Je fixe la jeune fille avec un air amusé (parce que je ne peux pas ne pas rire face à elle qui est jalouse du sol quand même). Mon matelas ne me dérangeait pas pourtant. Et mon plaid est tout doux.
- Je ne vais pas dormir AVEC le sol, mais sur mon matelas. Même moi je fais la différence !
- On chipote pas sur les détails, de toute façon j'ai dit que tu dors avec moi et tu n'as aucune raison de refuser donc voilà.
Je suis bien obligée de lui donner raison, cette fois. Je soupire et me lève du matelas qui m'a tenu compagnie ces six derniers mois pour aller m'asseoir sur son lit. Elle semble satisfaite et traine les objets dans un placard. Je la regarde faire, me demandant comment je vais maintenant m'occuper (si je ne fais plus les tâches ménagères je fais quoi ?). Elle me rejoint et répond à ma question muette :
- Bien. Maintenant que c'est fait on va aller s'amuser dehors.
- Encore ?
- Oui ! Tu n'aimes pas ça ?
- Si, si, mais je pensais qu'on n'avait pas le droit...
- Tu ne braves pas souvent l'interdit toi. Depuis quand on obéit aux ordres qui nous sont donnés simplement parce qu'on est nées à un endroit et pas à un autre ?
- ...Depuis toujours ?
- Bah ça va changer. J'ai jamais voulu être à la tête de ce pays. J'aurais même bien voulu être humaine ! Bon, la téléportation c'est quand même très pratique, c'est vrai. Mais qu'est-ce que je donnerai pour avoir une vie normale ! Pas toi ?
- Je suppose que mes capacités animales me manqueraient, mais c'est vrai que naître dans un foyer humain ne peut être que meilleur que naître hybride. Je me demande si certains ont échappé au système...
- C'est possible ?
- Normalement non, mais il doit bien y avoir quelques humains dans la médecine qui sont contre l'esclavage et qui ont caché quelques bébés en prétendant une fausse couche. Quand on était dans la rue, hier, une odeur était camouflée par celle de tous les humains passant et les seuls hybride étaient trop loin pour que je les sente.
- Vraiment ?
- Oui, ça fait du bien de savoir que quelques-uns s'en sortent.
- Tu sais quoi ? Je te promets qu'un jour, toi et moi, on échappera définitivement au système.
- L'espoir fait vivre, comme on dit, je réponds en souriant.
- Non, pour de vrai. Un jour, on partira, et on ira quelque part, on sera tranquille et on sera libre.
- D'accord, et moi je te promets de rester avec toi quoi qu'il arrive, dans ce cas.
- Voilà ! Enfin une perspective d'avenir intéressante !
Je souris. C'est vrai, me voilà avec un but. Cette jeune fille m'a vraiment changée.
- Bon, on y va ? je demande.
- Aaah, tu demandes enfin en premier ! Viens près de moi, je nous emmène dans la ruelle de l'autre fois.
Ce quotidien dure de nouveau plusieurs mois. Mis à part certains jour ou Kira est contrainte de prendre les responsabilités qui lui sont imposées, nous sortons tous les jours dans la capitale. Au fur et à mesure, j'arrive finalement à lire les enseignes accrochées en haut des commerces et à les reconnaître. Cette sensation de liberté devient une habitude, pour mon plus grand bonheur. Un jour, nous nous rendons plus loin du château que d'habitude.
- Où est-ce qu'on va ?
- Là où personne ne viendra nous déranger.
Les passants se font de plus en plus rares alors qu'il ne doit pas être plus de 15h. Les bâtiments sont également plus petits. Nous tournons derrière l'un d'eux, et la vue me laisse bouche bée. On ne la voit pas depuis le centre-ville et seulement peu depuis la banlieue, mais une immense forêt s'étend à perte de vue. Les arbres sont si haut qu'on n'en voit pas la cime.
- Cette forêt est large de plusieurs dizaines de kilomètres et abrite un fleuve qui représente la frontière entre notre pays et celui d'à côté.
- Mais elle est collée à la capitale ?
- Les pays sur cette terre sont nombreux et pour la plupart petits, nous ne faisons pas exception. Par ailleurs, je nous ai téléportées pas mal de fois aujourd'hui, la capitale est plus grande que tu ne le penses. En plus, elle est très à l'ouest du pays donc il s'étend bien plus loin par-là, explique-t-elle en pointant du doigt la direction de laquelle nous venons.
- D'accord... je murmure.
- Tu viens ? me demande-t-elle en avançant vers la forêt.
- On va dedans ?
- Bien sûr ! La frontière est relativement loin et tu vas adorer ce qu'on va faire.
Sur ces paroles mystérieuses, nous nous enfonçons entre les arbres. Malgré les feuilles qui cachent le ciel, on y voit agréablement clair en dessous. Le sol est parsemé de taches de lumières qui donne une ambiance féérique à la forêt. Nous marchons une vingtaine de minutes comme ça. Elle m'explique pendant ce temps que plus personne ne va dans la forêt depuis longtemps parce qu'elle a été le théâtre d'une guerre avec le pays voisin il y a quelques dizaines d'années et que les civils n'aiment pas trop s'en approcher. Les arbres deviennent de plus en plus imposants, de plus en plus grands. Nous arrivons finalement dans immense clairière. L'étendue d'herbe est entièrement éclairée par le soleil et entourée d'arbres d'une cinquantaine de mètres de haut. La végétation m'arrive en dessous du genou et compte parmi elle quelques fleurs. Je n'ai jamais vu un aussi beau paysage. Kira commence à s'avancer dans la clairière avant de laisser apparaître sa forme de démon et de lâcher un énorme soupir de soulagement.
- Aaah, ça m'avait tellement manqué !
Je la regarde sans comprendre. Elle retire son pull et se retrouve en débardeur.
- Méora, tu as mis le T-shirt dos-nu que je t'ai donné ?
- Oh, oui, je réponds en perdant forme humaine et en retirant à nouveau mon pull.
Je remarque en même temps que la coupe de son débardeur laisse également apparaître son dos.
- La clairière fait à peu près la taille d'un terrain de foot, on a de la place, commente-t-elle en souriant.
- Qu'est-ce qui t'a tellement manqué ?
- Le fait de pouvoir voler !
J'ouvre de grands yeux. Devant moi, la jeune fille ferme les yeux et une paire d'ailes sortent progressivement de son dos. La seule fois où j'ai eu l'occasion de les voir étaient lors de notre rencontre qui date déjà de neuf longs mois et à la cérémonie où tout a basculé. Elle recule de quelques mètres avant de soudainement partir en courant en ligne droite. Au bout d'une dizaine de foulée, elle prend son envol. Ses pieds quittent le sol et elle se redresse de façon à être verticale. Sa vitesse est impressionnante et chaque claquement d'ailes donne l'impression qu'elle accélère encore plus. Les hauts arbres lui permettent de voler très haut sans être repérée par quoi que ce soit passant par là. Après un temps, elle redescend provoquant une bourrasque qui pousse l'herbe dans un bruissement tandis que je n'arrive pas à détacher mes yeux de sa silhouette. Elle s'approche de moi avant de me proposer :
- Ҫa te dit de le faire aussi ?
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Hybride
RomanceJe suis une hybride. On m'appelait C-09-K. Je n'ai pas eu le luxe comme vous autres, humains, d'avoir un nom. Je n'était qu'un matricule parmi tant d'autres. Qui êtes-vous pour nous différencier, vous qui nous achetez pour vous servir ? Cela devait...