La semaine s'écoula avec une sénérité que je n'espérais plus. Il n'y eut ni disparition d'enfant, ni photocopieuse en panne à déplorer – enfin, à un ou deux bourrages de papier près – ni mec bizarre aux yeux violets dans l'école. C'était comme si tout se calmait enfin et, avec les vacances scolaires qui me tendaient les bras, j'avais l'impression de souffler pour la première fois depuis des semaines. Mieux : de faire ce que je voulais. Mes élèves savaient presque tous conjuguer leurs verbes au passé simple de l'indicatif, un découvert autorisé m'avait été accordé par la banque si bien que je pouvais enfin payer mon loyer, et j'avais même réussi à avancer de plusieurs mailles dans mon tricot actuel. Rien n'était parfait, bien sûr. Je m'étais pris les pieds dans le paillasson de l'école trois fois au cours de la semaine, et le chat qui traînait près de mon appartement avait lâché un cadavre de souris sur mes chaussures – mais j'avais connu pire. Et cette vague de bonne fortune faisait du bien après les récents événements.
C'est sans doute pour ça que ce lundi soir, au moment de faire l'exercice d'écriture libre, je laissai à mes élèves le choix du thème. Ils partirent sur « décrire son endroit préféré », que je complexifiai un chouïa en exigeant qu'ils utilisent au moins deux des cinq sens. Et s'il me fallut rappeler que le sens interdit et le sens de l'humour n'étaient pas inclus dans le lot, cela finit par prendre plutôt bien sur mes petits écrivains en herbe qui s'attelèrent à la tâche avec plus ou moins de sérieux.
La dernière sonnerie arriva donc très vite. Un peu trop d'ailleurs, tant pour moi qui m'efforçais de répondre à leurs questions parfois farfelues, que pour eux qui se laissèrent surprendre – ma gestion du temps était encore approximative, et cela se ressentait. Deux sursautèrent si fort sur leur chaise que je crus qu'ils allaient finir la tête dans le plafond, et un autre lâcha même un « merde, déjà ? » qui me laissa tellement sans voix que je ne le repris pas tout de suite. Je m'apprêtais à le faire lorsque Violette me tendit son travail avec un grand sourire, le manteau déjà enfilé et son cartable sur le dos.
— Bonne soirée, maîtresse ! me salua-t-elle avec enthousiasme.
— Merci, bonne soirée à toi aussi, répondis-je machinalement en attrapant trois autres feuilles qui s'étaient matérialisées sous mon nez.
— Au revoir, maîtresse !
— À demain !
— Bonne nuit !
Il me fallut quelques secondes pour assimiler la remarque de Noham, un peu hors course par rapport aux autres. Toutefois, je n'eus même pas le temps de lui rappeler qu'il n'était que 16 h 30, ou même qu'il avait mis sa veste à l'envers, puisque mon petit spécialiste en crachats avait déjà rejoint la porte avec des camarades. Pile à l'instant où je me rappelai dans un éclair un détail important, que je leur partageai en levant la voix :
— Et n'oubliez pas d'apporter votre coupon-réponse pour le voyage scolaire. Demain, dernier délai !
Ils me répondirent pour la plupart, notamment ceux regroupés autour de moi pour rendre leurs travaux que j'attrapais tant bien que mal à mesure qu'ils venaient.
— Tiens maîtresse, fit Tobias en déposant la sienne au sommet de mon petit tas déjà bien constitué.
Je le remerciai d'un sourire. C'était le dernier à me rendre son travail et à se préparer, comme à chaque fois depuis une semaine. Je ne pouvais même pas dire qu'il avait pris du retard à force de bavarder ou de faire des bêtises, puisqu'il était le plus sage de mes élèves désormais. Pas un mot plus haut que l'autre. Pas une remarque à la récréation. Pas un seul monstre dans ses travaux. Seul l'effrayant silence d'un garçon qui n'aurait pas dû vivre ce qu'il a vécu.
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CLAIR-OBSCUR ⋅ Les Enfants du Soleil-Lune
ParanormalVoilà trois mois qu'Hedy vit dans une petite ville en banlieue de Strasbourg, où elle enseigne à une classe de CM2 à l'année. Elle remplace un professeur qui n'est jamais venu et dont elle ne sait rien. Ses journées sont rythmées par des cours qui t...