Chapitre 6 Wayatt

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Cette petite fille de riche m’exaspère. Je sais qui est cette femme, je me suis un peu renseigné, elle a un pedigree encore plus élevé que celui de Marsila. Je me demande pourquoi elle perd son temps à travailler, pourquoi elle ne fait pas comme ma fiancée. Mon Dieu, rien que de dire ce mot, je ne me sens pas bien… Dire que je vais devoir la supporter tous les jours jusqu’à la fin de ma vie… Je n’y arrive même pas quelques minutes, alors je me demande comment je vais tenir.
À l’annonce de mes fiançailles à ma famille, ils n’ont pas été plus étonnés que ça. Je pensais qu’ils me connaissaient et qu’ils allaient se douter que je ne suis pas consentant, mais non. Pour eux, c’était logique. Omalé m’a même dit qu’il était presque jaloux, car Marsila était une belle femme. Il a bien précisé le « presque », car il ne veut jamais se marier, il veut profiter de la vie un maximum et, même si je ne partage pas son choix de vie, sur ce point, je le comprends parfaitement, le mariage ne sert à rien. Même être avec une femme ne sert à rien, mais, pour ma famille, c’est tout à fait normal que je passe du célibataire endurci que j’ai toujours été à un fiancé qui va s’unir le jour de Noël avec notre voisine insupportable. Comme si tout ça ne suffisait pas, elle veut que cette wedding planner à la noix, qui est habillée comme si elle allait assister à un défilé de mode, organise une réception de rêve. Son chapeau de paille, tout à l’heure, m’a fait mourir de rire. Enfin, non, ce qui m’a fait le plus rire, c’est quand elle est tombée. Sur le coup, je me suis dit que c’était le karma, même si, en fait, elle ne m’a rien fait à part me parler sans cesse. Quand je l’ai entendue pleurer cependant, toute ma joie non justifiée était retombée et j’étais inquiet pour elle. Heureusement qu’elle n’avait rien, sinon Marsila me l’aurait fait payer si j’avais abîmé sa jolie Zoé, sa riche nouvelle amie. Jolie, c’est exactement le qualificatif pour parler d’elle. Même si je ne m’intéresse pas spécialement aux femmes, je sais parfaitement en reconnaître une quand elle est belle et c’est ce qu’elle est, Zoé. En même temps, quand on a de l’argent, on peut se payer tous les artifices qui nous rendent encore plus beaux.
Mon portable se met à sonner et, quand je vois qui m’appelle, je grimace, mais réponds. Je la connais, elle va insister jusqu’à ce que je le fasse ou alors venir me voir directement et je préfère éviter ce dernier point. Plus je peux l’éviter, pour le moment, et plus je le fais.
— Oui, allô, Marsila.
— Coucou, chéri.
Au secours ! Achevez-moi ! Ce petit mot doux, qu’elle s’est octroyé le droit de m’appeler, empire la situation et surtout mon état mental.
— Tu voulais quelque chose ?
— Oui, je voulais que vous veniez manger ce soir à la maison.
— Qui nous ?
— Vous tous. Je voudrais vous présenter officiellement Zoé, et puis je crois qu’elle a des choses à te demander sur tes préférences ou je ne sais quoi. Ça serait l’occasion.
— Euh… On fait comme tu veux, je te l’ai déjà dit.
— Oui, oui. Alors vous venez ?
Le « oui, oui », c’est qu’elle s’en fiche de ce que je raconte. Depuis qu’elle est dans les préparatifs, elle ne m’a jamais rien demandé et, là, d’un coup, elle veut que je parle avec son organisatrice de mariage. L’effet de sa nouvelle amie riche, sûrement.
Celle-ci a essayé de me questionner dans la voiture, mais je n’avais pas envie de lui parler, je voulais juste arriver le plus vite possible chez moi et me remettre au travail. Ça m’a gaspillé presque quatre heures de mon temps à aller jusqu’à Dallas et à la ramener ici. Alors, même si elle n’y est pas vraiment pour quelque chose, elle aurait pu se payer un taxi ou je ne sais quoi, au lieu d’embêter les gens comme ça. Nous ne sommes pas enfermés dans un bureau à attendre que le temps passe, ici, on fait du vrai travail et chaque moment est compté.
— Je suis obligé ?
— Wayatt chéri, il va falloir que tu fasses un effort, car je ne compte pas rester une femme au foyer qui ne te sert que de bonne quand nous serons mariés. J’ai besoin d’une vie sociale, il y aura donc du monde chez nous.
Chez moi, c’est chez moi. C’est exactement ce que je pense et, même si elle y habite, ça restera la maison de la famille Mac Bryant, jamais celle des Jackson. C’est pour cela que je tenais à ce que mes frères et sœurs la récupèrent s’il m’arrivait quelque chose. Je connais cette famille et si je venais à mourir alors que je suis marié avec cette vipère, je suis sûr que dans la minute qui suit, elle mettrait ma famille dehors.
— On sera là.
— Ah super, à ce soir alors, j’ai hâte.
Pas moi, pas du tout même. Elle finit par raccrocher et je continue ce que j’étais en train de faire. Quelques heures plus tard, je vais vite à la maison pour, au moins, me laver avant d’aller chez les autres. Je n’ai même pas prévenu le reste de la fratrie et, quand je rentre, les plus petits sont là, à dessiner ou à faire leurs devoirs, tandis qu’Omalé, comme à son habitude, est avachi dans le canapé à regarder la télé. Il me désespère vraiment, et j’espère qu’il se mettra du plomb dans la tête à la longue.
— Je vais me laver et on part manger chez Marsila.
— Quoi ?
— Elle nous a invités.
Je n’attends pas leurs réponses et monte directement dans ma chambre.
Je pense que je vais craquer. Bon, peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas dans un mois ni dans un an, mais un jour. Je garde tous mes sentiments et toutes mes pensées à l’intérieur de moi et, au bout d’un moment, je vais craquer, c’est obligé.
Une fois que je suis propre et habillé, je descends retrouver la petite troupe. Ils sont tous prêts à partir.
— Wayatt, je ne peux pas rester longtemps, j’ai un rendez-vous ce soir.
— Tu restes le temps que tu veux, ce n’est pas mon problème, mais tu t’arranges avec Marsila.
— Euhhh… D’accord.
Il la connaît, il sait qu’elle est impulsive et qu’elle est capable de faire une crise si ça ne lui convient pas. Même moi, je n’oserai pas partir avant la fin, de peur qu’elle s’en prenne à moi. J’espère que, loin de chez son père, quand elle sera avec nous, elle sera plus calme.
Nous partons à pied et, une fois devant la porte, je souffle un bon coup et frappe à la porte. C’est monsieur Jackson qui ouvre pour une fois.
— Wayatt, je suis content de te voir.
Oui, tu es content de voir ton pigeon ! Je lui serre la main, il dit bonjour à ma famille et nous entrons. Je fais un signe de tête aux deux filles, pensant échapper à la folie de Marsila, mais j’ai tout faux, elle s’approche de moi, met ses bras autour de mon cou et pose ses lèvres sur les miennes. Je recule vite avant qu’elle ait dans l’idée d’aller plus loin, je ne suis pas encore prêt pour tout ça. Je vais avoir du mal à m’habituer à son contact. Les humains, je n’aime pas qu’ils m’approchent et me touchent, et encore moins elle…
Bon, à force, je pourrais le supporter un peu. J’espère. Pour moi.
— Venez, passons à table.
Tout le monde suit le maître de maison, je commence à avancer, moi aussi, mais mon frère Omalé me retient.
— Qui est cette bombe qui est chez ta fiancée ? Dis-moi qu’elle est seule, je veux me la faire.
— C’est celle qui organise le mariage.
— Celle-là, tu peux être sûr qu’elle va me sentir à l’intérieur d’elle dans pas longtemps !
— Omalé, franchement !
Je ne l’écoute plus et vais rejoindre les autres. Je devrais m’en foutre de ce que mon frère vient de dire, mais, si je veux être honnête avec moi-même, ce n’est pas le cas, quelque chose me dérange dans ses propos, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.
Je n’avais pas vu que madame Jackson nous avait rejoints, je ne comprends vraiment pas cette femme. Enfin si, c’est pour l’argent, mais je ne sais pas comment elle arrive à rester avec un homme qu’elle doit trouver repoussant. Bon, je suis qui pour la juger, moi ? En fin de compte, quand je réfléchis, je fais presque la même chose, je me prostitue. En pensant à tout ça, je comprends mieux et j’imagine que cette femme est prête à tout pour l’argent. Moi, c’est pour garder ma ferme. Nous sommes dans le même bateau.
Les conversations vont bon train, mais je n’écoute pas vraiment, je suis dans mes pensées. Ça ne doit choquer personne ici, à part peut-être la nouvelle qui me regarde bizarrement. Je parle peu, je vais à l’essentiel et, surtout, là, je préférerais être ailleurs. J’entends mon frère poser mille questions à l’organisatrice de mariage et, là, ça m’intéresse d’un coup.
— Alors, dites-moi, Zoé… Je peux vous appeler Zoé, hein ?
— Euh… Non, je ne préfère pas.
— Vous restez combien de temps ?
— Je ne sais pas exactement, tout dépendra de comment avance toute l’organisation, pour que le jour J, tout soit parfait.
— Donc plusieurs jours ?
— Où voulez-vous en venir ?
— On peut déjà commencer par se tutoyer, non ?
— Non.
Un fou rire me prend en entendant ça, elle l’a clairement remis à sa place. Tout le monde me regarde et Omalé grommelle. Je ne rigole pas souvent, mais quand je ris, c’est à en perdre haleine. Quand je m’arrête enfin, mon frère repart à l’attaque.
— Nous pourrions aller boire un verre, un soir, Zoé ? Je pourrais te faire visiter la ville d’à côté ou les environs.
— Je n’ai pas le temps, mais merci de me l’avoir proposé, monsieur Mac Bryant.
Mon frère se renfrogne dans son siège et, moi, j’ai le sourire. J’aime bien cette fille, en fait, j’ai peut-être été trop dur avec elle.
— Monsieur Mac Bryant Wayatt.
— Oui ?
Nous sommes tellement de Mac Bryant dans la pièce qu’elle est obligée de préciser le prénom et, heureusement, sinon je n’aurais jamais deviné qu’elle me parlait.
— Votre fiancée aimerait que le mariage soit organisé le plus loin possible sur son terrain.
Je lève un sourcil d’étonnement, pourquoi ne pas le faire devant, comme ça, nous serions tranquilles. Je regarde Marsila et lui demande pourquoi.
— Car je veux un mariage comme Cendrillon, je veux qu’un carrosse m’amène et je ne veux pas que ça dure à peine quelques secondes.
C’est au tour de mon frère de se moquer de moi et pas que lui, Stephen aussi se marre. Ma sœur, en revanche, est en admiration.
— Oh, je pourrais y monter aussi ?
— Non, que mon père et moi. Il me faut de la place pour ma robe et tu comprends, Ana, vu ton corps, tu risques de prendre toute la place.
Je rêve ou elle vient d’insulter ma sœur de grosse ? Que ce soit vrai ou pas, peu importe, on ne traite pas une petite fille de treize ans de grosse.
— Non, mais ça ne va pas, Marsila ?
Ma sœur commence à pleurer, se lève pour partir, mais elle est stoppée dans son élan par l’organisatrice de mariage.
— Ana, c’est ça ?
L’organisatrice se lève également, va voir ma sœur et se met à genoux devant elle.
— J’ai peut-être une idée pour que tout le monde soit content.
Ana la regarde et sourit à travers ses larmes.
— On pourrait trouver un autre carrosse et faire venir, en premier, plusieurs filles dedans.
— Je ne veux pas payer pour ça !
Je commence à me lever pour intervenir et dire que je vais payer moi-même. Même si je n’ai pas d’argent, je le trouverai s’il le faut, mais Zoé me devance.
— Je vais le déduire de mes honoraires. J’aime beaucoup que tout le monde soit content pendant les mariages et je veux faire plaisir à cette demoiselle.
Ma sœur la serre contre elle. Je regarde Marsila qui se met à bouder et se rassoit. Ana se détache enfin de Zoé et retourne s’asseoir tout sourire. Tout le monde suit le mouvement. Je regarde cette organisatrice de mariage, de plus en plus intrigué. Je ne comprends pas vraiment pourquoi elle a fait ça. Même si c’est gentil, je trouve ça suspect, les gens ne font jamais rien sans rien. J’essaierai d’en savoir plus quand je l’emmènerai faire son espèce de repérage.
— Alors, monsieur Wayatt ?
Elle m’appelle par mon prénom maintenant, nous sommes devenus intimes sans que je le sache ?
— Quand pouvons-nous aller sur les lieux ?
Je commence à vouloir répondre, mais mon frère me stoppe.
— Moi, je veux bien vous emmener quand vous voulez, Zoé.
— C’est mademoiselle Clarks. Merci, mais j’ai aussi besoin de discuter d’autres dispositions avec le marié. Donc, à moins que l’homme en question soit devenu vous entre-temps, ce n’est pas possible, il me faut vraiment votre frère.
— Oh ben, ça, non, il n’y a que lui pour se marier avec une femme pareille !
J’ai envie de rire, mais je lui mets plutôt un petit coup pour lui faire comprendre qu’il va trop loin.
— Bah quoi, Wayatt, ne dis pas le contraire, il n’y a que toi qui veux d’elle. Pour un petit coup vite fait, ça passe, mais se marier avec une femme pareille, il faut être taré. Je ne suis même pas étonné de toi, c’est ton genre, elle a dû te dépuceler et tu en es tombé amoureux.
— Ça suffit, Omalé !
Il commence à m’énerver là, surtout quand il parle de ma sexualité inexistante. Je n’aime pas parler de ça, même si ce n’est pas vrai. Je n’ai jamais couché avec elle et je ne l’aime pas. Le reste de ce qu’il dit me met mal à l’aise.
— Mais c’est vrai. Je ne t’ai jamais vu avec une fille ni même sortir. Je comprends que tu te sois tourné vers une fille facile. Mais on n’épouse pas ce genre-là, Wayatt.
C’en est trop pour moi ! Je n’aime pas ce qu’il dit, je me lève et regarde tout le monde. Marsila pleure et, même si je ne l’aime pas, pire que je la déteste, je ne supporte pas qu’on parle comme ça d’une femme.
— Je vais te dire quelque chose, Omalé, tu la traites de fille facile, mais tu es quoi, toi ? Pourquoi, en tant qu’homme, tu aurais le droit d’aller coucher avec plein de femmes et qu’elle ne pourrait pas faire pareil ? Il faut vivre avec ton temps, petit frère, nous ne sommes plus au Moyen-Âge. Elle a eu raison d’en profiter. Mademoiselle Clarks, je viens vous chercher demain en fin de matinée. Sur ce, je vous souhaite à tous une bonne fin de soirée.
Je pars d’ici en les laissant se débrouiller. Sur le chemin de ma maison, je réfléchis à ce que j’ai dit. Je le pense vraiment, tout comme j’ai le droit de ne pas vouloir me laisser aller dans le plaisir de la chair à tout va. Je n’aime pas qu’on me touche, je n’aime pas qu’on m’approche. J’ai autant le droit de ne pas avoir de relation sexuelle que les autres ont le droit d’en vouloir. Plus le temps passe et plus je me rends compte de plus en plus de choses.
Je pars me coucher sans attendre qu’ils reviennent.
J’espère que la journée de demain sera meilleure que celle d’aujourd’hui.

Le Ranch Mac Bryant Où les histoires vivent. Découvrez maintenant