Brothers

18 - Le Necromancien

Grâce à l'étroitesse des galeries et à notre détermination, cette épreuve s'est vite transformée en une simple formalité. J'ai quand même ressenti un certain pincement au cœur en enjambant cette pile de corps désormais définitivement inanimés. Qu'ils soient de notre époque ou d'un siècle passé, ces monstres étaient auparavant tous des êtres humains. Si certaines familles pleurent l'absence d'un corps dans une tombe, d'autres espèrent encore que l'être cher leur soit rendu. Mais la procédure est déjà claire. Officiellement, aucun cadavre n'aura pu être retrouvé.

– Ça me tue de te le dire, mais... merci...

Des paroles tant bardées d'épines, qu'elles ont dû lui arracher la gorge quand Mandy a cherché à les extirper. Entre nous, il ne pourra jamais y avoir la moindre once d'amitié. Pourtant, je dois bien admettre que notre coopération momentanée s'est montrée on ne peut plus efficace.

– Oh, c'était rien... Tu m'as aussi sauvé les miches. Je dois avouer que tu te débrouilles plutôt bien avec ton jouet.

Si mon sourire ne gagne que le miroir d'un visage de glace, je pense déceler au fond de ses prunelles la lueur d'une véritable reconnaissance.

– Je te retourne le compliment. T'es un peu trop sûr de toi, mais tu te défends pas trop mal...

En faisant l'inventaire rapide de mon sac, je m'aperçois que le contenu en a pris un sacré coup. Une grimace exagérée par la nervosité sur laquelle mon acolyte imposée ne manque pas de rebondir :

– Tu comprends maintenant pourquoi je préfère les armes blanches ? Maniables, silencieuses et, surtout, à munitions illimitées.

– Ne t'inquiète pas pour moi, princesse, j'ai encore de quoi tenir toute la nuit !

Un nouveau chargeur de balles ordinaires vient remplacer celui qui ne pourrait dorénavant fournir que des salves de courant d'air. D'autres viennent remplir les poches libres de ma veste, tandis que je garde toujours à portée de main celui que j'ai réservé pour notre rencontre avec l'illustre Staninslas. Si son plus grand hobby est d'empêcher les morts de jouir d'un repos éternel, je veux qu'il puisse enfin goûter à la saveur de n'être plus qu'un simple mortel. Et ce n'est certainement pas d'une lame, aussi coupante ou aiguisée soit-elle, que viendra l'heure de son jugement dernier...

En véritable commando, attentif au moindre bruit, notre duo improbable continue sa progression dans les entrailles de la ville endormie. J'imagine bien cet enfant, à l'étage supérieur, qui serre son lapin en peluche en se laissant bercer par la douce lueur de la veilleuse posée sur sa table de chevet. Alors qu'au fond de lui il craint l'apparition du terrible croquemitaine entre les cintres que compte son armoire, son jeune esprit est à mille lieux de se douter que des créatures bien plus réelles se baladent impunément à plusieurs mètres au dessous de son lit. Celles-là ne lui saisiront pas les orteils, s'ils viennent à dépasser des draps, mais pourraient sans peine anéantir toute la population si personne ne parvient à stopper le Maître de cette cérémonie macabre.

– Non !

D'un chuchotement, qui se voulait pourtant autoritaire, je stoppe l'ardeur de mon intrépide partenaire, sur le point de se précipiter tout droit dans la gueule du loup. Je maintiens fermement son bras en ignorant le regard assassin qu'elle s'évertue à me lancer. J'ai entendu des pas et vu disparaître une ombre furtive. Le nécromancien est dans les parages. Ça ne fait aucun doute... Et il a forcément anticipé notre venue...

Mandy fulmine en parvenant à se dégager. Néanmoins, son intelligence la pousse à comprendre que la mâchoire du piège est en train de se refermer. J'aimerais pouvoir chasser ce mauvais pressentiment, mais il reste plus tenace que ma propre volonté. Quelque chose de dramatique se trame à l'arrière de la scène. Là où ma pire crainte serait que Graham y ait déjà succombé...

– Mes chers invités ! Pourquoi jouer les retardataires ? Les festivités vont bientôt commencer...

J'aurais voulu ne pas avoir à entendre cette réplique. Surtout, que je reste convaincu qu'elle nous était destinée. À quoi bon se croire encore en dehors des radars, alors que le capitaine de ce vaisseau mortuaire a déjà repéré ses cibles ?

D'un regard, je suis surpris de voir que Mandy a compris la gravité de la situation. Je pourrais même parier avoir saisi la peur qui faisait trembler ses muscles d'une manière presque imperceptible. Prête à passer à l'action, elle tient à deux mains le manche de son sabre, comme s'il était devenu la dernière figure de proue à laquelle ses espoirs pouvaient encore se raccrocher. Nos rôles deviennent clairs et nos actions précises. Les quatre balles aux précieux ingrédients viennent, finalement, alimenter le magasin de mon pistolet. Si cette samouraï des temps modernes n'aura aucune peine à se charger de son escorte décharnée, j'anéantirai ce sorcier mégalomane, qui se voit déjà régner sur un monde aux airs d'éternelle apocalypse.

– Alors ? Ne vous a-t-on jamais appris que le silence était une réponse bien impolie ? Vos amis vous attendent !

J'ignore si c'est la peur ou la colère qui a dominé l'instant où j'ai senti mon sang ne faire qu'un tour. À sa déclaration, je comprends qu'il a fait des prisonniers. Nous devons agir vite et sans bavure. Lui voler les rênes que ses mauvaises intentions tiennent solidement pour acquises.

Stopper cet engrenage infernal, avant que les choses ne prennent une tournure des plus dramatiques...