14. Le malade

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Le feu dansait sur ma peau. Ardent. Voluptueux. Il naissait au bout de mes doigts dans une série de picotements, puis se propageait jusqu'à ma paume sans s'y arrêter. Sa chaleur étouffante s'enroulait autour de mon poignet, dévorait mon coude et grimpait jusqu'à mon biceps, qu'il engloutissait lui aussi dans son sillon. Bientôt il ne resta plus rien de mon bras qui disparaissait un peu plus à chaque assaut des flammes. Rien. Seul un petit bout de chair semblait lui résister, à faire tournoyer les étincelles tout autour comme des dragons au-dessus de leur proie. Le temps se distendait dans l'embrasement de l'air, à s'approcher peu à peu du point de fusion. Degré après degré. Flamme après flamme. Brûlure après brûlure. Un rire moqueur retentit au loin, trop familier pour qu'une pointe d'agacement familière ne me taquine pas le cœur. Et, au bout de l'éternité, la morsure du feu se referma sur ma clavicule.

Je me réveillai en sursaut. Mon cœur battait à tout rompre dans ma cage thoracique et ma respiration était haletante, sans que je ne parvienne à savoir si c'était de la peur du rêve-cauchemar ou autre chose que je n'identifiais pas. D'emblée, je portai une main à mon épaule poisseuse de transpiration en quête d'une quelconque douleur, avant que les souvenirs de la veille ne me rattrapent dans un flash.

Je n'avais plus mal à l'épaule. La douleur, qui m'avait incommodée une bonne partie de la journée précédente, s'était calmée entre mon arrivée au bar et le moment où Alec m'avait déposée au pied de mon immeuble. Sans doute était-ce une simple crampe, empirée par toute la tension que mon corps avait accumulée en compagnie de cet imbécile, que ce soit au Moon Petal ou dans sa voiture. Car même s'il m'avait raccompagnée, c'était surtout par égard pour Eden – qu'il connaissait visiblement assez bien pour lui faire une faveur – et ça ne changeait rien au fait qu'il était odieusement arrogant.

L'image de son sourire en coin me revint en mémoire, à m'horripiler un peu plus au fond de mes draps. Il ne l'avait pas lâché, son stupide sourire, ni quand il avait décidé de me coller aux basques toute la soirée, ni au moment fatidique de me ramener. Ni, aussi, lorsqu'il avait avoué qu'autant qu'il me méprisait, il ne souhaitait pas ma mort – ce qui était à la fois insultant et rassurant, d'une certaine manière, même si ce n'était certainement pas lui que j'appellerais en cas d'urgence.

Aussi, guère désireuse de laisser Alec gâcher ma grasse matinée plus longtemps même à distance, je mis toutes mes pensées à son égard de côté afin de me focaliser sur l'instant présent. Mon studio baignait dans l'obscurité, quoique quelques rais de lumière jaune filtraient par les volets, et indiquaient qu'il était plus tard que d'habitude – ce que les 10 h 56 affichés par mon smartphone confirmaient. Ça n'était pas un problème pour le premier jour des vacances, mais c'était toujours un peu frustrant de savoir qu'un petit bout de ma journée était déjà passé sans que je ne m'en aperçoive.

Cette simple pensée me motiva à sortir du lit. Je m'étirai longuement dans une série de craquements d'os digne d'une mémé chez le kiné, puis me traînai jusqu'à la cuisine, où à défaut d'un bon café bien chaud je me servis du jus de fruit ouvert depuis une semaine. Mon estomac grogna aussitôt, demandeur de protéines à la place, mais le contenu très limité de mon mini-frigo n'eut pas grand-chose à me proposer en retour.

— Mouais, pas très appétissant, marmonnai-je devant les trois étagères aussi vides que mon compte en banque.

Fort heureusement, mes placards m'offrirent un peu plus de choix et je pus me mettre aux fourneaux, même si ça ne dura pas très longtemps. Alors que je cherchais en ligne comment cuisiner du thon en boîte, un demi sachet de pâtes et des olives assaisonnées pour un brunch du pauvre, trois coups frappés à la porte retentirent dans tout l'appartement – ce qui était assez facile, en soi, quand il faisait quinze mètres carré. Je sursautai, à presque en lâcher mon portable, avant de m'approcher de la porte d'entrée à pas comptés.

CLAIR-OBSCUR ⋅ Les Enfants du Soleil-LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant