La linéenne suivait le cadet en silence, marchant dans son sillage la tête basse et les mains jointes devant elle. Il paraissait aussi calme que s’il passait une soirée plaisante en famille. Pourtant, la scène à laquelle Evelyne venait d’assister avait de quoi perturber le plus flegmatique des hommes.
Comme s’il lisait dans ses pensées, il prit la parole :
-Je suppose que vous devez vous poser bien des questions.
-Je doute d’être en position de demander des détails sur les histoires de la famille Adraghor, je ne suis qu’une hôte, répondit-elle poliment.
Elle ajouta après un court silence, poussée par sa curiosité :
-Ne craigniez-vous pas qu’elle le découvre par ses pouvoirs avec le temps ?
-Bien sûr que si, répondit Samaël en ralentissant l’allure pour marcher au niveau de la linéenne. J’ai pressé mon père de lui parler avant qu’elle ne l’apprenne, mais il semblait résolu à repousser cette conversation au plus tard possible.
-C’est une bâtarde ?
-Pas exactement. A une époque, le roi avait une seconde épouse.
-Thalsémar avait une concubine ? répéta Evelyne avec surprise.
Il était clair désormais que les affaires de Béléon avaient été très bien dissimulées de ses voisins.
-Ma mère a bien failli mourir en couche à la naissance de Tamara. En est résulté un bébé fragile et malade. Tamara a vécu les premières années de sa vie difficilement, et nous nous sommes rendu compte que Magdéla ne pouvait visiblement plus porter d’enfant. Je suppose que Thalsémar a pris peur pour sa lignée en réalisant que la mort pouvait frapper à chaque instant des personnes de tout âge.
-Alors il a pris une seconde épouse pour engendrer d’autres héritiers, conclut Evelyne.
Samaël acquiesça puis reprit :
-Et Moïra est née.
-J’en conclus qu’elle est morte ?
Il opina du chef en ajoutant :
-Thalsémar s’est beaucoup rapproché d’elle après qu’elle soit tombée enceinte. Je pense même qu’il en a été amoureux.
-Magdéla était jalouse, supposa Evelyne.
-Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, répondit Samaël en souriant en coin.
-Alors que dîtes-vous ?
-Qu’elle est morte dans un tragique accident.
Il tourna la tête pour adresser à la sorcière un sourire entendu. Elle fit mine de ne pas relever ce détail, en accord avec la bonne réaction à avoir en cas de révélation silencieuse telle qu’il venait d’en faire.
-Pourquoi a-t-elle fait ça, elle était la principale épouse, elle n’a pas à se sentir menacée pourtant ? s’enquit finalement la linéenne.
-Avez-vous déjà tué quelqu’un, Evelyne ? demanda Samaël en s’arrêtant pour la regarder dans les yeux.
Evelyne ne mentit pas aussi rapidement qu’elle l’aurait souhaité. Elle pensa aussitôt à Sybil et Cornélius.
-Votre silence en dit long sur la réponse que vous hésitez à me donner. Pour quelle raison l’avez-vous fait ?
-Par amour, répondit-elle finalement après un court silence.
-C’est une des principales raisons qui nous pousse à tuer. Ma mère n’a pas échappé à cette règle. Elle a toujours aimé Thalsémar d’un amour profond et même si sa place comme reine était assurée grâce aux trois enfants qu’elle avait donné à son roi, elle ne supportait pas l’idée qu’on puisse prendre sa place dans le cœur de l’homme dont elle était éperdument amoureuse. Vous le comprenez sans doute, vous l’avez éprouvé.
-Ce n’était pas ce genre d’amour là. Je l’ai fait pour protéger mon frère.
Samaël haussa les sourcils, surpris.
-Vous m’intriguez.
Elle se demanda un instant s’il était judicieux de se confier au prince. Cependant, il y avait quelque chose dans ce personnage qui, à la fois, la fascinait et la mettait en confiance, malgré le rôle qu’il avait joué dans sa capture.
-Je suppose que je vous dois bien cela après les explications que vous venez de me donner, ajouta-t-elle après un instant.
Il étira un fin sourire, de satisfaction et de reconnaissance.
-Il s’agissait de deux personnes importantes de Liney, étroitement liées à la couronne et… ils étaient mes mentors. J’ai découvert qu’ils projetaient d’assassiner mon frère. Je suis entrée dans une colère noire et je les ai empêché de nuir avant qu’ils n’accomplissent leur sombre dessein.
Elle baissa un instant les yeux, songeuse, et confrontée aux fantômes d’un passé pas si lointain.
-Cela vous a profondément bouleversé, vous n’imaginiez pas être autant atteinte par un meurtre.
-C’est toujours plus facile vu de l'extérieur, lorsque nous n’y sommes pas nous même confrontés. J’ai pensé que… en les entendant parler de meurtre avec autant de facilité, je n’en serais pas atteinte outre mesure.
-Et qu’en pensez-vous maintenant ?
-Cela me hante.
Samaël acquiesça doucement comme s’il s’agissait de la bonne réponse à avoir, et poussa la porte devant laquelle ils s’étaient arrêtés d’une main. Evelyne réalisa seulement qu’ils étaient arrivés à sa chambre.
-Alors, c’est qu’il y a encore quelque chose à faire de votre âme.
-Ce n’est pas votre cas ?
-J’ai tué beaucoup trop de personnes pour en éprouver le moindre regret aujourd’hui, répondit-il avec une simplicité qui n’était pas sans rappeler le manque d’émotion dont il avait fait preuve lors de son combat contre les gardes frontières.
-N’avez-vous pas éprouvé de la culpabilité ou des difficultés au début ?
-Bien sûr que si. Mais c’était un mal nécessaire pour devenir ce que je suis aujourd’hui, et servir au mieux mon roi.
-A vous entendre, cela semble si facile.
-Vous servez votre propre souverain à votre manière, et vous vous en sortez très bien.
-Dois-je vraiment vous rappeler mon statut de captive ?
-N’oubliez pas que vous lui avez sauvé la vie. Ces morts vous hantent peut-être, mais grâce à votre acte Elioren est en vie et n’est plus menacé par ces personnes.
-Je suppose que vous avez raison, conclut la sorcière avant de se retirer dans ses appartements.
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L'Héritage des Enfers (En cours)
FantasíaLa légende raconte qu'à une époque immémoriale, la reine Tiama de Béléon aurait pactisé avec le diable dans le but d'obtenir la puissance nécessaire afin de faire asseoir son pouvoir sur le monde. De cette légende ne persiste que le récit des ancien...