Chapitre 15 Zoé

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Je n’aurais jamais cru entendre ça… J’ai cru rêver, au début, ou avoir un souci auditif. Wayatt est sous le coup d’une obligation, il ne l’aime pas, il ne veut même pas d’elle. Comment il en est venu là, et pourquoi ? Ce sont toutes ces questions qui tournent dans ma tête. J’ai eu pitié au début, mais, surtout, j’avais mal pour lui. Pour moi aussi. Moi qui me reprochais d’être une femme voleuse de mari, je ne suis pas ça du tout. Tout ce qu’on a fait, même si on a menti et trompé le monde, tout ça n’était en réalité pas aussi mal que je le pensais. Je voulais tout à l’heure me venger en dansant avec son frère et j’ai bien vu que ça l’énervait. Son comportement a changé et j’ai voulu m’en amuser, mais après avoir entendu cette conversation, je me rends compte que je suis la méchante de l’histoire. J’ai juste envie d’être près de lui, de le consoler et c’est pour ça que je l’ai retrouvé.
Je n’ai pas réfléchi, mon corps s’est collé tout de suite contre le sien, comme s’ils étaient aimantés.
Wayatt finit par me reculer.
— Tu n’aurais pas dû entendre cette conversation.
— Si, ça m’a permis de comprendre beaucoup de choses.
— On ne peut plus se voir. Tu es fiancée, je suis fiancé, ce n’est pas bien, et tu le sais. On n’arrête pas de se le dire.
— Tu es fiancé par obligation.
— Oui, mais je vais me marier avec elle. Même si je n’en ai pas envie, je vais le faire.
— Pourquoi ?
Oui, pourquoi, d’abord ? On n’est plus au Moyen-Âge, on n’épouse plus une fille que l’on n’aime pas.
— Je ne peux pas te le dire.
— Pourquoi ?
— Je ne veux pas. Et puis, toi aussi, tu vas en épouser un autre, alors laisse-moi tranquille.
Il part plus loin et se passe les mains dans les cheveux, il est temps que je lui dise la vérité.
— Je suis séparée de lui depuis des semaines.
— Quoi ?
Il se retourne et me regarde enfin.
— Il m’a trompée avec ma meilleure amie et a brisé ma vie avant même que mademoiselle Jackson m’appelle.
— Mais comment ça ?
Je n’ai pas envie d’en parler non plus, mais je vais le faire, car je veux connaître son histoire.
— Je l’ai vu, Zoé, ne me prends pas pour un idiot ! Juste après la nuit qu’on a passée ensemble, il est venu et…
— Oui, il est venu à mon hôtel pour essayer de me récupérer. Il ne m’aime pas, c’est l’argent que je lui apporte qu’il aime. Je viens d’une famille riche comme tu peux le deviner et je me suis rendu compte, quand il m’a trahie, que c’était que pour mon argent qu’il me fréquentait. Heureusement que c’était avant le mariage. Je n’imagine même pas comment il m’aurait tout volé si je ne m’en étais rendu compte qu’après.
— Je ne sais pas quoi dire. Je pensais être un enfoiré.
— Nous avions le même sentiment.
— Oui, mais moi, je vais vraiment me marier avec elle.
— Pourquoi ?
— Je ne vais pas te le dire. Ce qui s’est passé entre nous doit s’arrêter, Zoé. Nous ne pourrons jamais être ensemble, je vais me marier avec Marsila qu’on le veuille ou non.
Il a l’air triste quand il dit tout ça. Je ne peux pas le forcer à penser autrement alors je n’ai pas le choix malgré ce que je ressens pour lui. On ne peut pas pousser quelqu’un à faire quelque chose qu’il ne veut pas.
Je suis triste, mon cœur se brise un peu plus, mais la vie est ainsi. Je vais devoir m’y faire, même si ça ne me plaît pas.
— D’accord. Je vais te laisser maintenant.
Je commence à partir, mais il me retient, me retourne et pose sa bouche sur la mienne. Il pose ensuite son front sur le mien.
— Si les choses étaient différentes, si la vie était autrement, je…
— Je sais.
Je le coupe avant qu’il n’en dise plus, je ne veux pas entendre ses regrets ni sa peine. Je me recule et le regarde une dernière fois avant de partir. Je vais directement à ma voiture, je ne veux pas rester ici une minute de plus, je n’ai plus le cœur à m’amuser.
Une fois à la maison des Jackson, je monte directement dans la chambre qui m’a été attribuée et je pleure. Je suis sûre, au fond de moi, que j’ai loupé quelque chose d’important dans ma vie.
Les jours passent, nous ne nous sommes pas revus avec Wayatt. Aujourd’hui, ce sont les essayages pour la mariée. Elle a enfin trouvé un créneau pour moi, mais elle ne fait que crier partout comme une hystérique. J’en ai connu des mariées exigeantes et pénibles, mais, là, je crois que c’est le numéro un. Tout ce que j’ai présélectionné ne lui convient pas et, pourtant, j’ai bien respecté ses consignes à la lettre. La robe de Cendrillon.
— Elle ne me plaît pas, trouvez-moi autre chose ! C’est le plus beau jour de ma vie, vous voulez me le gâcher ou quoi ?
Même la vendeuse, qui a l’air de la connaître, semble gênée. Heureusement qu’il n’y a personne ici, sinon les gens partiraient bien vite.
— Je veux quelque chose de plus princesse encore, ce n’est quand même pas compliqué !
Je souffle intérieurement. Et dire qu’après, il faut aller chez le traiteur, j’espère qu’elle n’y fera pas un scandale pareil. Surtout, et l’idée ne me quitte pas, que ce n’est même pas un vrai mariage. Je n’arrête pas d’y penser, je me demande comment elle le tient. Je farfouille un peu dans les rayons et je tombe sur la robe que je considère comme la plus moche, mais elle est la plus bouffante, la plus extravagante.
Je la lui montre.
— Vous en pensez quoi ?
Son visage de folle se transforme en un sourire radieux, elle s’approche de moi et la regarde.
— Il faut que je l’essaie.
Et elle part avec, sans même regarder la taille. Heureusement que je l’ai fait. La vendeuse me regarde et sort un petit ouf à peine audible.
— Venez m’aider ! Vous ne pensez pas que je peux mettre ça toute seule.
Je me dirige vers la cabine, l’aide, puis, une fois que c’est fait, elle sort et se regarde dans la glace.
— Magnifique !
Non ! C’est une horreur ! Je n’ai jamais vu une robe aussi affreuse. Je me demande pourquoi la vendeuse a ceci dans ses rayons étant donné que le reste est magnifique. Je la regarde et elle rigole discrètement. Quand elle me voit la fixer, elle lève les épaules et me murmure que c’est une erreur de commande. Ah, je comprends mieux.
La vendeuse s’approche de Marsila.
— Elle te va tellement bien, je suis presque jalouse ! Cette robe est faite pour toi.
— Bien sûr qu’elle est faite pour moi. Je veux celle-là.
La vendeuse qui ment pour lui refiler sa robe invendable me fait sourire. Je reste en retrait et ne dis rien, je n’ai pas envie de mentir, de ne pas dire le contraire. Si mademoiselle Jackson veut la plus moche des robes, eh bien soit. La vendeuse prend toutes les mesures qu’il faut pour pouvoir l’ajuster.
— Et tu as intérêt à faire ça bien, ne va pas gâcher mon mariage. Je sais que tu es jalouse que j’épouse celui que tu as tant convoité, mais ce n’est pas une raison pour ruiner ma robe.
Je pense que ça, elle n’a pas besoin d’elle. Marsila finit enfin par enlever cette horreur et la vendeuse lui demande de payer l’intégralité de la robe, ce qui est bizarre, car, en général, c’est une partie avant et le reste après. Mais je comprends très vite pourquoi quand elle lui dit :
— C’est au cas où tu changerais d’avis. Je ne veux pas y faire les retouches pour rien, si d’un coup, tu n’en veux plus.
Oui, je comprends parfaitement que, vu l’horreur, elle veut être sûre que mademoiselle Jackson ne se réveille pas de son aveuglement et voit à quel point elle est ridicule.
Nous allons ensuite chez le traiteur, qui lui propose un panel de ce que je lui ai préréservé par rapport à ses envies, à elle, et ce que je pense que son fiancé aimerait. Mais, comme dans la boutique précédente, elle chipote sur tout, sauf sur le prix, ce qui est déjà un plus. Le traiteur a une patience d’ange, mais j’essaie quand même de la faire se dépêcher un peu, car nous avons encore à faire. J’ai réussi à caler la fleuriste et la pâtisserie le même jour, ce qui est un exploit.
Mais vu que madame la princesse m’a dit « je n’ai pas que ça à faire, je ne vous donne qu’une journée », je me suis démenée. Heureusement qu’on n’est pas à New York, sinon ça aurait été impossible.
L’étape suivante est la pâtisserie. Le gâteau qu’elle choisit est encore plus laid que la robe, elle a vraiment des goûts hors du commun.
Quand on arrive chez la fleuriste, je lui présente enfin mon projet. À chaque fois que j’ai voulu lui en parler jusque-là, elle n’avait jamais le temps. Elle veut un mariage à la Cendrillon, eh bien, elle l’aura. Il est temps de lui dire tout ce que j’ai prévu et, à chaque mot, je vois ses yeux qui pétillent. C’est pour ça que je suis devenue organisatrice de mariage, pour voir cette joie chez les gens. Je suis en train de faire construire, par un homme de la région, un carrosse comme celui de Cendrillon, et un autre est en train de fabriquer les ornements des chevaux, les mêmes que dans les dessins animés.
— Merci, merci beaucoup. Vous êtes ma marraine comme dans le dessin animé !
C’est possible, mais je ne me souviens pas que la marraine soit allée coucher avec le prince et soit tombée sous son charme. À l’écouter, je me rends compte que c’est encore une enfant. Elle rêve du prince charmant et elle a dû voir ça en Wayatt. Moi aussi, je pense la même chose, mais ça ne sera jamais avec moi qu’il finira. Ça sera sûrement un autre, ou des chats, qui le remplacera.
La fleuriste va commander des tonnes et des tonnes de pétales de roses, c’est la plus grosse commande de toute sa vie. Je veux faire un chemin où va passer le carrosse, du départ jusqu’à la fin et il y aura aussi des fleurs partout. C’est le plus gros budget, mais c’est ce qu’elle veut et elle est enfin tellement contente.
La journée enfin finie, je suis crevée et je n’ai plus qu’une seule envie, aller dormir. Je ne mange même pas, monte directement, note quelques informations et m’endors rapidement.
Les jours passent et je vais retourner un peu chez moi. Mes parents souhaitent que je passe Thanksgiving avec eux et, vu que tout est déjà presque prêt, je décide d’y aller. Le mariage étant dans un mois, je peux parfaitement rentrer, pour ne revenir qu’une semaine avant. D’ici là, je peux gérer le reste par téléphone.
Je n’ai toujours pas revu Wayatt, on dirait qu’il m’évite. Je ne vois d’ailleurs aucun des enfants et, même si ça m’ennuie, je préfère. C’est difficile, mais ça reste supportable tant que je ne le vois pas.
Marsila a bien proposé de me faire rester, mais je lui ai expliqué que j’étais ici déjà plus que j’aurais dû à la base. Elle a cru que mon refus de passer cette fête avec eux était parce que j’avais entendu que la famille Mac Bryant serait là.
Je prends ma voiture, et commence à rouler, mais je sens qu’on m’observe. Je tourne la tête et il est là, sur son cheval, avec un halo de lumière qui l’entoure. Wayatt ne dit rien, ne bouge pas, il ne fait que me regarder partir loin d’ici. J’ai envie de m’arrêter et de courir vers lui, mais je ne le fais pas, évidemment, et continue mon chemin en détournant vite la tête.
Je roule un long moment avant d’arriver enfin à l’aéroport. Dans l’avion, je regarde par le hublot, cet état que j’ai, en fin de compte, assez apprécié. C’est sûr qu’on est loin de la grande ville et, moi qui pensais ne pas aimer la campagne, je trouve que ce n’est pas si mal, après tout. Je suis placée à côté d’un homme qui tape sur son ordinateur comme si sa vie en dépendait et le bruit de ses touches me fait mal à la tête. Pourquoi je n’ai pas pris une place en première classe ? Je ne sais même pas.
À l’atterrissage, une autre boule se forme. Je ne veux pas revoir mon ex, je souhaite juste aller chez mes parents, et partir ailleurs, ensuite. Je ne sais pas où, mais j’ai vraiment besoin de déconnecter et je pense que la campagne serait une bonne chose. Une fois dans le hall de l’aéroport, je reconnais tout de suite le chauffeur de mes parents. Il me connaît depuis que je suis petite et, pourtant, il arbore encore une pancarte avec mon nom. Comme si j’allais l’oublier en route ou lui ne plus se souvenir de mon visage. Quand je m’approche de lui, il sourit et me regarde avec bienveillance.
— Bonjour, mademoiselle.
— Bonjour, Édouard.
— Vous avez fait bon voyage ?
— Très bien, merci.
Il me prend mon sac. Étant donné que je vais repartir dans ces contrées sauvages du Texas, je n’ai quasiment rien emporté.
— Je peux le porter, tu sais ?
— Si je ne le faisais plus, mademoiselle, je ne servirais plus à rien et vos parents me vireraient.
— Comme si mes parents allaient se séparer de toi !
Je lève les yeux au ciel et nous partons vers la voiture. Une fois dedans, je regarde par la fenêtre les immeubles passer, les gens se bousculer et avoir une vie aussi chargée que dénuée d’intérêt. L’argent, il n’y a que ça qui commande les grandes villes. Dans les campagnes aussi, mais différemment, on pense surtout à soi et l’amour pour les animaux est tellement important. Enfin de ce que j’ai vu avec Wayatt. Ici, des immeubles immondes gâchent tout le paysage et je n’avais jamais vraiment remarqué avant, mais le bruit est affreux. Même à Dallas, ce n’est pas à ce point-là.
Une fois devant l’immeuble de mes parents, je souffle et me prépare à descendre.
— Mademoiselle Clarks, vos parents vous ont prévu une surprise. Mais pas une bonne.
— Ah bon ? Quoi ?
— Je ne peux pas vous le dire, mais préparez-vous au pire.
— Euhhh… Merci.
Je sors enfin du véhicule, entre dans l’immeuble et dis bonjour au gardien. Une fois dans l’ascenseur, je tape le code et il m’emmène directement au penthouse de mes parents. Je ne suis même pas passée chez moi de peur d’y croiser quelqu’un que je n’ai pas envie de voir.
Une fois en haut, les portes s’ouvrent et la vision que j’ai devant mes yeux me donne tout de suite envie de repartir et de me terrer au fond d’une écurie.
— Bonjour, Zoé.
— Cole ! Mais qu’est-ce que tu fais là ?
— Bonjour, Zoé.
Je regarde la personne qui vient de me dire bonjour à son tour et je tombe sur le regard de mon ex-meilleure amie. Je n’en crois pas mes yeux.
— C’est une blague ?
Mon père s’avance vers moi.
— Non, je pense qu’il faut qu’on parle. Tous.
— Quoi ?
Je cherche ma mère des yeux pour qu’elle m’aide, mais elle détourne la tête et refuse de me regarder.
— Maman ?
Elle me regarde enfin, avec peine.
— Écoute ce qu’ils ont à dire avant de te braquer.
Je ne me sens pas bien du tout d’un coup, je me rends compte que je viens de tomber dans un coup fourré. La tête me tourne et, après, c’est le trou noir.

Le Ranch Mac Bryant Où les histoires vivent. Découvrez maintenant