12. Les olives

101 24 156
                                    

Mon cœur eut un soubresaut des enfers au son de cette voix si proche de moi que ses vibrations se répercutèrent sur ma peau, et je reculai vivement dans la direction opposée, à éveiller la douleur dans mon épaule au passage. C'était instinctif, tant pour m'éloigner du nouvel arrivant que pour voir qui était le gros lourd qui n'avait aucun respect pour mon espace vital afin de mieux l'envoyer bouler. Quelle ne fut donc pas ma surprise quand je reconnus à côté de moi, tout sourire, le roi des lourdauds et ses yeux violets qui me toisaient avec cette arrogance caractéristique ne pouvant appartenir qu'à une seule personne dans ce monde.

— Vous, ici ? Nan mais je rêve, vous me lâchez pas d'une semelle.

Alec ricana à ma remarque et se laissa tomber sur le tabouret de bar à côté de moi. Puis, après un bref regard par-dessus son épaule de sorte à répondre à une fille qui le saluait au loin, il se pencha vers moi afin de glisser d'un air faussement complice :

— Ce bar est ma deuxième maison, donc concrètement, c'est toi qui me suis partout. Je croirais presque que tu craques sur moi, ajouta-t-il dans un sourire en coin.

— Vous n'avez pas passé l'âge de croire au Père Noël ? fis-je en arquant un sourcil sceptique, et il me regarda de haut en bas.

— C'est clair que vu le spécimen qu'il m'envoie cette année, je commence à douter de lui.

— On est d'accord, tout ce que vous méritez, c'est une paire de claques.

Un éclat d'amusement vola à la surface de ses yeux à ma réponse, mais il ne répliqua pas, s'accoudant plutôt au bar avec la nonchalance d'une panthère sur sa branche. Il attendait visiblement une commande déjà passée, à en croire la manière distraite dont ses doigts pianotaient sur le marbre du comptoir et les coups d'œils furtifs qu'il jetait à son smartphone dernier cri. À bien y regarder, et ce n'était pas la première fois que j'en faisais le constat, l'intégralité de sa tenue suintait l'opulence : son jean et ses sneakers de luxe, son t-shirt en apparence simple mais décoré du logo d'une de ces marques qu'on ne voyait que sur les greens de golf, ou encore la montre sans nul doute aussi onéreuse que le reste qui luisait sur son poignet à la lumière des néons.

— Qu'est-ce que tu fais là, du coup ? s'enquit-il après quelques secondes à inspecter mon verre et ma coupelle l'air de rien. À part vider le stock d'olives du pays, bien sûr...

— Ça se voit pas ? Je fais le ménage.

D'accord, j'étais peut-être un peu aigrie. Sans doute envieuse aussi, jalouse de le voir posséder autant quand je n'arrivais même pas à joindre les deux bouts avec mon salaire pourtant supérieur au SMIC. Et son attitude de sagouin ne m'aidait pas à faire la part des choses.

— Le ménage, répéta-t-il, hilare, avant de très vite retrouver son calme impudent. Remarque, ça correspond à ta dégaine de soubrette.

— Je vous emmerde.

— Toujours aussi charmante.

Je levai les yeux au ciel pour toute réponse, blasée, puis me détournai rageusement de sa tête de con pour écourter la conversation.

Un tout autre visage m'accueillit de l'autre côté de moi à ce geste, et je mis quelques secondes à le reconnaître comme celui du type qui me « dévorait des yeux » tout à l'heure selon Constance. Je lui adressai un sourire machinal. Il était en effet plutôt mignon, avec ses cheveux bruns mi-longs et de grands yeux bleus qui devaient en faire craquer plus d'une – quoiqu'il perdait un peu de son charme avec l'odeur de whisky qui se dégageait de lui.

— Il y a un problème ? interrogea-t-il en désignant sans grande discrétion le bellâtre à côté de moi, et j'étouffai une grimace au relent d'alcool qui me fouetta le visage à ces mots.

CLAIR-OBSCUR ⋅ Les Enfants du Soleil-LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant