Brothers

17 - Le Nécromancien

Une joute verbale avec une bande de harpies, suivie d'une promenade de santé dans les égouts... Si j'avais su qu'elle m'apporterait autant de réjouissances, j'aurais pu sauter sur cette affaire mille fois.

Contrairement à ce que la naïveté des habitants leur permet de croire, il n'y a pas que des rats qui vagabondent dans l'obscurité de ces tunnels interminables. Ce genre d'endroit peut aussi devenir la planque idéale pour tout vilain qui tenterait d'assouvir ses fantaisies, aussi macabres soient-elles, ou d'étancher sa soif de vengeance contre un monde où il n'aurait jamais trouvé sa place.

Et c'est dans ce décor digne d'un téléfilm d'horreur que je progresse en mauvaise compagnie. Ces galeries formant un véritable réseau tentaculaire, la tête pensante a préféré que notre groupe s'éclate en deux binômes et une aventurière solitaire. Si Phoebe s'est décernée elle-même la palme de cette catégorie, je dois me coltiner Mandy la chiasse, qui n'a pas perdu sa langue pour me couvrir de remontrances à chaque seconde. Un sabre à la main, prête à réduire au mutisme le moindre clapet qu'elle entendra geindre au détour d'un couloir, c'est sans faiblir que son mauvais caractère met à l'épreuve le reliquat de patience qu'il m'a été donné de conserver.

– Un pistolet ? Ça ne m'étonne même pas ! Tout dans la discrétion...

– Si je n'ai pas le choix de la partenaire, au moins, il me reste la liberté des armes !

Nos arguments s'entrechoquent, alors que nos mots résonnent contre les parois. Avec elle, c'est la surenchère permanente. Même si ça s'éloigne de mes habitudes, je devrais peut-être ravaler ma salive afin de rester concentré.

– En effet... Mais on verra qui s'en sortira le mieux quand le boucan des tirs les attirera dans ta direction...

En descendant ces escaliers, j'ai comme une envie soudaine de me retourner pour l'éjecter par-dessus la rambarde. La voir se débattre dans ces eaux nauséabondes serait un spectacle des plus jouissifs pour moi. Mais, au lieu d'assouvir ce fantasme, je me contente de l'ignorer et d'accorder de l'importance aux seuls bruits environnants. Ces clapotis signalent la présence de quelques nageurs, là où des couinements et des boules de fourrure brune révèlent qu'il s'agit d'un groupe de rongeurs.

Ils me filent bien des frissons, mais je ne gaspillerai pas inutilement mes munitions à les prendre pour cible. Déjà, ces halos avares de lumière dessinent sur les briques un attroupement de silhouettes inquiétantes. Il aurait pu s'agir d'êtres vivants lambdas, si ces ombres ne vacillaient pas d'une manière étrange dans la pénombre et si cette danse lancinante ne s'accompagnait pas de plaintes, semblables à des grognements.

Puis, ces ombres se transforment en un danger bien réel. Au lieu d'un simple groupe de zombis isolé, c'est carrément une horde démesurée qui s'avance vers nous.

– Ben, voilà ! On a notre réponse ! Ils sont là tous nos malheureux disparus !

Je n'attends aucun retour de ma partenaire. D'un geste souple, je fais glisser le chargeur pour le remplacer par celui aux cartouches ordinaires. Hors de question de gaspiller les seules balles capables de réduire à néant la menace représentée par ce sorcier qui, comme ses abominables serviteurs, ne semble jamais vouloir mourir. Des rumeurs racontent que, malgré son apparence de jeune homme fringant, il aurait traversé les âges et les époques, sans jamais prendre la moindre ride. Manipuler les sciences occultes peut parfois offrir quelques avantages. Néanmoins, il vaut mieux ne pas oublier que chaque pouvoir donné demande des sacrifices encore plus grands...

À l'instant où je sens que l'action n'est plus très loin, je ne peux m'empêcher de penser à Graham. Est-ce qu'il s'en sort mieux que nous avec Stella ? Malgré le peu de crainte que son physique de première de la classe inspire, j'espère qu'elle saura monter au créneau afin de faire face à toutes les situations... Étonnamment, je ne m'en fais pas pour Phoebe. Cette fille sait parfaitement ce qu'elle fait. Surtout qu'elle n'a personne dans les pattes pour la perturber et l'empêcher de tourner en rond...

Si cette obscurité quasi-souveraine rend ma précision un poil hasardeuse, je parviens à dégommer les meneurs de cette troupe disparate de trépassés clopinants.

De toute façon, personne n'aurait pu les sauver. Qu'ils soient morts et enterrés depuis belle lurette, petit clin d'œil amical à nos pensionnaires du cimetière, ou fraîchement convertis, aucun traitement ne pourrait les ramener à la vie...

– Pas mal, mais tu devrais laisser les pros jouer dans la cour des grands !

Inutile de décrire le sentiment de frustration qui grandit en moi lorsque je vois Mandy se précipiter dans la foule, aussi grisée qu'une rock star qui se jetterait dans la fosse en plein concert. Bien que je la trouve particulièrement insupportable, avec tous les attributs de la garce assumée, je dois reconnaître qu'elle sait manier la lame comme personne. Là où mes projectiles réduisent leurs cerveaux putréfiés en bouillie, elle les prive définitivement de leur envie de mordre d'un coup sec et bien senti. Comme quoi, il est tout à fait possible de se montrer aussi redoutable que d'avoir le caractère de la pire des trouducs...