Chapitre 14 Wayatt

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J’ai eu peur qu’il lui fasse du mal. Je n’aurais pas dû intervenir ni la toucher, mais, en la voyant comme ça, j’ai perdu le contrôle de moi-même. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je ne suis pas violent, mais, la voir face à sa détresse, j’ai encore perdu la tête.
Avoir sa main dans la mienne, en traversant la foule, me donne des fourmis. Je n’ai plus envie de la lâcher, pourtant, il faudra bien que je le fasse, j’ai compris la leçon, avec son homme qui est venu la dernière fois. Même si je ne veux que ça, être avec elle, ça ne pourra jamais arriver. Notre interlude est terminé et elle et moi allons devoir faire avec. J’ai comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête, car, même si elle était libre, moi, je ne le suis pas et ne le serai jamais.
Quand nous sommes à l’abri des regards, je m’arrête enfin.
— Ça va ? Tu n’as rien ?
— Non.
Elle tire sur sa main pour se libérer, ça me fait bizarre, comme un vide.
— Merci, maintenant tu peux partir.
Elle commence à s’éloigner de moi, mais je la rattrape au dernier moment.
— On n’aurait pas dû faire ça, je…
— Tu me l’as assez dit, j’ai compris, je suis un succube, un monstre du sexe. Maintenant, le démon que je suis s’en va avant que le pauvre jeune homme ne se fasse happer par elle, encore…
Je ne la lâche pas pour autant.
— Il faut qu’on parle.
— Je n’en ai pas envie.
— Moi, je pense que si. Il faut qu’on mette les choses au clair maintenant.
Je regarde autour de moi et je lui reprends la main, pour partir encore plus loin, là où nous serons bien cachés, dans un endroit où personne ne nous verra et où l’on ne risquera pas d’être dérangés. Elle me suit sans difficulté. Nous sommes très loin de la fête dorénavant.
Je la lâche et la regarde.
— J’ai été trop loin et trop insultant, je tiens à m’excuser. Je n’ai pas su gérer mes émotions.
Je lui dis la vérité, ça ne sert à rien de lui mentir ni de me leurrer. Je veux régler ça, repartir sur de bonnes bases. Pas aussi bonnes que ce qu’on a fait, mais, au moins, pour qu’on ne se regarde plus avec haine.
— Je ne suis pas une prostituée ou je ne sais quoi.
— Je le sais. Je n’aurais jamais dû dire ça.
— Hum…
Elle tourne le regard pour éviter le mien.
— Bien… C’est bon, c’est tout ce que tu avais à me dire ?
— Non. Il faut qu’on arrête de se sauter dessus dès que nous sommes seuls.
— C’est toi qui es venu jusqu’à Dallas pour me rejoindre.
Elle a raison, c’est toujours moi qui ai été l’instigateur de nos plaisirs.
— Oui, je voulais qu’on s’explique, je n’arrive plus qu’à penser à ça. Et quand je t’ai vue, là, toujours aussi belle, toujours aussi désirable, je n’ai pas su résister. Mais c’est mal ce qu’on fait. Je suis fiancé, tu l’es aussi. Nous sommes de mauvaises personnes, nous trahissons nos conjoints respectifs.
Elle baisse la tête et regarde ses pieds.
— Je suis d’accord, en plus, je prépare ton mariage.
— Oui, c’est vrai. Je veux qu’on reste cordial, Zoé. Mais, ça, on ne peut plus le faire.
— Je le sais, c’est mal.
Elle lève la tête et me regarde. Mon Dieu, mon corps réagit avant mon cerveau et mes lèvres se retrouvent sur les siennes. Je l’embrasse comme si ma vie en dépendait. Elle finit par me pousser et s’éloigner de moi.
— Au revoir, Wayatt.
Je la regarde partir, j’aurais aimé faire tellement plus, son corps me manque déjà. Mais elle a raison, il faut arrêter ça avant de partir encore plus loin. Quand la tension en moi redescend, je retourne à la fête.
— Tu étais où ? Je te cherchais partout.
Marsila me saute dessus et je lui fais un faux sourire. Mes pensées restent dans cet endroit caché, avec Zoé.
— J’étais aux toilettes.
— Oh d’accord.
Elle a une voix qui me crispe, je ne la supporte pas. J’ai été obligé de lui dire oui, quand elle m’a demandé de passer la journée avec elle et, même si je résiste, il faut que je m’habitue à sa présence, car, bientôt, elle partagera ma maison et mon lit. Quoi que je pense, même si je ne le veux pas, c’est avec elle que je vais vivre et, commencer à m’y habituer, c’est la meilleure solution.
Elle me tire par le bras et je me laisse emporter comme un gamin. Je ne ressens pas les mêmes choses qu’avec Zoé, pourtant, peu importe mon envie, je la suis.
— C’est l’heure de l’attrapé du cochon. Tu vas le faire, hein, chéri ?
Ce doux surnom pique dans mes oreilles. Je me contente d’afficher un faux sourire sur mon visage.
— Oui.
— Et tu vas gagner, hein ? Ne me fais pas honte !
Je lève les yeux au ciel, mais ne rajoute rien.
— Messieurs les cowboys, c’est le moment de nous montrer comment vous êtes doués de vos mains.
Cette phrase, à la limite de la consonance sexuelle, me fait doucement sourire. Je sais à présent que je suis doué de mes mains, je sais être aussi doux que brutal et… Je suis poussé dans le dos.
— Allez, vas-y, Wayatt !
Je me retrouve parmi les candidats. Je l’ai déjà fait l’année dernière, mais je n’ai pas gagné. Ce n’est pas mon truc de jouer avec les animaux, je n’aime pas ça. Je suis rancher, j’ai du respect pour eux, mais, ici, si tu ne fais pas ces jeux, tu passes pour un nul. J’essaie de cacher mon côté plus sensible à côté de tous ces machos, sinon je vais finir par être la risée de la ville. Et ce n’est jamais bon pour les affaires, surtout au Texas.
Je lève la tête et je la vois, elle me regarde. Je reste statique un bon moment, arrive à lire sur ses lèvres un « bonne chance » qui me donne le sourire et la force, pour une fois, d’essayer de gagner. L’organisateur met de la graisse sur le porc, je remonte mes manches et les tourne… À nous deux, petit cochon !
— Vous êtes prêts, les gars ?
— Ouais !
— Alors, c’est parti !
On se jette tous dessus, mais la petite bête est trop maligne pour nous, elle arrive à s’échapper de nos bras. J’attends qu’elle passe à côté de moi. La patience, c’est ce qui, pour moi, me fera gagner. Quand le petit cochon s’approche, je me baisse, l’attrape et le serre contre moi, doucement, mais fermement, sans lui faire de mal. Tous les autres s’arrêtent et attendent.
— 9, 8, 7…
Je dois le tenir dix secondes comme ça, c’est long. La petite bête se débat, je sens qu’elle va bientôt me filer entre les doigts, je prie et suis soulagé quand enfin, j’entends le zéro au micro. Je pose le petit cochon par terre, doucement, Marsila me saute aussitôt dans les bras alors que, moi, la première chose que je fais, c’est de regarder Zoé. Je vois juste un air triste sur son visage et elle part. Je continue à regarder son dos, Marsila en profite pour me faire un petit bisou sur la bouche. Bon sang, je ne l’avais pas vu venir, celui-là ! Elle n’a pas insisté, heureusement, car, devant tout ce monde j’aurais été obligé de me laisser faire.
— Bravo, Wayatt, tu es trop fort.
— Ouais.
Là où j’étais content il y a quelques secondes, une mélancolie me prend et j’ai juste envie de partir d’ici. Je redescends mes manches et, après avoir reçu mon prix, je me sauve. Enfin, j’essaie, car je n’ai pas parcouru deux mètres que ma chère fiancée me stoppe.
— Tu vas où ?
— Boire un coup.
Je la laisse là et pars m’hydrater ou, plutôt, je vais essayer de me retenir de ne pas me saouler, juste pour ne plus penser à tout ça pendant cinq minutes. Puis je me balade seul à travers la fête. M’être débarrassé de la sangsue me fait un peu de bien.
Je ne sais pas comment ça se fait, mais, à un moment donné, je sais que Zoé est là. Je la sens au plus profond de moi. Je me retourne et, effectivement, elle est derrière moi. Elle ne m’a même pas remarqué. Je vais devenir dingue. Quand elle me voit à son tour, je décide de partir vite de là, avant de faire une bêtise et de l’embrasser devant tout le monde.
Je passe le reste de la journée à flâner, seul, en évitant un maximum tout le monde. Quand arrive le soir, je suis obligé de les rejoindre, mais le cœur n’y est pas. Il ne l’a pas été de la journée, je crois.
— Hé, Wayatt, tu étais où ? On t’a cherché partout.
— Je me promenais.
— On va manger, tu viens avec nous ?
— Oui.
Je suis mon frère Omalé qui m’emmène dans cette atmosphère étouffante que je n’aime pas, ou plus. Zoé est là avec tout le monde.
— On l’a invitée à rester avec nous, elle était toute seule.
— D’accord.
Je suis le petit groupe jusqu’à notre table qu’il avait déjà réservée. Ce soir, on mange typiquement texan. Pendant tout le repas, Marsila ne fait que parler. Elle ne s’arrête pas, c’est en boucle. Moi qui suis d’un naturel discret, je me dis que c’est une bonne chose, car, même si elle me saoule, elle parlera pour moi au moins. Et vu qu’elle n’attend jamais de réponse, je n’aurais même pas à le faire.
— On va danser, hein, Wayatt, après ?
— Quoi ?
— On va danser après ?
Je regarde l’orchestre qui joue depuis plusieurs minutes et je lui fais un oui de la tête. C’est dans la tradition, faire une petite danse country, c’est dans nos gênes.
— Zoé, tu viendras danser avec moi, poupée.
Je regarde mon frère et lui mets un coup de coude. Outre qu’on ne parle pas comme ça à mon organisatrice de mariage, je n’ai pas envie qu’ils dansent ensemble. Rien que d’y penser, ça m’énerve. Je lève la tête et constate qu’elle me regarde, puis me fait un sourire que je n’aime pas et se tourne vers mon frère.
— Avec plaisir. Mais il faudra m’expliquer, car je ne sais pas danser ce genre-là.
— Mais pas de souci.
Mes dents se serrent et mes poings aussi. Je souffle discrètement plusieurs fois pour éviter de m’énerver. Je n’ai pas le droit d’être dans un état pareil, mais je n’arrive pas à me contrôler, j’ai même envie de hurler. Je bous pendant le reste du repas jusqu’à ce que Marsila se lève et vienne me prendre par la main. Je la suis de mauvaise grâce, surtout quand je vois mon frère saisir celle de Zoé. Ça devrait être moi, ça devrait être ma main qu’elle a dans la sienne. À ce moment-là, je déteste Marsila et son père, car, si j’avais pu me dégager de ce mariage fictif, je sais que je me serais battu pour l’avoir dans ma vie. Peut-être pas pour toujours, car elle aime la grande ville, ou peut-être que si après tout. Tout quitter, tout… Je deviens dingue. Je l’ai déjà dit, mais c’est son aura qui me perturbe. Quand je parlais de succube, je le pensais vraiment, mais pas dans le sens qu’elle pense, seulement parce que je n’ai jamais été attiré par une femme avant elle. C’est la première fois que ça m’arrive et j’en suis obsédé. Pas qu’un peu, en plus. J’espère que, quand elle partira définitivement, quand Marsila sera ma femme, j’y penserai moins, que je réussirai à la chasser de mon esprit.
— Tu peux mieux te concentrer, Wayatt ? Tout le monde nous regarde.
Marsila me réveille, j’étais parti loin d’ici et je faisais n’importe quoi. Je n’ai pas envie d’être là, je ne veux plus rester ici alors, sans un mot, je quitte la danse. Je ne regarde même pas mon frère et Zoé, je ne veux pas savoir ce qu’ils font, je ne veux pas les voir ensemble.
J’entends quelqu’un qui court après moi…
— Wayatt, Wayatt !
Je ne me retourne pas. Mon but ? Me retrouver seul avec moi-même, mais c’est sans compter sur Marsila, la glu, qui se place devant moi et m’arrête.
— Pourquoi es-tu parti, Wayatt ? Tu n’imagines pas la honte que tu viens de me mettre ?
— Je m’en fiche, Marsila, je veux juste être seul.
— Non ! Nous sommes fiancés. En public, tu dois faire un effort.
— Nous sommes fiancés, car tu m’y obliges ! Ce n’est pas par envie, mais par obligation, alors lâche-moi un peu.
— Tu as quand même un rôle et…
Mon regard est happé par un mouvement derrière nous et je vois Zoé, les deux mains sur la bouche. Elle vient de comprendre, elle sait maintenant que je ne me marie pas par envie. J’ai honte de rester là, devant elle, pendant qu’elle écoute le récit de ma déchéance, alors je pars, en courant, dans la forêt à côté. Personne ne me suit.
Quand je suis assez loin, je m’assois le long d’un arbre, remonte mes genoux, mets la tête dedans et attends que ma tristesse passe. Comme si je n’étais pas déjà passé pour un looser, maintenant elle connaît mon pire secret et j’espère qu’elle ne le dira à personne, c’est mon fardeau et celui de personne d’autre. Je ne veux pas que ma famille le sache, je veux qu’ils pensent que c’est par envie que je me marie. D’où je suis, j’entends la musique au loin, et me dis que c’est la pire journée que je vis… Puis Zoé arrive devant moi. Comment cette fille des villes a réussi à me retrouver, si loin, aussi bien caché ?
Elle répond à ma question muette.
— Je savais que tu étais là. Ne me demande pas comment, mais je le savais.
Elle s’approche de moi. Je me lève et la regarde. Je vois de la pitié dans ses yeux et je préfère détourner les miens. Je ne veux surtout pas de pitié, je ne veux rien.
— Regarde-moi !
J’obéis inconsciemment et, quand nos regards se percutent, elle s’approche de moi et m’embrasse.

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