18. Le néon

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Tobias et moi fûment sortis du quartier de l'Orangerie en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Nos chaussures claquaient sur le macadam, écho des battements effrénés de mon cœur depuis que nous avions quitté le parc, pour mieux résonner dans le silence étouffant de la rue. La nuit tombante n'aidait pas, à rendre la moindre ombre plus épouvantable encore, tandis que mon esprit se repassait en boucle les dernières révélations de mon élève.

Des monstres. Tobias m'affirmait voir des monstres autour de lui, sentir leurs yeux tournés dans sa direction, entendre leurs pas se calquer sur les siens. Il pouvait me dire où ces monstres se situaient et même me les décrire en détail. Il l'avait déjà fait, à vrai dire, et plus d'une fois ; toutes ses copies depuis le début de l'année pouvaient en attester, remplies de chimères de la première à la dernière ligne, à me glacer le sang dans mon minuscule appartement avec vue sur le cimetière communal – car j'avais toujours eu la bonne idée de les corriger le soir, bien sûr.

Un frisson me courut sur la nuque à ce souvenir, et je m'arrêtai net dans mon élan en remarquant que j'allais dépasser la rue indiquée par le GPS, emportée par mes pensées affolées. Je secouai la tête et pris une grande inspiration dans une tentative de me ressaisir. Il le fallait, de toute façon. Je n'avais pas le droit de me laisser affecter par ces histoires sans queue ni tête. Je ne pouvais pas commencer à y croire, me laisser gagner par la peur, pas quand ces monstres n'existaient même pas.

Car rien de tout cela n'était réel, n'est-ce pas ?

— Maîtresse... couina la voix de Tobias à mes côtés.

Je baissai les yeux sur lui. Cramponné à ma main comme si sa vie en dépendait, il ne me regardait pas du tout. Son visage était orienté vers le bout de la rue que nous venions de dépasser. J'y jetai un coup d'œil incertain, avant d'inviter – bien à regret – mon élève à poursuivre :

— Qu'est-ce que tu vois, Tobias ?

— Il y en a un là-bas, murmura-t-il d'une voix blanche.

— Un monstre ?

Je ne contrôlai pas le tremblement de ma voix, pas plus que je ne pus m'empêcher de jeter un deuxième coup d'œil à la rue quand il acquiesça. Je n'y distinguai rien, bien sûr, les silhouettes évanouies dans la nuit. Pour autant, le sentiment de malaise qui me nouait le ventre s'accentua malgré moi et, sans réfléchir plus longtemps, j'entraînai Tobias à ma suite dans une autre direction que celle du GPS.

Je le regrettai très vite. Si l'itinéraire s'actualisa au bout de quelques pas, il ne fit qu'allonger un peu plus le trajet à parcourir jusqu'au foyer, soit une demi-heure de marche dans le froid nocturne d'octobre. Je ne pouvais même pas dire de revenir sur nos pas, pas quand les doigts de Tobias étaient si crispés sur ma main que je serais probablement manchot avant même de lui avoir proposé de faire demi-tour. Et puis, sans dire que je croyais dur comme fer à ses histoires de monstre, je n'avais que moyennement envie de m'aventurer dans les ruelles mal éclairées du centre-ville après la bombe qu'il m'avait lâchée au parc.

La voix de ce dernier m'arracha à mes pensées inquiètes :

— Maîtresse, tu... t'as pas peur ?

— Non, répondis-je sans réfléchir.

Et c'était vrai. Je n'avais pas peur, non. J'étais morte de trouille. Mon cerveau s'imaginait déjà le pire et j'avais l'impression que la boule d'angoisse dans mon ventre montait jusque dans ma gorge, si bien que je craignais de la voir sortir par voie naturelle d'ici peu. Cependant je ne me voyais pas répondre par l'affirmative à Tobias. Pas comme ça. Pas quand il avait besoin d'un roc auquel s'accrocher – et ce même s'il ressemblait davantage à un rocher à moules qu'au rocher de Gibraltar.

CLAIR-OBSCUR ⋅ Les Enfants du Soleil-LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant