Chapitre 2 Zoé

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Bon sang de bonsoir, pourquoi ils annulent tous les uns derrière les autres ? Ça n’a pas suffi qu’il me brise la vie ? Il faut, en plus, qu’il entache ma carrière ? Je regarde le magazine devant moi, une larme coule dessus, et puis une autre, avant que la rage ne monte en moi. J’attrape la revue et la déchire en mille morceaux. Je vais le tuer, je vais étriper ce connard !
Mon téléphone sonne à nouveau. Je n’ai pas envie de décrocher, je sais déjà que c’est une mauvaise nouvelle ou, pire, mes parents. La sonnerie s’arrête enfin et je m’écroule par terre en pleurant. Pourquoi il m’a fait ça ? J’ai toujours été la petite amie parfaite. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter tout ça ?
On frappe à ma porte, j’arrête mes couinements un instant, mais je ne veux pas répondre non plus. Et si c’était lui ? Oh non, je ne pense pas du tout que ça soit ça. Il est tellement prétentieux qu’il n’oserait jamais venir me voir maintenant, car ça voudrait dire ramper et prendre ma colère. Je le sais, il va attendre que tout se tasse et revenir comme une fleur, ou alors il va attendre que je vienne m’excuser pour quelque chose que je n’ai pas fait.
Mon téléphone se remet à sonner. Je me lève et vais dans ma chambre, j’ouvre la couette et me mets dedans pour ne plus rien entendre, pour ne plus supporter tout ce bruit. Un mal de tête arrive et je n’ai même plus la force de lever les yeux. Je reprends mes pleurs, en silence cette fois, et je finis par m’endormir, je ne sais comment.
Quand j’ouvre les yeux, c’est pour tomber sur ceux de mon fiancé, l’homme que j’aime plus que tout. Il est là, devant moi, comme si de rien n’était.
— J’ai essayé de t’appeler, Zoé, mais tu ne réponds pas.
Ah bon ? Je dois vraiment être aux petits soins avec Cole, après tout ce qu’il m’a fait ? Je m’assois dans mon lit et me frotte le visage. Quand je regarde mes mains, je me rends compte qu’elles ont des traces noires. Mon maquillage a coulé, je dois être affreuse. Mais qu’est-ce que j’en ai à faire, en fait ? Je me lève, le pousse pour passer, je vais dans la salle de bain sans un mot et me regarde dans la glace. Effectivement, je ne ressemble à rien. Je prends le produit pour me nettoyer, une lingette lavable et j’entreprends de me démaquiller.
Je l’entends ouvrir la porte et le sens derrière moi. Quand je regarde dans le miroir, je croise ses yeux. Il est sans émotion, comme d’habitude.
— Il faut qu’on parle, Zoé.
Je ne lui réponds rien et continue à enlever mes yeux de panda.
— Zoé, je suis sérieux.
Une fois que j’ai fini, je passe à côté de lui, mais il me retient par le bras.
— Zoé, je…
Je ne lui laisse pas le temps de finir, je tire sur mon bras et vais ensuite dans ma chambre où je me déshabille. Même si je sais qu’il est là, je n’en prends pas garde, ça n’a pas d’importance, il m’a déjà vue nue plus d’une fois. Je l’entends souffler plus fort, comme à chaque fois qu’il voit mon corps dans le plus simple appareil. Moi qui pensais que ça suffisait, eh bien, je me suis trompée. Je mets un legging et un long tee-shirt, je me prépare déjà pour le après, quand je vais être seule et désespérée.
— Zoé, tu veux bien arrêter cinq minutes ?
Je me dirige vers mon salon et m’assois sur le canapé. Il ne me lâchera pas, de toute façon, alors il vaut mieux que je l’écoute maintenant. Il s’installe dans le fauteuil en face, penche la tête en avant et pose les coudes sur ses genoux. À croire qu’il doit prendre tout son courage pour me parler…
Je ne pensais même pas qu’il allait venir, alors je m’attends à tout pour la suite.
— Je suppose que tu as vu les photos ?
Je le regarde, mais c’est tout ce que je fais.
— Ça veut dire que oui… Écoute, ce n’est pas ce que tu crois…
Et voilà, la fameuse phrase fatidique que l’on entend dans tous les films… Ce n’est jamais ce qu’on croit. Il a été pris en photo par le magazine people en plein coït, mais, non, ce n’est pas ce que je crois. C’est son sexe qui a malencontreusement glissé jusqu’au vagin de Petra, ma meilleure amie. Enfin, mon ancienne meilleure amie ! Petra et moi, on se connaît depuis toujours, on a fait les quatre cents coups ensemble, nos familles ont toujours été liées et elle était comme une sœur pour moi. M’avoir fait ça, c’est un coup de poignard dans le dos. Elle a couché avec mon fiancé.
Je me demande si c’était la première fois. Oh non, à mon avis, on me prend pour une conne depuis très longtemps.
— C’était un accident, je te jure ! Je suis désolé.
Et voilà, on en vient à l’accident. J’ai des images dans la tête, de lui qui glisse alors qu’il est nu et pouf, il s’emboite en elle… Je n’arrive pas à m’en empêcher, j’ai un fou rire qui me prend. Pas un petit, je suis carrément pliée en deux. J’en pleure, mes nerfs me lâchent à cet instant.
— Qu’est-ce qu’il y a de drôle, Zoé ?
Je lève la tête, le regarde et me marre de plus belle. J’essaie de reprendre mon souffle, mais j’ai du mal. Quand ma bouche se débloque enfin, j’arrive à prononcer quelques mots :
— Je t’imagine glisser nu et entrer en elle par accident…
Ça ne le fait pas du tout rire, mais moi si. Il attend que je me calme et, quand c’est enfin fait, il reprend les mensonges qu’il a dû réviser avant de venir.
— On s’est rencontrés, et puis on a discuté… Et on a trop bu.
Ce qu’il ne dit pas, c’est que, à moi, il a dit qu’il était en réunion. Drôle de réunion, effectivement.
— Et puis je ne me souviens pas trop… Mais j’ai vu l’ampleur de mon erreur ce matin, dans les journaux. Je suis désolé, ma puce.
Au surnom qu’il me donne depuis toutes ces années, je me crispe. Je déteste qu’il m’appelle comme ça, mais j’ai supporté, car je l’aimais. Ce n’était pas réciproque, apparemment, car comment peut-on aimer quelqu’un et le tromper, avec sa meilleure amie en plus.
— On va oublier ça et continuer notre petite vie comme si rien ne s’était passé.
C’est là qu’il se trompe. J’ai supporté beaucoup de choses avec cet homme, il m’a humiliée en me disant tout le temps que j’étais moche, il m’a rabaissée en me disant que je n’étais rien, et il ne m’a pas encouragée quand je lui ai dit que je voulais être wedding planner… Pour lui, une femme doit rester à la maison, mais moi, je ne suis pas faite pour ça. J’ai beau être riche et venir d’une famille qui a la fortune du PIB d’un petit pays, j’ai besoin de me sentir utile et de faire ce que j’aime. Organiser des mariages, ça a toujours été mon rêve, même si, quelquefois, c’est contraignant et fatigant et que, parfois, j’ai envie de trucider les mariés. J’aime faire ça.
Cole a toujours voulu me décourager, il a tout fait pour que j’échoue et, là, avec sa tromperie, je pense qu’il a réussi à le faire.
Je m’occupe principalement des mariages de gens très riches. Grâce à mon nom et celui de mes parents, j’ai pu me faire une clientèle aisée, mais, quand ils ont vu le scandale, et deviné que mon nom allait être traîné dans la boue, ils ont tous préféré annuler notre collaboration. Bien sûr, vu qu’on a un contrat, j’aurai l’argent, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je m’en fiche, je pourrais même le faire gratuitement, mais ma société va en prendre un coup, surtout mes employés. Même si je peux les payer, quoi qu’il arrive, si je ne me relève pas de tout ça, je ne pourrai pas les garder indéfiniment. Tout ça à cause de mon ex-fiancé. Oui, ex, car il n’est pas question que je me marie avec un homme pareil.
Je suis complètement dépassée. J’avais une belle vie avant, et je me demande ce qui va arriver maintenant. J’ai tout perdu, je n’ai plus rien… Une colère monte en moi, je suis détruite et, tout ça, à cause des personnes qui comptent le plus pour moi.
Je me lève et prends la première chose qui me vient dans les mains. C’est une coupe à fruits en cristal.
— Dégage de chez moi.
— Mais, ma puce, je…
— Barre-toi ou je te jure que je te balance ça en pleine face !
— Bon, je vois que tu es en colère, je repasserai quand tu seras calme et réfléchie.
— Jamais, tu m’entends ! Je ne veux plus de toi. On va annuler nos fiançailles et tu pourras vivre ta vie avec Petra.
— Non ! Mais tu ne peux pas faire ça…
— Je vais me gêner, tiens !
— Bon… Je reviendrai plus tard.
— Putain, barre-toi ou je te jure que…
Il lève les bras en l’air et s’en va enfin. Il m’a obligé à avoir un langage fleuri, pfff… Quand j’entends la porte se fermer, je m’effondre sur le sol, une nouvelle fois, en lâchant ma coupe qui ne se casse même pas. Je passe un long moment allongée sur le sol. Mon téléphone continue inlassablement à faire du bruit que je ne supporte plus et, quand j’en ai enfin la force, je me relève, le prends et le lance contre le mur. Il est maintenant en mille morceaux, mais, au moins, je ne l’entends plus.
Je passe les jours suivants devant la télé, à regarder des séries sur Netflix et Amazon vidéo. J’enchaîne toutes les comédies tristes et romantiques. Je me bourre de glace que je commande et qu’on vient me livrer, je ne suis pas sortie de chez moi depuis des jours. On est venu plusieurs fois frapper à ma porte, mais j’ai fait comme si je n’étais pas là. Je ne me suis même pas lavée, je sens mauvais, mais je me contemple dans ma crasse. Je sais, qu’au bout d’un moment, je devrais retourner à la réalité, mais je n’en ai pas envie pour le moment, je préfère rester là, à ne rien faire, et à attendre que le temps passe.
J’entends frapper, ça doit être le livreur qui m’apporte la suite de mon médicament pour la dépression. Je me lève, ouvre et tombe sur ma mère.
— Tu n’es pas le livreur de glace ?
— Non, comme tu peux le voir.
Elle me regarde de haut en bas.
— Si tu viens pour être la porte-parole de Cole, tu peux repartir, maman.
— Pas du tout. Ça, c’est le travail de ton père, pas le mien.
Elle me pousse et entre dans mon appartement. Elle regarde partout, puis ses yeux reviennent sur moi.
— Zoé, tu ne peux pas te laisser aller comme ça !
Ma mère a quarante-huit ans et, pour son âge, elle reste une très belle femme. Elle refuse la chirurgie esthétique, comme le font la plupart des nanas dans notre milieu, elle préfère s’entretenir avec des crèmes et un coach sportif qui la suit depuis des années. Ça porte ses fruits, elle est aussi belle que ses amies qui choisissent la facilité. Mon père et elle se sont rencontrés alors qu’ils n’avaient rien. Ma mère avait à peine dix-huit ans quand je suis née, je n’étais pas prévue, mais ça ne l’a pas empêché de me garder et de faire toujours au mieux pour moi. Elle travaillait pour pouvoir payer les études de mon père et, même si ces années, quand j’étais petite, n’ont pas été faciles, elle a toujours tenu bon. Aujourd’hui, grâce à des logiciels que mon père a fabriqués et qui ont eu un franc succès, ils sont riches. Moi aussi d’ailleurs, puisque à ma majorité, ils m’ont donné une petite fortune personnelle à utiliser comme je le souhaitais. Ils savaient parfaitement que je ne suis pas dépensière et que j’allais utiliser cet argent correctement. La seule chose que je me suis achetée d’un coût élevé, c’est cet appartement, il y a douze ans maintenant. Je m’y sens bien, j’y suis comme chez moi.
Je m’assois sur le canapé et attends ma sentence. Ma mère, contrairement à mon entourage, m’a toujours encouragée à faire ce dont j’avais envie et, quand j’ai créé ma société il y a cinq ans, elle était la première à me soutenir. Ce qui n’a pas été le cas de mon père qui trouvait que c’était futile et que, si je voulais gagner de l’argent, je devrais plutôt investir dans l’immobilier, qu’une société comme ça ne pourrait pas me rendre riche. Mais je ne veux pas être plus riche que je ne le suis, ce que je veux, c’est faire ce que j’aime.
— Zoé, j’ai vu les photos, je suis désolée pour toi.
Je souffle, je n’ai pas envie de sa pitié.
— J’imagine ce que tu vis en ce moment.
Non, elle ne sait pas. Mon père et elle ont toujours été en osmose, ils ne se disputent que rarement et, quand ça arrive, ils finissent toujours par se réconcilier rapidement et à rire ensemble. J’ai toujours envié leur relation. Même si j’aime Cole, nous n’avons jamais été comme ça. Si je voulais que ça s’arrange, lors de désaccords, il fallait que ce soit moi qui m’excuse de mon comportement, même quand il était en tort. Je me suis dit qu’avec le temps, on deviendrait plus en adéquation, mais je me suis trompée. Et il n’a fait que me mentir et me tromper. Je me demande si, en fin de compte, pour lui, je n’étais pas juste là pour remplir son compte en banque trop souvent dans le rouge. Il ne manque pas d’argent, mais il fait tout le temps des investissements risqués et c’est vrai que parfois j’ai dû l’aider. Je payais aussi le restaurant ou toute autre sortie. Il disait qu’il est pour l’égalité des sexes et que, vu que je suis celle qui a le plus d’argent, c’était normal que je paye. Mais je me demande si, en fin de compte, je n’étais pas pour lui une banque. Heureusement que j’ai toujours été réticente à lui donner de l’argent, car il aurait pu me dépouiller. Quand j’y pense, peut-être que le mariage était pour lui la solution pour avoir accès à ma fortune. Je ne le saurai jamais, car je ne veux plus jamais parler à ces deux traîtres.
Je me fais plein de films et de suppositions dans la tête, mais si ça se trouve, c’était juste ce qu’il a dit, un moment d’égarement… Mais, même si c’était le cas, c’est impardonnable. Enfin, pour le moment. Je ne sais plus, je n’ai plus envie de réfléchir et de penser à ça pour le moment. J’ai juste envie que ma mère parte de là et me laisse seule avec mon petit ami du moment, Ben & Jerry.
— Maman, j’ai envie d’être seule.
— Non ! Aujourd’hui, je vais te sortir de ta solitude, tu vas venir avec moi, j’ai prévu un massage dans une heure.
— Je n’en ai pas envie.
— Ce que tu veux, je m’en fiche, jeune fille. Va te laver, car tu ne peux pas décemment y aller comme ça. Ensuite, on part.
Elle se lève et me prend le bras pour que je me redresse.
— Allez, zou, jeune fille, je t’attends !
Je lève les yeux au ciel, mais écoute ce qu’elle dit. Je lui obéis toujours, même à trente ans. Je vais sous la douche et, quand je vois la couleur de l’eau, je me dis que oui, j’ai légèrement exagéré.

Le Ranch Mac Bryant Où les histoires vivent. Découvrez maintenant