Chapitre 3 : Le reflet

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Le visage de la jeune fille en face de moi est assez neutre, sans aucune trace apparente d'un quelconque mécontentement, mais plutôt de l'étonnement. Un peu moins tendue, je relâche mes mains qui depuis mon intervention étaient en serrées autour de mes poignets. On m'a toujours punie au moindre écart de comportement et parler sans autorisation, en plus pour dire autre chose que « oui, maître » était l'une des pires choses que pouvait faire un hybride. La princesse me fixe de ses yeux bleus et reprend la parole.

- Ne t'inquiète pas, c'est à moi de m'excuser, dit-elle alors que j'ouvre de grands yeux. Mon statut n'est pas si déplorable, surtout par rapport au tiens, même si j'avoue ne pas en savoir grand-chose. Je suis désolée.

- Ah... Euh... Je... Ne vous excusez pas, je ne suis qu'une-


Je presse ma main sur ma bouche en me rendant compte que je viens d'utiliser l'impératif pour parler à un membre de la famille royale.

- Passons, reprend-t-elle. Quel est ton nom ?


Je la regarde un instant en réfléchissant. Je suppose qu'elle parle de mon matricule mais qu'elle ne sait pas que ça s'appelle ainsi, elle a dit ne pas savoir grand-chose sur les hybrides.

- C-09-K, je réponds alors.


Elle me regarde sans comprendre.

- Non, pas ton matricule, ton nom !


Donc elle sait. Elle pense réellement que j'ai un nom ? Peut-être devrais-je en inventer un pour pouvoir répondre, mais qui sait ce que je pourrais subir si on apprenait que j'ai menti ? Mais ne pas répondre serait un signe d'irrespect... Je regarde mes pieds durant mes réflexions qui n'aboutissent à rien. Je relève néanmoins la tête afin garder un contact visuel. Elle me jette un regard interrogatif avant d'ouvrir de grands yeux.

- Tu n'as pas de nom ? Vous n'en avez pas ?

- Non.

- Quel âge as-tu ?

- 14 ans, je crois.

- Tu crois ? Et c'est légal de travailler à cet âge-là pour vous ?

- Vous seriez surprise de ce qui est légal ou non pour les hybrides, votre Majesté.

- C'est inhumain de vous traiter comme ça...

- Nous ne serions pas vendus comme esclaves si nous étions humains, votre Majesté.


Elle semble sourire à ma réflexion.

- Tu as du caractère. Appelle moi Kira, sans me vouvoyer s'il te plaît. (Je n'ai jamais tutoyé quelqu'un...) J'aime bien ton esprit de réflexion, sache que je ne te punirai jamais pour avoir donné ton avis. Bien que je n'en sache pas beaucoup sur vous, je pense que tous les êtres vivants devraient avoir le droit de réfléchir. Avoir l'avis d'une hybride dont la vie a été dure me permet d'en savoir plus sur vous et je trouve ta présence de libre arbitre plutôt agréable à écouter.

- Je ne me plains pas, je m'estime heureuse du sort qui m'est arrivé.

- Oh pitié, ne me sors ces incessants « c'est un honneur de travailler pour la famille royale gnagna », on sait que c'est du flan pour s'attirer des faveurs...

- Non, simplement il y a bien pire.

- Comment ça ?

- Les conditions de vie ici semblent bonnes en général et, par exemple, une hybride lapin de mon âge a été vendue à un pro-, proxi-, proxénète, quelque chose comme ça, et j'étais le second choix. Je ne sais pas exactement ce que c'est, mais lorsqu'il a décrit ce qu'il voulait faire de sa nouvelle hybride, ça ressemblait beaucoup à quelque chose que l'on nous fait faire parfois pour nous préparer si nous sommes vendus à un élevage et qui n'est pas du tout agréable. Donc je m'estime heureuse.


Kira a l'air horrifiée par ce que je viens de lui raconter. Ce genre de chose n'était pas si fréquent mais tout de même régulier et, même si la première fois m'a fait mal, je ne vois pas trop en quoi c'est si choquant. Mais j'ai visiblement beaucoup de choses à apprendre. Mon regard est soudain attiré par une surface brillante. J'hésite à demander ce que c'est, mais on m'a dit que je pouvais parler alors je ne vois pas pourquoi je m'en priverais.

- Qu'est-ce que c'est ? je demande en pointant du doigt le drôle d'objet.

- Oh, ça, répond-t-elle après avoir digéré ce que je lui ai dit, c'est un miroir. Tu n'en as jamais vu ?

- Non. Je peux m'approcher ?

- Bien sûr.


Je m'avance vers la chose accrochée au mur. La princesse me suit. Lorsque nous arrivons devant, je crois comprendre que c'est une représentation de Kira et de quelqu'un d'autre, comme celle qu'on trouvait parfois sur les murs du centre d'éducation. Seulement, je n'ai jamais vu la jeune fille qui se trouve avec elle sur le « miroir » sur un des tableaux du centres.

- C'est v-toi ? je dis en montrant l'image qui bouge en même temps que moi, c'est bizarre.

- Oui, répond-t-elle.

- Et qui la personne avec toi ?

- Eh bien c'est toi, justement !


Je n'y comprends plus rien. Comment une représentation de Kira et moi peut-elle exister alors qu'elle ne m'a jamais vue ? Comment une représentation de moi peut-elle simplement exister ? Je touche la surface avec hésitation. L'image de la plus petite des deux filles bouge également.

- Comment ça se fait... ?

- C'est ton reflet.

- Donc c'est moi pour de vrai ? Comme je suis ?

- Oui. Fais gaffe, par contre, la gauche et la droite sont inversées.

- C'est magique...

- On va dire ça comme ça. Tu ne t'es jamais vue ?


Je ne réponds pas, trop occupée à fixer le « reflet ». On reconnaît parfaitement Kira et la jeune fille à côté est donc... moi. J'ai visiblement une peau mate, des yeux et des cheveux noirs qui m'arrivent jusqu'au bas du cou. Je me rappelle qu'on me les coupait parfois, parce que c'est jugé comme un entretien inutile, mais les humains aiment généralement les femelles aux cheveux longs donc ils n'étaient pas aussi courts que chez les mâles. Avant ils m'arrivaient jusqu'aux coudes...

- T'as fini Narcisse ? semble plaisanter Kira.

- Hein ? Ah, oui...

- Bref, que dirais-tu de te trouver un nom ?


Un nom ? Pourquoi ? À quoi ça pourrait bien me servir ? Néanmoins, j'avoue que l'idée me plaît. Il me semble qu'un nom a une signification, une origine... Je me sentirais peut-être moins vide si j'en avais un.

- Euh... Un nom ? Pour moi ?

- Bah oui ! Pour qui d'autre ?

- Je ne sais pas, il y a des humains qui n'ont pas encore de noms et-

- Non, un nom pour TOI. Qu'est-ce que tu aimes ?


Je réfléchis à la question. Je n'ai pas eu l'occasion d'aimer grand-chose jusqu'à maintenant, donc la réponse vient presque instantanément.

- Le plafond du monde, celui qui est bleu et blanc, il dégage une chaleur agréable... je murmure.

- Ah, le ciel ? Hmmm... Ah, attends... Que dirais-tude... « Méora » ? Ça veut dire « lumière ».

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