayé d'établir le contact, une fois, mais s'était heurtée à un mur de glace. Elle finit par en déduire qu'ils avaient reçu l'ordre de ne pas lui adresser la parole.
Ses journées consistaient à errer dans la forteresse sans but, découvrant ses nombreux couloirs et passages austères. On lui avait autorisé l'accès à la bibliothèque et elle y passait le plus clair de son temps. La lecture avait toujours été une des ses activités favorites et elle trouvait dans ce passe-temps un maigre réconfort. Le reste du temps, elle se torturait l'esprit à la recherche d'une idée brillante qui lui obtiendrait un aller simple pour Liney.
La princesse Tamara était la seule à lui rendre visite. Sans aucun doute à l'insu des autres membres de la famille, d'ailleurs. Plus le temps passait, plus Evelyne devait admettre qu'elle commençait à apprécier la compagnie de la jeune femme. Elle en venait même parfois à regretter qu'elle ne soit pas là pour partager avec elle un moment simple et courtois, chose qui se faisait rare dans son quotidien.
Tamara s'avérait être une femme débordante d'une énergie solaire communicative. Son sourire large encadré par des lèvres pulpeuses séduisantes faisait chavirer le cœur de bon nombre d'hommes (et de femmes mais ces dernières semblaient moins enclines à le laisser paraître) et la princesse s'en amusait beaucoup. Elle se vantait de toutes ses conquêtes dont elle jouissait en secret, dans le dos de son père, mais Evelyne la soupçonnait de mentir à ce sujet. Il ne faisait aucun doute que la jeune rousse pouvait s'offrir la compagnie de n'importe qui d'un claquement de doigts, mais elle en exagérait sans doute le nombre, et cachait un désir désespéré de connaître l'amour.
Elle n'avait certes aucun talent martial, mais son esprit encore immature étouffait une grande intelligence qui ne demandait qu'à s'exprimer.
Pour une raison qu'Evelyne ignorait encore, elle réalisa que la princesse de Béléon éprouvait un profond respect et une grande admiration pour elle, ce qui favorisa à n'en point douter leurs échanges.
Evelyne avait pris possession de la petite chambre simple mais confortable que Thalsémar avait daigné lui accorder. On avait évoqué l'idée de lui donner des appartements plus somptueux, en accord avec son statut, mais elle était d'abord considérée comme une captive avant d'être la fiancée d'Azarel. Pour son plus grand bonheur d'ailleurs, car elle ne nourrissait aucun souhait d'épouser l'aîné Adraghor. Elle espérait que cette preuve de soumission, après avoir accepté le mariage afin de sceller une alliance aussi fragile que mensongère, lui accorderait le peu de temps dont elle avait besoin pour trouver un moyen de se libérer de l'emprise de Thalsémar, et de rentrer auprès de son frère. Mais elle savait que le seigneur de guerre ne se laisserait pas endormir si facilement, et elle craignait qu'il la marie avant qu'elle n'ait l'opportunité de fuir.
Elle n'était pas un invité. Encore moins un membre de la famille. Et malgré l'affection soudaine qu'elle avait également développé pour Moira, la petite fille ne s'était pas montrée depuis l'épisode dans les geôles. Elle soupçonnait sa nourrice ou sa mère de serrer la bride pour ne pas que l'enfant ne l'approche de trop. Aussi, Evelyne passait tout son temps seule, le spectre assigné à sa protection n'étant pas particulièrement bavard et si discret qu'elle en oubliait souvent sa présence.
Du reste, elle dégustait ses repas seule. Elle était conduite à ses appartements de fortune à l'heure, et une servante venait lui apporter un plateau de mets cuisinés. Elle se doutait bien jouir d'un traitement de faveur en constatant la qualité de la cuisine qui lui était accordée, mais étrangement Evelyne craignait d'être la cible d'un empoisonnement.
Elle n'ignorait pas le danger auquel elle était exposée à Béléon, surtout après avoir accepté la proposition de mariage de Thalsémar. Elle se demandait si, en l'apprenant, Rhéodor chercherait à lui nuire plutôt que de s'allier à Elioren pour la sortir de là. Elle réalisait à quel point elle ignorait tout de ce souverain auquel elle avait été brièvement fiancée.
VOUS LISEZ
L'Héritage des Enfers (En cours)
FantasyLa légende raconte qu'à une époque immémoriale, la reine Tiama de Béléon aurait pactisé avec le diable dans le but d'obtenir la puissance nécessaire afin de faire asseoir son pouvoir sur le monde. De cette légende ne persiste que le récit des ancien...
