Chapitre 11 : Jules

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Kira me prend la main et nous sortons de la ruelle. Je cligne des yeux à cause de la lumière vive, avant de pouvoir les ouvrir complètement et de pouvoir admirer les paysages qui m'entourent que je n'ai encore jamais eu l'occasion de voir. Nous sommes sur un trottoir et des dizaines d'humains déambulent dans les rues. Je peux apercevoir quelques hybrides qui sont reconnaissables par leur caractéristiques animales et leur collier. Ils restent très près de leur maître, certainement car ils obéissent à des ordres. Mon cœur se serre en les voyant. J'aurais très bien pu finir dans une situation comme celle-ci, voire pire. Je secoue la tête afin de chasser ces pensées négatives. Je suis dehors comme j'en ai toujours rêvé. Le bleu qui m'a donné mon nom est juste au-dessus de moi et je peux marcher librement. Enfin presque. Si je tentais de m'enfuir, la balise GPS de mon collier serait localisée, mais je n'en ai de toute façon pas envie. J'apprécie ma vie au château.


Kira commence à marcher et à m'expliquer tout ce qui se trouve dehors : les boutiques, les magasins, les écoles, les skate-parks et les aires de jeux, le cinéma... toutes ces choses qui sont nouvelles pour moi mais semblent faire partie du quotidien pour tous les gens que nous croisons. J'ai tellement à apprendre, pourquoi ne pas enseigner aux hybrides ces quelques choses avant de les vendre ? Nous nous arrêtons finalement après une heure de marche. Aucune de nous n'a mangé aujourd'hui et en ce qui me concerne, mon estomac crie famine depuis trois jours. Je m'étonne moi-même de tenir encore debout. Finalement, je ne m'étonne plus, je m'écroule soudainement, à bout de forces.

- Méora ! Méora, ça va ? demande la jeune fille qui me rattrape de justesse.

- Oui... je... j'ai juste un peu faim...

- C'est quand la dernière fois que tu as avalé un truc ?

- Le matin de la cérémonie je crois... je réponds en essayant de me remémorer si oui ou non j'ai eu l'occasion de manger ce jour-là.

- Bon, dit-elle en me prenant sur son dos, attirant ainsi l'œil des passants, y a un restaurant pas loin, on va aller là-bas. J'ai un peu faim aussi.


Sur ces mots, elle nous emmène quelques rues plus loin et s'arrête devant un petit bâtiment sur lequel une pancarte indique « Le resto des Andals ». Assez peu original comme nom. Elle pousse la porte du mieux qu'elle peut avec son pied, ses mains étant occupées à me tenir. Lorsqu'elle entre dans le restaurant, l'homme derrière le bar se retourne.

- Salut Léa ! lui lance-t-il.


Je jette un regard derrière nous pour voir s'il y a quelqu'un, mais le barman s'adresse bien à Kira. Je regarde la princesse dans l'espoir d'une explication.

- Faux nom, me souffle-t-elle. Salut Jules ! Ça va ?

- Bien sûr et toi ?

- Bah, je t'avoue que j'ai faim et mon amie a fait une crise d'hypoglycémie, du coup tu nous servirais bien quelque chose ?

- Oh, mais fallait le dire plus tôt ! Ta table est libre, vas-y ! J'arrive tout de suite.

- Merci !


Kira me porte jusqu'à la fameuse table qui se trouve dans un coin, à côté d'une baie vitrée et entourée de deux banquettes. Elle me pose sur l'une d'elle avant de s'asseoir à côté de moi.

- Qui était-ce ? je demande finalement.

- Jules, un serveur de ce resto. Un gras très sympa qui bosse à mi-temps. Je viens ici assez souvent depuis bientôt trois ans alors on commence à se connaître. Je suis une habituée ici, dit-elle en souriant.


Je ressens une pointe de mépris lorsqu'elle évoque cet homme qui, malgré sa gentillesse, me plaît moins depuis qu'elle en parle. Ils se connaissent bien ?

- Pourquoi ce faux nom ?

- Mon vrai prénom est assez peu répandu dans le pays et l'on pourrait faire le lien avec la princesse. Loin de moi l'envie d'être emmerdée à l'extérieur de chez moi.

- Je vois... Il m'en faut un aussi ?

- Non, tu peux donner le tiens, de toute façon, aux yeux du pays, tu ne t'appelles pas Méora.

- Me voilà ! dit le serveur en arrivant. Qu'est-ce que je vous sers ?

- Je veux bien un burger-frites, s'il te plaît ! Méora, tu manges de la viande ?

- Pas des mammifères, je réponds.

- Eh bien, un autre burger-frites avec un steak de poulet, s'il te plaît !

- Je vous amène ça.


Le serveur repart nous laissant seules. Si j'ai bien compris, je vais pouvoir manger quelque chose de bon, sans avoir à cuisiner. Ça me plaît bien.

- Pourquoi tu ne manges pas de viande de mammifère ? me demande Kira.

- J'aurais l'impression de manger un des miens, je réponds. Comme il n'existe pas d'hybride ovipare alors je me permets d'en manger.

- Ah d'accord... Et... C'est moi ou tu n'aimes pas Jules ?

- C'est toi, je mens.

- Donc c'est moi qui imaginais le mépris dans tes yeux en le regardant ? Quand tu daignais le regarder ? se moque-t-elle.

- C'est même pas vrai, je mens de nouveau.

- Oh là, là... Même si Jules est un bon ami, tu restes numéro un dans mon cœur, dit-elle en riant. C'est bon, t'es plus jalouse ?

- Je ne l'étais pas, je persiste.


Sa remarque me réchauffe néanmoins le cœur. Je sens mon visage rougir et préfère tourner la tête vers la baie vitrée pour regarder les passants. C'est ma première sortie, je ne pensais pas m'amuser autant. Jules revient, quelques minutes plus tard, avec deux assiettes remplies d'un énorme sandwich et de plein de petits bâtons jaunes. L'odeur qui en émane me mets l'eau à la bouche.

- Voilà pour toi Léa, et voilà pour la demoiselle ! dit-il en me faisant un clin d'œil.

- Merci beaucoup, répond-t-elle.

- Merci... je dis à mon tour, ne connaissant pas trop les normes à suivre chez les humains.


Le jeune homme repart de nouveau pour aller s'occuper d'autres gens. Il a toujours le sourire bien que son travail semble fatiguant. Je l'apprécie un peu plus. Kira commence à manger son plat et je la regarde faire parce que je n'ai aucune idée de la façon dont je dois ingurgiter le contenu de cette assiette qui est plus grande que ma tête. Je l'imite maladroitement et reconnais que cette nourriture est la meilleure que j'ai jamais mangée. Mon ventre qui crie famine me pousse à avaler tout ça plus vite que la démone assise à côté de moi. Elle me regarde en se retenant de rire ce qui a le don de me vexer un peu. Je tourne de nouveau la tête vers la fenêtre avant d'ouvrir les yeux d'horreur.

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