Chapitre 2 : La princesse

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On me fait rentrer à l'arrière de cette chose étrange, dans un petit compartiment tout sombre dans lequel se trouvent déjà quelques sacs. Je dois me rouler en boule pour rentrer, puis l'homme claque la paroi de métal au-dessus de ma tête avant d'aller à l'avant de la boîte que je peux voir par un petit trou. Le roi nous rejoint, une fois qu'il a fini de parler avec les officiers, après avoir repris forme humaine. Ses yeux sont toujours bleus, mais ses pupilles sont de nouveaux deux points centrés noirs. Le trajet dans cette boîte étrange mais plus confortable que tout ce que j'ai connu, se passe pour moi en silence et dans le noir, et semble durer une éternité, même si ce n'est rien comparé au temps que je prenais à récurer un sol. Je me demande ou je vais vivre à présent. Je n'ai toujours connu que mes cellules. 1B jusqu'à 5 ans, il me semble, 2B jusqu'à 14 ans et 3B jusqu'à ma vente. Si je n'avais pas été achetée avant 25 ans, je serais passée dans la cellule 4B jusqu'à 40 ans puis 5B jusqu'à 60 ans, si je vivais suffisamment longtemps, et ce délai passé, j'aurais été abattue car une fois cet âge passé, les hybrides sont jugés inaptes au travail. Je ne vois donc pas où est-ce que je pourrais loger autrement. J'ai cru comprendre que je servirai la fille du roi qui doit donc être la princesse si je me souviens bien. Je ne pensais pas finir là. À vrai dire, je n'avais aucune perspective d'avenir comme chaque hybride existant probablement. Ça ne sert à rien, notre vie se résume à naitre, achever notre croissance, être vendu, servir, mourir. Peut-être être vendu à un élevage, enfanter une progéniture dont on sera séparé dès sa naissance et qui suivra le même parcours que nous. Ai-je donc des... parents ? je songe. Selon un officier, un hybride mâle peut enfanter mais je n'ai jamais eu l'occasion de vérifier et je ne l'aurai jamais.


Tout en me posant ces questions inutiles, la boîte, qui jusque-là était en mouvement, s'arrête et on vient ouvrir le petit espace sombre dans lequel j'étais. Quelqu'un me sort de là sans ménagement avant de tendre ma chaîne au roi qui se met en marche tandis que je le suis rapidement. Nous arrivons devant un bâtiment. Je n'ai connu que le centre d'éducation et je ne suis jamais sortie. Il y a un bâtiment qui semble s'élever plus haut qu'une pile de mille humains et à ma grande surprise, le plafond du monde est bleu avec des taches blanches, totalement différent de celui du centre. Je reviens à la réalité lorsque le démon tire fortement sur ma chaîne pour que je m'approche de lui. Il pose sa main, qui doit faire la taille de ma tête, sur mon épaule et avant que je ne m'en rende compte, nous arrivons dans une immense salle. Ce moyen de déplacement est nouveau pour moi et j'ai la tête qui tourne. Le roi se défait de sa forme humaine et parle ensuite d'une énorme voix.

- Kira !


« Kira » ? Je ne connais pas ce mot, ni sa signification. C'est peut-être une façon d'exprimer un ordre. Ce qui semble être une jeune fille humaine apparaît devant nous en un instant, au milieu d'une vapeur bleue. Elle a deux yeux bleus comme ceux du roi, de longs cheveux bruns avec des mèches blondes attachés en queue de cheval haute. Elle porte un pantalon bleu avec des trous (je ne comprends pas pourquoi les humains trouvent ça si bien de porter des vêtements très courts ou troués, mais passons) et un haut noir. Elle me fixe un instant puis se tourne vers le démon qui a repris sa forme originale et qui semble furieux à la vue de la jeune fille.

- Qu'est-ce qu'il y a Papa ? demande-t-elle tranquillement alors que l'aura pesante du roi en colère m'empêche presque de respirer.


C'est donc elle la fameuse princesse ? Elle ressemble pourtant à une simple humaine alors que le roi porte des vêtements très amples et sérieux.

- Combien de fois t'ai-je dit de t'habiller correctement ?! crie-t-il tandis que sa fille lève les yeux au ciel. Enfin bon, passons. Je t'ai acheté une hybride ce matin.


Sur ces paroles, il me pousse brutalement en avant et je me prépare à atterrir le nez sur le sol. Soudain, la jeune fille à qui je dois obéissance fait un mouvement sur le côté afin de me rattraper par les épaules. Elle me garde ainsi à côté d'elle tout le reste du monologue de son père. Je n'ai jamais reçu de contacts physiques venant de quelqu'un qui ne bouge pas, je ne sais que faire.

- Elle sera sous ta responsabilité. J'ai accepté de te laisser te passer de précepteur, mais j'exige une conduite exemplaire en échange de cette créature.


Il prononce ces derniers mots avec un regard de dégoût dans ma direction.

- Oui, oui, merci Papa. On peut y aller ?

- Oui, vas-y. Tu lui montreras le placard où elle dormira.


À peine a-t-il fini de parler que la jeune fille qui me tient contre elle et moi sommes transportées dans une pièce immense. Elle doit faire la taille de quatre cellules. Un très grand meuble caché sous les couvertures et les tissus rembourrés trône contre un mur. J'observe de chaque côté une petite table et contre le mur de droite une très grande étagère sur laquelle sont posés des dizaines de livres, tous plus beaux les uns que les autres. Un bureau est posé à côté et un peu plus loin, une petite pièce dont la porte est entrouverte laisse apercevoir des rangées de vêtements dans le fond. Une sorte de salle à eau est également visible de là où je suis. La fameuse princesse qui jusqu'ici me tenait par les épaules me lâche avant de reculer de deux pas.

- Bon, commence-t-elle. Je ne vais pas passer par quatre chemins, je suis pas fan des formalités.


Si elle savait que je ne sais même pas ce que sont des formalités... Elle retire la chaîne qui entravait un peu mes mouvements jusqu'ici, avant de reculer de deux pas.

- Alors, continue-t-elle, je m'appelle Kira (c'est donc son nom, l'équivalent d'un matricule si j'ai bien compris) et j'ai 16 ans. Comme tu as sûrement remarqué, je suis la princesse de ce foutu royaume. Je te souhaite la bienvenue au château et j'espère que tu t'y plairas plus que moi. C'est vachement chiant d'être une princesse quand même, y a trop de papiers à remplir et tout...

- Si je puis me permettre, votre Majesté, je dis en observant le mur, votre position est enviable de mon point de vue. Nombre des miens donneraient tout ce qu'ils ont pour avoir votre vie, s'ils avaient quelque chose à donner, et s'ils avaient encore un libre arbitre...


Un silence envahit la pièce et je tourne la tête. Lorsque mon regard se pose à nouveau sur la jeune fille qui a l'air surprise en me fixant, je me rends compte de ce que je viens de faire, à savoir donner mon avis alors que je suis censée ne pas en avoir et me taire. Si elle se rend compte que je ne suis pas aussi docile qu'a voulu le faire croire l'officier, elle me renverra là-bas. Ce comportement m'a valu bien des châtiments au cours des quatorze dernières années, si bien que je me mets immédiatement à genoux.

- Je vous demande de m'excuser, je n'aurai pas dû prononcer un mot, je suis désolée ! Je vous promets que ça ne se reproduira plus !


Je reste la tête contre le sol, qui est d'ailleurs très doux, je ne savais pas qu'il en existait des comme ça, dans l'attente d'une réponse. Qui ne vient pas. Je patiente sans bouger. J'ai appris à mes risques et périls que plus on parle et plus on bouge, plus on souffre par la suite. Malheureusement, cette habitude d'exprimer ce que je pense s'est encrée en moi malgré toutes les punitions que j'ai subies au cours de ma croissance. Finalement, j'entends ma nouvelle propriétaire m'ordonner de me relever. Je le fais avec hésitation, mais tout de même rapidement. Je repose discrètement mon regard sur son visage m'attendant à y trouver une expression énervée, mais la réalité est toute autre.

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