6 - Le Manoir

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Nous nous sommes, et ce pour de bon, éloignés de ce tunnel de verdure avec le sentiment du devoir accompli. Ces deux fosses creusées au couvert des arbres garderont le secret du drame qui s'est produit... Dans la première, demeurera à jamais une jeune femme qui sera bientôt annoncée comme portée disparue. Des recherches actives seront lancées. On entendra, probablement, parler d'elle quelques semaines dans les journaux et certains programmes télévisés. Et puis, comme toutes les autres victimes avant elle, son cas finira dans les affaires non classées. De celles qui prennent la poussière dans les archives et dont personne n'aura jamais le courage d'exhumer...

Il est vrai que son cadavre en charpie aurait pu être rapporté à l'attaque d'un animal sauvage, comme un ours par exemple. Si l'on espère que des analyses plus poussées ne soient mises au programme. Un risque qui ne pouvait être pris. Même en bénéficiant de quelques passe-droits auprès de la police, leurs agents ne doivent en aucun cas connaître le secret jalousement gardé par les grands dirigeants de notre belle planète bleue et leurs bataillons de sbires...

Dans la seconde fosse, aux dimensions plus larges, se trouve notre lycan. Bien qu'il ait ôté la vie d'une personne ce soir, et très certainement beaucoup d'autres avant elles, nous l'avons déposé à l'intérieur avec le maximum de délicatesse permise par son poids.

À chaque pelletée de terre, les traces se sont effacées. Il ne restera plus rien de ce malheur regrettable. Seules nos mémoires se souviendront que notre incompétence nous a conduit à un échec cuisant. Si nous étions arrivés à temps, elle aurait peut-être pu être sauvée. Nous l'aurions déposée en lieu sûr et cette pilule miracle lui aurait permis d'oublier un douloureux traumatisme.

Au lieu de ça, je n'arrête pas de me demander ce que cette petite faisait toute seule au cœur de la forêt. Dans les environs, il n'y avait aucun véhicule sur le bas-côté. À se demander si notre grand méchant loup ne l'avait pas capturé dans une bourgade voisine avant de s'en faire un festin dans un lieu plus intime...

– Enfin, je peux le dire, on est de retour !

C'est comme si j'avais un regain de vitalité en franchissant les grilles de la propriété. J'ai toujours pensé que ce manoir ressemblait à l'une de ces vieilles bicoques hantées, dans le style famille Addams, mais il n'y a rien de comparable au bonheur procuré par le simple fait de rentrer chez soi.

– Oui... Enfin...

Mon frère tire une tronche de dix mètres de long. Je pense qu'il en a sa claque de notre vie ; de tout ça. Malgré que je reste convaincu qu'il va très vite reprendre ses marques et remiser au placard ses envies d'exotisme.

– Graham... Je peux te donner un conseil ?

J'arrête la Mustang dans la cour, près de la fontaine en pierre. À voir les plis qui se forment sur le front de mon camarade, j'ai compris avoir réussi à capter toute son attention.

– Dis toujours...

Je laisse ma belle s'endormir après ces kilomètres de bons et loyaux services. J'aime apprécier la lenteur du suspense qui s'installe, avant de plonger mon regard dans le sien. Le plus dur pour moi est de feindre la gravité de la situation.

– Franchement, on s'en est vraiment pas mal sortis avec notre homme sans visage. Mais... Oh, il y a un truc qui me reste en tête et que je n'arrive pas à oublier...

– Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a, Ander ?

Je sens qu'il met les deux pieds dans le plat et ça m'amuse d'en rajouter en soupirant longuement. Ses doigts stimulent mon épaule, là où il me croit abattu. À l'intérieur, je jubile. Sauf que je suis incapable de mentir très longtemps. La seconde qui suit, un sourire se peint déjà sur mon visage.

– Par pitié... Promets-moi une chose.

– Arrête ton petit jeu !

Il retire sa main, tandis que son intuition l'aide à comprendre que je suis en train de le faire tourner en bourrique.

– Non, mais plus sérieusement, Graham ! Je t'en supplie ! Tu aurais vu sa tronche quand il essayait de te ressembler ! Il faut que tu me jures de ne jamais passer sous un bistouri. Un lifting raté, ça peut faire des ravages ! Et cette image va me hanter longtemps !

– T'es juste pathétique quand tu t'y mets... Parfois j'en viens à m'interroger sur qui est le plus âgé des deux...

Euh... t'abuses un peu, non ? C'était une histoire de quelques minutes...

Je garde cette remarque inutile pour moi, le laissant fuir l'habitacle dans l'espoir de me montrer qu'il souhaite couper court à toute conversation.

Le regard ancré sur la statue qui trône au milieu du bassin, je l'imite aussitôt. La fatigue me pousse à un humour gras. Parfois, je me mettrai des baffes moi-même si j'en avais l'opportunité.

Alors, j'essaie de me recentrer en recouvrant un minimum de sérieux...

Les premières lueurs de l'aube apparaissent derrière les ailes imposantes de cette sculpture. Celle de gauche se déploie avec la majesté d'un ange. Ses plumes y ont été finement représentées pour retranscrire leur prétendue bonté. Là où celle de droite n'est constituée que d'arêtes saillantes. L'attribut du démon et de sa perversité.

Alors que cette femme, à l'incroyable beauté, se fond dans les teintes nuancées du ciel, elle dégage une aura presque hypnotisante. Du côté de sa forme céleste, elle brandit un glaive, prête à pourfendre les détracteurs du bien. Et, dans son autre main, sur la rive de sa face sombre, elle offre le fruit défendu...

Ne jamais croquer la pomme ! Tout le monde sait à quelle ignoble catastrophe peut mener la tentation.

Une guerrière au drapé élégant, symbole des contrastes qui perdurent dans notre monde et des forces qui s'y affrontent, depuis des siècles ou la nuit des temps...

BrothersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant