Chapitre 6

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    La fièvre de Sybil restait meurtrière, même lorsqu'elle ouvrit les yeux pour la première fois en plusieurs jours. Elle se réveilla amaigrie et affaiblie au possible. Sa bouche sèche ne lui permettait pas de parler. Elle gardait encore le goût du sang sur sa langue, celui qu'elle avait recraché sous l'effet du poison.

Elle avait fait un cauchemar, ou peut-être avait-elle déliré à cause des toxines qui attaquaient son corps. Elle avait vu Cornélius qui la maudissait pour son imprudence, qui demandait vengeance. Son corps était rongé par les vers, ses yeux brumeux ne laissaient plus apparaître les belles iris bleu clair qui avaient fait chavirer son cœur par le passé, et des corbeaux se posaient sur ses épaules à tour de rôle pour picorer les lambeaux de chairs pourries qui n'étaient pas couvert par ses vêtements déchirés.

Elle eut du mal à remettre ses idées en place et il lui fallut un certain temps pour se souvenir des événements qui avaient précédé son état végétatif. Elle se souvenait du goût sucré des fruits rouges et de la chaleur d'une tisane un soir de nuit stressante où elle attendait l'annonce du décès d'Elioren.

Puis sa mémoire se réveilla.

Elle ouvrit grand les yeux et chercha à s'asseoir dans son lit. Ses forces ne le lui permettant pas, elle s'agita en haletant de plus en plus fort, et une main lui saisit fortement le bras pour la forcer à rester immobile.

-Calmez-vous Dame Sybil ! dit une voix précipitée. Vous êtes dans un sale état !

Sybil cessa de se débattre en reconnaissant la voix de Mélina tandis que la brume qui floutait sa vision se dissipait peu à peu. Elle avait le sentiment d'avoir perdu de son acuité visuelle, car elle ne voyait que des masses confuses de son œil droit. Le gauche cependant lui permettait de voir clairement le visage tracassé de Mélina à son chevet.

-Vous avez eu une sacrée chance...

Elle semblait avoir pleuré longuement à en juger l'état de ses yeux.

Sybil balaya la pièce du regard et reconnut un des sous sols du domaine du Cénacle. Il y avait d'autres apprenties qu'elle reconnut, vaquant à leurs occupations. L'une préparait une potion à l'odeur forte, une autre pliait des draps propres sans doute en vue de changer ceux de Sybil, et enfin une dernière déplumait un volatile pour le repas à venir.

Mélina sembla comprendre que la vieille femme ne parviendrait pas à parler sans boire, car elle porta un gobelet de bois à ses lèvres pour l'inciter à le faire. Sybil ne se fit pas prier, bien que la moitié du liquide mourut dans ses draps plutôt que dans son gosier. Cependant, ce fut suffisant pour hydrater sa gorge, et elle parvint à dire d'une voix rauque de fumeur excessif :

-Combien de jours...

-C'est le quatrième, répondit Mélina. J'ai bien cru que vous ne vous réveilleriez jamais... Il faut que vous buviez doucement, beaucoup d'eau, et que vous mangiez dès que possible un peu de potage.

-Cornélius ?

Mélina baissa le nez en ravalant un hoquet. Sybil prit cette réponse en reposant sa tête sur l'oreiller. Elle ferma les yeux un instant. Elle éprouva une douleur égale à celle qu'elle avait ressenti lorsque son petit frère décéda, bien des années auparavant.

Cornélius et elle se connaissait depuis des dizaines d'années. Elle avait refusé sa demande en mariage dans leur trentaine afin de ne pas briser les rêves de famille du jeune homme qu'il était, même si elle redoutait également de ne pas avoir assez de temps à consacrer à son couple tandis qu'elle venait de prendre la tête du Cénacle. Mais Cornélius n'avait jamais cherché à fonder une famille ailleurs, ni même une compagne idéale pour un mariage. Au lieu de cela, il avait choisi de rester avec Sybil et de l'épauler dans son entreprise.

L'Héritage des Enfers (En cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant