Interlogue : Telle mère...

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— Est-ce je peux entrer ?

Renata avait entrouvert la porte du vieux château où Ove s'était réfugié. Un sac de frappe y avait été installé et il avait pris pour habitude de décharger dessus son anxiété et sa rage. Le Suédois recula un peu, essoufflé et en nage, et il ôta le bandeau qui lui entourait le front, s'essuyant le visage et la nuque avec.

— Ouais, vas-y, la vieille, fais comme chez toi.

Renata secoua la tête avec un sourire désabusé et s'assura que la porte du château se fermait bien derrière elle.

— Tu cherches quelque chose ? Ou tu viens m'engueuler parce que j'ai « dépassé les limites » dans la salle de bains ? Pour ta gouverne, c'est pas moi qui...

— Je ne viens pas pour ça. Tu as le temps pour parler, maintenant, ou est-ce que tu préfères que je repasse à un autre moment ?

— Non, marmonna le Scandinave en déscratchant ses gants de boxe. Je suis dispo.

Les épais sourcils bruns de Renata Aveterco se froncèrent un instant et elle s'assit sur l'immense banc en bois massif sur lequel les Oncles avaient aligné des piles de vêtements soigneusement pliés.

— Oulà. J'ai fait une connerie et j'suis pas encore au courant, c'est ça ?

— Non. Je voulais juste te remonter les bretelles...

— Et allez, j'en étais sûr ! Je...

— ... pour ne pas m'avoir dit d'entrée de jeu que je me méprenais entièrement à ton sujet.

Ove n'aurait pas eu l'air plus surpris si elle l'avait giflé. La femme afficha une grimace de mécontentement :

— Je t'en voudrais davantage si je ne m'en voulais pas déjà beaucoup ! Pourquoi est-ce que tu n'as pas plus protesté que ça quand je t'ai traité de nazi ?

— Mais j'ai protesté ! T'as juste rien écouté, t'es pire que ta fille !

— Je n'irais pas jusque là, voyons, mais je te l'accorde, je n'ai rien écouté. Et c'est bien pour ça qu'il faut que toi et moi, aujourd'hui, nous parlions.

— Ben j't'écoute... fit le Scandinave avec un sourire en coin.

Il attrapa un seau en plastique, le renversa et s'y assit, s'essuyant le cou avec une serviette en microfibres.

— Maintenant que ma mémoire est revenue, j'ai pris conscience d'une chose : que compte tenu de la tournure qu'ont pris les récents événements, j'ai compris qu'Anthinéa resterait avec son père et moi que durant un temps limité.

— Encore heureux ! Vous avez beau être sympa, comme famille, elle peut pas vivre dans vos plumes éternellement !

— Ove... Tu te doutes bien de ce que j'implique. Je ne parle pas de prendre son indépendance – elle en a déjà bien trop d'après ses grands-parents et ses tantes ! – mais plutôt de quelque chose de plus irrémédiable.

— Comme ?

— Comme ma fille qui finit par nous oublier définitivement pour foncer tête baissée à votre aide. Ou alors, et je pense que c'est plutôt cette hypothèse qui l'emportera : irrémédiable comme nous, ses parents et le reste de sa famille, qui l'oublions comme moi et ses ancêtres vous ont oubliés, génération après génération.

— Oooh, relaxe, mamie. Comment tu veux qu'un truc pareil arrive ?

— Peu importe comment. La question c'est quand. Et à ce moment-là, je dois être certaine qu'elle pourra compter sur toi.

L'Escorte 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant