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— Tu as bien dormi ? s'enquiert Papa, au petit déjeuner. J'ai entendu un bruit bizarre, cette nuit.

Je me passe la main sur le visage, regrettant d'avoir fait un effort pour venir prendre le petit déjeuner avec tout le monde, ce matin. Alec me regarde, je le sens, même si mes yeux sont rivés sur ma tasse de café. Ça aurait pu être une question gênante. Il y a une dizaine de jours, j'aurais pu me mettre à rougir bêtement pour une question pareille, mais pas ce matin.

— Oui, désolé, réponds-je finalement. J'ai juste fait un cauchemar, c'est rien.

C'est surtout loin d'être le premier. Je pensais que j'avais déjà du mal à trouver le sommeil depuis la fête d'Halloween, à présent c'est à peine si j'arrive à faire une nuit complète, sans me réveiller en sursaut. Jusque-là, Alexander était le seul à être au courant, il me rassurait et m'aidait à me rendormir, bien que je ne lui aie jamais raconté le contenu de ces mauvais rêves. Le problème, c'est que cette nuit j'ai dû étouffer un cri dans ma paume quand il a voulu me prendre dans ses bras, comme à son habitude. Encore une fois, je n'ai rien raconté. Je ne pouvais pas lui dire qu'il faisait partie intégrante de mon cauchemar.

À la lumière du jour, rien n'a changé, pourtant. Quand je le regarde, je me sens bien, apaisé. Ses rares sourires – un peu moins rares qu'avant – me rendent toujours aussi dingues et mon cœur bat bien trop fort contre mes côtes quand il est près de moi, même si j'ai encore du mal à l'admettre. Mais à la nuit tombée, quand Jonathan se met à hanter le moindre de mes songes, le seul Alec qui reste est celui qui m'a brûlé et que j'ai tant détesté pendant des années. Ma peur des premiers temps, après son arrivée à la maison, me prend férocement à la gorge.

Et je ne peux dire ça à personne...

— Tu es sûr ? insiste Papa, inquiet.

— Mais oui. Papa, j'ai bientôt dix-neuf ans, je peux survivre à un mauvais rêve.

— Tiens, en parlant de ton anniversaire, intervient Izzy. Tu comptes faire quelque chose ?

Je suis partagé entre la remercier du regard pour avoir détourné la conversation, ou regretter qu'elle aborde ce sujet.

— « Quelque chose » comme une fête, par exemple ? Non, ça va, je crois que j'ai assez donné cette année.

— Tu devrais, pourtant, reprend Papa. Fais au moins quelque chose avec Catarina et Ragnor, tu les vois si peu souvent.

— C'est pas grave, je les verrai pendant les vacances, comme toujours.

Je n'ai jamais vraiment aimé fêter mon anniversaire. Je n'y peux rien, Noël m'enthousiasme beaucoup plus que mon âge qui passe. Les vacances de fin d'année ont donc toujours été l'occasion de passer nos journées ensemble, à regarder des films de Noël, jouer à des jeux de société, rester au chaud sous une montagne de plaids en buvant du chocolat chaud.

— Je crains que ce ne soit pas possible, cette année, lance Maryse en rassemblant ses affaires pour partir au travail.

— Comment ça ? lui demandé-je.

— Écoute ton père et invite tes amis ici. Ou bien sortez vous amuser. Mais ne prévois rien pendant les vacances. Bonne journée mes chéris !

Avant que je puisse insister, elle nous envoie un baiser à la volée et quitte l'appartement avec Max. Je regarde Izzy puis Alec, mais ils haussent simplement les épaules, aussi perdus que moi. Et Papa cache un petit sourire, il se relève pour mettre sa tasse au lave-vaisselle avant d'aller se préparer.

Plus que d'habitude, je n'ai pas envie de fêter mon anniversaire. Je ne me sens pas dans le bon état d'esprit pour ça. Le fait de m'être retrouvé en face de Jonathan, dans ses bras, m'a à la fois retourné le cerveau et l'estomac. Mais, le pire, c'est ce qui se passe à l'université. Pour une raison qui m'échappe totalement, Imasu a pris tous les torts pour lui : l'intrusion dans ma chambre, les photos, l'affichage. Le doyen a appelé Maryse, hier soir, pour lui annoncer qu'Imasu a été viré de Columbia et qu'il n'aura plus le droit de s'y inscrire à l'avenir. J'ai l'impression que Jonathan est en train de gagner. Gagner quoi, je n'en suis pas certain, mais il est en bonne voie. Il a réussi à retourner contre moi le seul ami que je m'étais fait à l'université, il a réussi à mettre dans la bouche de tous les étudiants que je suis un désaxé et que je mérite de mourir. Et, Imasu avait raison, Jonathan a réussi à ébranler la détermination avec laquelle je suis arrivé à Columbia.

Wicked Game [Malec AU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant