Combattre les Légendes

Chapitre 46

Juliette se rongeait les ongles, indécise.

Que faire ? Que faire ? Que faire ?

Elle n'était qu'une adolescente, qu'une enfant, comment pouvait-elle espérer faire quoi que ce soit ? Apporter sa pierre à l'édifice ? Participer à ce combat titanesque que toute la ville menait ?

La jeune fille n'aurait déjà pas dû se trouver là. Si Neven la voyait, la situation empirerait certainement. Situation déjà critique au vu de l'Isaki qu'elle avait sous les yeux...

Le Dragon avait volé droit vers l'empereur. Neven s'était immédiatement éloigné de la ville, derrière le palais, s'enfonçant dans ses jardins.

L'empereur et les membres de son conseil avaient tous deviné que le Dragon serait déployé sur Davar. Pour tous ceux qui connaissaient le passé de Neven, c'était une évidence. L'empereur avait essayé de la masquer, mais tout le monde avait pu sentir sa tension quand il mentionnait l'Isaki.

Juliette avait eu des échos de ces discussions. Elle avait espéré qu'ils se trompaient. Sans qu'elle ne sache les détails, l'adolescente avait fini par comprendre que l'empereur n'avait pas obtenu sa bénédiction de manière classique, contrairement à ce que la majorité de la population pensait. Elle ne savait pas comment c'était possible mais il semblait que l'empereur soit parvenu à arracher sa bénédiction au Dragon. Or, chacun connaissait les légendes qui entouraient cette créature fantastique.

Rien n'était plus important que ses trésors.

Et Neven lui avait dérobé son bien le plus précieux. Son angoisse était légitime.

Quand Juliette avait rejoint les lieux, là où l'Isaki avait décidé de descendre des cieux, elle avait pilé. Le Dragon s'était positionné sur une des tourelles d'un bâtiment annexe affecté aux employés du palais. La partie supérieure de la tour avait été entièrement détruite et une bonne partie du bâtiment s'était effondrée sous son poids. Autour de lui, des traînées de cendres, de charbon ardent témoignaient de son sillage, de son souffle destructeur. Les fumées s'élevaient dans les cieux, emportant avec elles les cris de détresse des pauvres victimes de l'Isaki. Des corps carbonisés, dont on devinait difficilement la silhouette pour certains, mélangés aux armures, armes et au bitume fondus, recouvraient le sol, en un cortège funèbre pour le monstre cauchemardesque.

La créature, recouverte d'écailles sur tout son corps charbonneux, déployait ses immenses ailes membraneuses semblables à celles d'une chauve-souris et battait l'air sans pour autant s'envoler. Ses yeux jaunes incendiaires fendus d'un long trait noir glaçaient quiconque en était la cible et parcouraient la zone à la recherche de sa proie.

Autour de lui, des dizaines et des dizaines de combattants s'affairaient à le maîtriser, sous le commandement de leur empereur. Ce dernier s'était isolé sur un terrain vague plus loin, où la végétation avait été négligée voire retirée. Il était seul.

Le Dragon poussa un hurlement si déchirant que la terre en trembla. 

Juliette se rendit rapidement compte que ce n'était pas le monde qui tremblait mais bien elle.

Tous ses instincts lui hurlaient de fuir. Ses dents claquaient. Sa peau se couvrait de frissons, de sueur froide. Mais elle ne pouvait pas partir. Elle ne le pouvait physiquement pas. Peu importe ce qu'il adviendrait maintenant, elle ne pouvait plus reculer. Elle avait fait une promesse. Elle ne pouvait plus revenir sur sa parole. Elle avait été donnée.

La jeune fille avait une dette à payer.

Les narines de l'Isaki frémirent et ses poumons se gonflèrent. Entre ses crocs, dans sa gueule, une lueur incandescente, de plus en plus rougeoyante, apparut.