MACLEAN - 55 POINTS

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Le plat principal arrive tandis qu'Isabelle et mon père continuent leur conversation. Depuis tout à l'heure, ils refont le monde ensemble, se rappelant leurs souvenirs mutuels, riant souvent à des anecdotes qui m'échappent. Ce que je comprends surtout c'est que papa est ravi. Il a même appelé maman en Visio pour qu'elle lui fasse elle aussi un coucou. Il est d'ailleurs toujours en ligne avec elle et se partage l'écran tous les deux. La mère d'Emy semble heureuse de discuter avec la mienne. Cela m'indique bien qu'elles devaient être proches. Pour ma part, je reporte mon attention vers mon assiette. Je n'ai pas très faim et j'admets que de me retrouver là me barbe un peu. Toutefois, la seule chose qui m'égaye se trouve devant moi. Emy est comme moi, elle ne participe que très peu à la conversation. J'en viens presque à vouloir lui proposer une table voisine, juste pour elle et moi. Mais aussitôt, je chasse cette idée stupide. Je me contente de l'observer, elle grimace en trifouillant dans son assiette avec sa fourchette.

— Tu n'as pas faim ?

Ses prunelles retrouvent les miennes. Ce bleu étincelant qui me jauge me fait presque rater un battement. Certes, Emy a un regard incroyable, mais sa ride du lion qui apparaît lui donne soudain un air plus mauvais.

— Non, tranche-t-elle aussi sec. Plus depuis la course.

— Navré de t'avoir coupé l'appétit, ricané-je.

Je souris, malgré son regard ombrageux.

— C'est plus Müller qui m'agace et les deux Ade...

Elle se tait soudain, se rendant certainement compte qu'elle allait me confier quelque chose d'important. Je fais comme si je n'avais pas remarqué et m'intéresse plutôt à ce qu'elle peut penser de Müller, car il vrai que ce pilote me gave aussi.

— Ce n'était pas propre ce qu'il a fait, dis-je. Liam ne méritait pas de se faire sortir comme ça.

Emy croise à nouveau mon regard. Une brève lueur passe dans ses iris. Ses épaules semblent se détendre un peu, mais elle arque un sourcil, curieuse. Sa bouche s'entrouvre, prête à me dire quelque chose, puis elle se ravise et reporte son attention vers son assiette.

— Quoi ? m'enquis-je. Je n'ai pas le droit d'être honnête ? Si Müller m'avait sorti de la même manière, je pense que j'en serais venu aux mains avec lui.

Un léger rictus fleurit sur ses lèvres avant qu'elle ne hausse les sourcils.

— J'aurais bien aimé voir ça.

Je ne la quitte pas des yeux. Que croit-elle ? Que je suis en sucre ? Ce n'est pas la première fois que je me prends la tête avec un pilote et cela m'a même valu quelques pénalités dans le passé.

— De toute manière, ce n'est pas lui qui remportera le championnat.

— Bien évidemment, ça sera toi, ironise-t-elle.

— Tout à fait.

Nous ne nous quittons pas des yeux. J'arrive à sentir sa rage s'extraire de ses pores, mais j'ai le sentiment qu'il n'y a pas que ça. Certes, son regard me fait comprendre qu'elle aimerait bien prendre ma tête et l'écraser dans mon assiette, mais sa poitrine qui monte et descend dans un rythme lent m'indique plus qu'elle semble lutter contre quelque chose. Un bref courant électrique me parcourt en ayant soudain une pensée incongrue. Je m'imagine balancer cette table qui nous sépare pour lui faire comprendre que non, il n'y a pas meilleur pilote que moi. Mon esprit s'égare dans un baiser passionné, dans nos souffles se liant l'un à l'autre, ou ses mains m'agripper avec ferveur, en redemandant encore... mais je me reprends dans la foulée et me racle la gorge. J'ai déraillé à plein tube ! Je tente de me ressaisir et scrute la table en creusant mes joues.

POLE POSITIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant