7. Le contrecoup

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Je passai le week-end à travailler dans mon appartement. D'une, parce que j'y étais bien obligée si je ne voulais pas me retrouver à faire un numéro de cirque à mes élèves pour combler le vide de mes cours. De deux, parce que j'en avais cruellement besoin après les événements du vendredi.

La disparition de Tobias me pesait encore sur le cœur. Je n'arrivais pas à m'arracher de la tête son visage balafré à sa sortie de l'école, son mutisme quand je l'avais ramené au foyer et enfin ses aveux avant de nous séparer.

Alec n'avait pas dit toute la vérité.

Cet imbécile m'avait affirmé avoir trouvé Tobias inconscient dans la remise, probablement assommé par un coin de table, mais à en croire mon élève ce n'était pas exactement ça. Pas seulement ça. Et avec ma certitude que les remises étaient fermées à clé et vides de toute âme quand j'y étais allée pour le chercher, cet aveu n'avait fait que mettre le feu aux poudres de mon imagination.

Que s'était-il passé dans l'école ? Où était exactement Tobias quand il avait disparu des radars ? Comment diable s'était-t-il fait ça ? Et qui était vraiment Alec, ce maudit Alec dont le rictus moqueur me hantait toujours aux plus sombres heures de la nuit ?

Voilà ce que je m'étais répété au cours de mes deux jours de repos qui n'en avaient pas vraiment été, au point de me réfugier dans les manuels scolaires et les forums de prof – c'est dire le désespoir. Même mon grand amour le tricot, dont les pelotes et aiguilles commençaient à prendre la poussière à force de ne pas y toucher, ne m'avait pas apporté beaucoup de réconfort. Seul le fait de devoir me concentrer sur les deux prochaines semaines de cours était parvenu à chasser de mon esprit ces questions sans réponse, petit à petit, jusqu'à ce qu'elles ne soient plus qu'un désagréable souvenir le lundi matin quand je quittai mon appartement.

Je ne pouvais pas dire que je traînais les pieds pour aller au boulot, mais je n'y allais pas en gambadant comme un chevreuil non plus. À vrai dire, j'étais à deux doigts de rebrousser chemin une fois en bas de l'immeuble afin de retourner comater dans mon lit, quand je fus arrêtée net dans mon élan par une boule de poils étalée de tout son long devant la porte d'entrée.

Le chat, et je m'étonnai d'en trouver un ici puisqu'ils se faisaient rares dans le quartier, ne releva pas la tête. Ni quand la porte claqua derrière moi, ni quand je l'enjambai pour continuer ma route. Cependant, alors que je lui jetais un coup d'œil curieux pour m'assurer qu'il n'était pas mort – ce serait ma vaine de tomber sur un cadavre de chat un lundi matin – le félin se redressa sans crier gare.

— Bon sang, pestai-je en portant une main à mon cœur qui avait fait trois saltos arrière à ce geste, tu m'as fait peur, idiot.

Il ne se formalisa pas de l'insulte et roula sur le dos dans un roucoulement joueur, me présentant ainsi son ventre tigré dans une demande de caresses. J'hésitai un instant, de peur qu'il me morde ou ne me griffe subitement, avant de me résoudre à lui gratouiller le flanc du bout des doigts.

— Je t'ai jamais vu par ici. T'es nouveau ?

Il ne me répondit pas. En même temps, c'était un chat, à quoi je m'attendais ? Mais ses yeux verts se levèrent un instant vers moi, le temps de me contempler avec toute l'imperturbabilité arrogante de sa race, si bien que je me demandai un instant s'il m'avait compris. Puis, de nouveau, il se laissa retomber sur le sol de sorte à réclamer des papouilles – ce que, faible d'esprit face à son minois, je parvins pas à lui refuser.

— Je dois y aller, murmurai-je à son intention tandis qu'il se frottait contre mes jambes. C'est que je passe pas toutes mes journées à roupiller au soleil, moi...

Une nouvelle fois, ma remarque resta sans réponse, et je fus bien heureuse que personne ne soit là pour en être témoin. Je pense que beaucoup ne se seraient pas gênés pour me charrier d'ainsi taper la discussion avec un chat, notamment un certain énergumène aux yeux violets – et mon humeur se dégrada sensiblement à cette pensée.

CLAIR-OBSCUR ⋅ Les Enfants du Soleil-LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant