12 - Brokeberry

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J'ignore pourquoi le stress monte à ce point en stationnant dans le bourg de ce quartier cossu. Brokeberry est une ville à taille humaine, sans prétention et, à priori, sans histoire. Quasiment pas de délinquance et encore moins de meurtres. Rien de surnaturel à signaler, si l'on fait abstraction de l'apprenti sorcier qui avait tenté d'obtenir les faveurs de sa dulcinée par un envoûtement, au final bien plus dangereux qu'efficace. Alors que la belle a fini par tomber dans les bras d'un autre, le style d'adolescent boutonneux au physique ingrat qu'elle n'aurait même pas daigné regarder, notre « Don Juan » a perdu ses derniers élans de raison dans l'enceinte d'un hôpital psychiatrique réputé pour ses cas désespérés. Il n'était qu'un novice, loin des mages noirs qui peuvent occasionner d'horribles ravages. Ainsi, les quelques potions découvertes chez lui et son grimoire déniché dans les rayons d'un centre culturel du coin n'ont aucunement éveillé les soupçons des autorités locales. Une chance pour nous, car aucun chasseur ne l'avait assez pris au sérieux. À l'époque, d'ailleurs il me semble que c'était dans les années soixante-dix, l'article paru dans le journal aurait pu effrayer si la manière et le résultat n'avaient pas tourné l'auteur de ce larcin en ridicule.

Bon... Je crois que tu vas devoir te rabattre sur autre chose...

Le fleuriste au coin de la rue, ouvert d'habitude tardivement pour toute envie ou cadeau de dernière minute, vient juste de fermer boutique. Un bouquet n'aurait pas racheté ces semaines d'absence. Mais un cadeau permet d'assumer plus facilement certains mensonges. Comme celui où je lui fais croire que je suis souvent parti pour des voyages d'affaires. Eh oui... vendre des aspirateurs dernier cri implique d'être totalement dévoué à son job...

Puisque la force des choses me contraint à ne pas faire preuve de romantisme, je jette mon dévolu sur un kiosque de spécialités mexicaines. Passer la contrariété, je commence à avoir faim et les effluves piquantes de ces plats cuisinés viennent chatouiller mes narines et décupler mon appétit.

Un sac en kraft sous le bras, j'arpente le dédale des rues qui doivent me mener jusqu'à cette petite maison coquette que son salaire de professeur de danse lui permet de louer. La façade est quelque peu défraîchie, envahie par des plantes grimpantes, mais elle a su aménager l'intérieur avec le goût qui la caractérise afin d'en faire un véritable nid douillet. Il m'est déjà arrivé, dans un moment de faiblesse, de ressentir l'envie de tout plaquer et d'emménager avec elle. Sauf que, contrairement à Graham, j'ai la chasse dans le fourreau de l'âme. Mon existence est entièrement dévouée à cette cause, qui n'aura de cesse d'être perdue. Quoi qu'il arrive, le monde comptera toujours une flopée d'épouvantables fléaux. Mais les choses seraient encore bien pires s'il n'y avait personne pour leur botter le cul et réguler leur nombre...

Il me faut quelques secondes avant d'avoir le courage de frapper à sa porte. Les derniers mots de mon frère continuent de me travailler. Malgré mon aplomb, je reste conscient qu'il sera impossible de continuer à lui jeter de la poudre aux yeux indéfiniment. J'appréhende à l'idée qu'elle puisse découvrir, un jour, ma trahison en mettant absolument tout en œuvre pour dissimuler ma double vie. Vicky est assez intelligente pour faire la part des choses et accepter le destin qui est le mien. Là n'est pas le problème... Je m'en voudrais plus que de raison s'il lui arrivait quelque chose et la mêler à tout ça sous-entendrait que sa sécurité devienne compromise. Souvent, l'ignorance est salutaire et je préfère qu'elle me considère comme un commercial itinérant en chemisette, avec une routine et un argumentaire bien rodés, plutôt que de se ronger les sangs pour ma propre sécurité et de risquer de se mettre en danger...

– Ander ?

Voilà que son étonnement vient me trouver sur le palier. Plongé dans mes pensées, j'ai dû tambouriner à la porte, presque par simple réflexe, sans m'en apercevoir.

– Sa... Salut...

Au départ perturbé, je fonds en instantané pour son sourire. Toutes ces photos stockées à l'intérieur de mon téléphone ne parvenaient pas à retranscrire la chaleur qui se dégage de sa beauté ni à lui rendre justice. Ses yeux clairs sont aussi pétillants qu'elle s'emploie à conserver cet air malicieux.

L'une de ces paumes couvre sa bouche tandis que l'émotion vient la submerger.

– J'espère que tu n'as pas mangé ! Ce soir, c'est vamos au Mexique !

Employer la légèreté ne suffit pas à guérir ses larmes. Elle ignore les tacos et les enchiladas pour se réfugier dans mes bras. L'attente a été bien trop grande, mon silence incompréhensible. À continuellement la faire souffrir, je me demande s'il n'aurait pas été préférable de la quitter.

J'y ai songé une fois... Une seule et unique fois où j'ai voulu mettre un terme à notre relation pour reprendre le cours d'amourettes sans lendemain. Or, je ne pouvais m'y résoudre et je crois que les choses ne sont pas près de changer...

BrothersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant