Chapitre 16 Wayatt

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Cela m’est très difficile de l’ignorer, particulièrement depuis que je sais qu’elle est célibataire, mais je suis obligé. Je ne suis pas sûr de résister à sa peau, à sa beauté, si elle est proche de moi. Surtout depuis que je n’ai plus de scrupules. Pour moi, je ne fais rien de mal, pourtant, ça l’est dans un sens. J’étais triste, et en même temps content, quand j’ai su qu’elle ne serait pas là pour Thanksgiving.
Je l’ai déjà espionnée de loin et je dois dire que ce n’était pas facile d’y rester. J’avais envie de m’approcher d’elle, lui dire qu’elle allait rester et qu’elle ne partirait plus jamais à New York, ou du moins pas sans moi. L’effort surhumain que ça m’a fait de ne pas courir vers elle ! Aujourd’hui, elle n’est pas là, pas dans cette maison ni celle d’à côté, et c’est encore plus le vide en moi. Pourtant, il faudra bien que je m’y habitue, car dans un mois, tout ça sera fini. Ma vie reprendra son cours normal et, tout le reste de ma vie, je devrai vivre comme ça. Enfin, j’aurais une femme, bien sûr, mais une que je ne supporte pas, une sale mégère qui va me pourrir la vie jusqu’à la fin de mes jours. Du coup, j’espère que cette fin ne sera pas à cent ans ! Ici, au Texas, on vit assez vieux, ce qui ne me réjouit plus, depuis que je sais que ce sera elle qui me tiendra compagnie.
Aujourd’hui, c’est le jour qui compte le plus aux États-Unis, on se prépare tous, mais je n’ai même pas envie d’y aller.
— Wayatt, tu es prêt ?
— Ouais, j’arrive.
Tout le monde attend. Vu que nous sommes invités par nos voisins, nous n’avons rien à faire que de penser à notre tenue vestimentaire. Je sors de ma chambre et tombe sur ma sœur qui me regarde de haut en bas.
— Waouh, tu es beau comme ça ! Je suis sûre que ta chère fiancée sera aux anges.
Je ne réponds même pas, j’ai bien compris que son ton était sarcastique. Depuis le jour où Marsila a critiqué ma sœur sur son poids, cette dernière a beaucoup de mal à la supporter. Ce que je peux comprendre, car, même moi, je lui en veux encore pour ce qu’elle a dit. Ça me ramène encore, et toujours, à Zoé qui a trouvé une solution pour désamorcer le problème. C’est aussi un souci, car Ana parle tout le temps de Zoé. Heureusement qu’elle n’ose pas aller l’embêter. Omalé aussi n’a que son nom dans la bouche, c’est du Zoé par ci, Zoé par là et je n’arrive pas à déterminer si c’est par défi, car elle le rejette, ou s’il l’aime. Ce qui m’étonnerait de mon frère pour ce dernier point, tout de même.
Je suis ma sœur en bas, où tout le monde m’attend.
— Il t’en a fallu du temps !
— Ouais.
Nous partons tous chez les voisins. J’ai comme un pincement au cœur et, plus j’approche de cette maison, et plus c’est intense. Je sais pourtant qu’elle n’est pas ici.
On a à peine le temps de frapper que la porte s’ouvre déjà. Mélina nous fait un grand sourire et nous dit d’entrer. Elle nous emmène jusqu’au salon où les Jackson se lèvent à notre arrivée. Eux aussi sont sur leur trente-et-un, surtout Marsila qui arbore une tenue plutôt digne d’un défilé de mode que d’un Thanksgiving au Texas. J’enlève mon chapeau et dis bonjour à tout le monde. Marsila essaie de m’embrasser sur la bouche, mais j’ai le réflexe de tourner la tête et sa bouche atterrit sur ma joue. Quand je me recule pour vérifier si on a pu voir mon geste, qui pourrait être interprété comme du dégoût, et donc paraîtrait suspect, je tombe sur les yeux de mon frère Omalé, la mine perplexe. J’essaie de rattraper le tir et la prends par la taille pour la rapprocher de moi. C’est nul, mais j’ai l’impression de trahir Zoé, alors que nous ne sommes pas ensemble et que notre histoire est du passé. J’entends leur conversation, mais ne l’écoute pas vraiment, je suis perdu dans mes pensées. L’hiver qui arrive bientôt est la pire saison chez nous, c’est le moment où il n’y a presque aucune rentrée d’argent. Les ventes de chevaux, et toutes les autres choses qui régissent notre business, se stoppent pendant cette période et nous devons vivre sur les deniers que nous avons touchés pendant la saison. J’ai un peu d’argent, mais pas beaucoup, car ce que mon père a amassé a été englouti par ses dettes. Il faut déjà que je réfléchisse à soit faire un crédit à mon beau-père, ou soit chercher un travail pour nous nourrir cet hiver. Tout le monde me connaît et sait que, même si je ne suis pas trop loquace, je suis un travailleur, ça ne devrait donc pas être trop difficile.
Tous ces problèmes qui se rajoutent, et dont je n’avais pas à me soucier avant, me stressent. J’espère juste qu’Omalé fera un effort pour m’aider, sinon je ne vais jamais m’en sortir. Je sais que ça va être dur pour lui, mais il va falloir qu’il s’investisse plus dans la ferme familiale.
— Alors, vous êtes pressés que ce mariage arrive ?
C’est la seule phrase que j’ai captée parmi d’autres. Tout le monde arrête de faire du bruit et me regarde. Il n’y a pas une place, là, pour que je me loupe… Souris, Wayatt ! Mens, Wayatt ! Fais semblant d’être content, comme tout le monde l’attend.
— Oui, très.
Même moi, je sens le mensonge dans ma voix, ce qui n’a pas échappé à mon frère, encore une fois. Le souci, c’est que lui et moi avons été élevés ensemble, c’est le seul qui voit quand je raconte des conneries. Mais je n’irai pas jusqu’au bout, de toute façon, et il peut avoir tous les doutes qu’il veut, il ne saura jamais la vérité.
On finit par s’asseoir pour boire un verre et Marsila, qui est à côté de moi, en profite pour me caresser la cuisse. Elle sait que je ne peux rien faire, que je suis coincé. Je serre les dents et la laisse faire, mais la sensation de sa main me brûle et quand elle commence à la mettre trop haut à mon goût, je me lève d’un coup.
— Je reviens.
Je cours presque jusque dans les toilettes. Une fois enfermé et certain qu’on ne va pas venir m’embêter ici, je pose mes fesses sur le trône.
Je ne vais pas tenir, je ne vais jamais y arriver !
Comment j’ai pu m’embarquer là-dedans ?
Je sais pourquoi, pour la ferme et pour mes frères et sœurs…
Mince, papa, pourquoi as-tu fait ça ? Ça serait mentir si je disais que je ne lui en veux pas. Je le déteste et, en même temps, sans ça, je n’aurais jamais rencontré Zoé. Bon, ça aurait été peut-être mieux, ça aurait sûrement été plus facile de ne pas découvrir ce que je rate.
Je finis par me calmer, puis sortir et je me cogne contre Omalé qui m’attendait.
— Tu n’as pas quelque chose à me dire ?
— Non.
Mon frère fait sa moue de « quand il n’est pas content ».
— Pourquoi tu me mens, Wayatt ? Il y a quelque chose qui ne va pas, je le vois bien.
— Tu te fais des idées, je ne vois pas de quoi tu parles.
— Vraiment ?
— Oui.
Il me prend par le bras et m’emmène jusqu’à dehors, continue sa marche et je le suis sans rien dire. Je sais déjà ce qu’il pense et quelles réflexions il va me faire. Nier… Nier est tout ce que j’ai en tête.
Une fois que nous sommes assez loin de la maison, il me lâche enfin et se retourne.
— Tu n’aimes pas Marsila ! Bon, pour ça, je peux te comprendre, personne ne peut l’aimer, cette fille.
— Tu te trompes.
— Alors, regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu l’aimes vraiment.
— Pourquoi je ferais ça ? Je n’ai rien à te prouver.
— Dis-le ! Allez, dis que tu l’aimes, Wayatt.
— Je…
Je ferme les yeux et le dis enfin.
— Je l’aime.
Quand j’ouvre les yeux, il n’est pas convaincu.
— Non, dis que tu aimes Marsila.
— C’est bon, je te l’ai dit, retournons au repas.
— Non ! Tu vas me le dire maintenant !
— Tu m’ennuies, Omalé, laisse-moi tranquille maintenant.
Je repars vers la maison, mais il m’arrête, me retourne vers lui et me pousse.
— Dis-le, Wayatt, je veux t’entendre le dire. Moi, Wayatt Mac Bryant, j’aime Marsila Jackson.
Je l’ignore et commence à courir pour repartir, mais il est plus rapide que moi et me rattrape une seconde fois. Cette fois-ci, il me pousse tellement que je tombe par terre. Une colère noire monte en moi.
— Dis-le que tu l’aimes, bon sang !
— Je l’aime, OK, j’aime Zoé Clarks ! Voilà, tu es content ?
Il reste figé et j’en profite pour retourner à l’intérieur. Pourquoi je lui ai dit ça, moi ? Il ne va plus me lâcher maintenant. Je me rassois comme si de rien n’était et je fais un faux sourire à tout le monde. Mon frère revient quelque temps après, mais lui ne sourit pas du tout, il semble même énervé. Par mes révélations, certainement. Je l’ignore, je ne veux pas continuer dans ce jeu.
On finit par nous dire de passer à table et je dois dire que je suis content d’être venu. Pas pour moi, car j’aurais préféré rester seul chez moi, mais parce que mes frères et sœurs peuvent avoir un vrai repas de Thanksgiving et, là, je peux dire que les Jackson ont vraiment mis les petits plats dans les grands. Enfin, c’est surtout Mélina qui a préparé le dîner. Mais ils ont vraiment fait quelque chose de grandiose, tout ce qu’on aime est sur la table et ma famille s’en donne à cœur joie à tout goûter. Ils ont raison, qu’ils prennent des forces avant la vache maigre qu’on aura sûrement cet hiver. On ne manquera pas, car, dans tous les cas, on sacrifiera plus d’animaux que d’habitude, mais je préférerais éviter.
À la fin du repas, je déboutonne le premier bouton de mon pantalon tellement j’ai mangé. Nous repassons au salon pour boire un dernier verre, mais je ne m’attarde pas, les petits sont fatigués. Au moment de partir, Marsila s’approche de ma sœur et la regarde avec un air dégoûté.
— Avec ce que tu t’es empiffrée ce soir, ce qui est sûr, c’est que tu vas faire réaliser des économies à ton frère pour plusieurs jours. Quand je vais venir habiter avec vous, je vais te mettre au régime, moi.
Ma sœur se met à pleurer, Omalé s’avance pour intervenir, mais je le stoppe, il est temps que je mette les choses au clair avec cette peste. Je ne veux pas que ma sœur soit malheureuse dans sa propre maison après le mariage.
— On va discuter dehors, Marsila, on a des choses à parler pour l’après-mariage.
Je souris pour la mettre en confiance sinon elle n’osera jamais me suivre.
— Ramène tout le monde, Omalé, s’il te plaît.
Il me regarde avec colère, mais ne dit rien. Je sors en même temps qu’eux, avec Marsila, et personne ne lui dit au revoir. Je crois qu’elle a sonné le glas avec ma famille en se moquant d’Ana. Nous sommes très liés et, quand quelqu’un s’attaque à l’un d’entre nous, c’est comme s’il s’attaquait à tous. Quand je suis certain que toute ma famille est hors d’oreilles et que nous sommes assez éloignés de la maison, je me retourne vers elle. Elle me lance son regard d’aguicheuse, mais, au lieu de me faire plaisir, elle me dégoûte.
— Je ne veux plus que tu parles à ma sœur comme ça, c’est clair ?
— Mais…
— Il n’y a pas de mais. C’est ma sœur, elle passera toujours avant toi, et tu n’as pas à lui manquer de respect comme ça. Elle n’est pas grosse et, même si elle l’était, tu n’as pas à lui enlever sa confiance en elle. Est-ce que tu as compris ?
— Mais…
— As-tu compris, Marsila ?
— Oui, oui, c’est bon.
Elle regarde ses chaussures, c’est sûr qu’elle n’a pas l’habitude de se faire enguirlander par qui que ce soit. Ça va changer. Je suis compréhensif, mais il y a des limites à tout et, ça, c’est ma limite.
— Maintenant que c’est réglé, je vais rentrer chez moi.
Je commence à partir, mais elle me rattrape. Mais personne ne veut me laisser aller où je veux, aujourd’hui, ou quoi ?
— On pourrait en profiter vu que nous ne sommes que tous les deux pour…
Elle commence à poser sa main sur mon entrejambe, mais je recule d’un coup, comme si elle m’avait blessé.
— Non, mais ça ne va pas, non ?
— Il serait temps qu’on passe à l’acte, non ? On se marie dans un mois et on ne s’est jamais touchés.
— Oui et, justement, laisse-moi encore ce mois avant que j’y sois obligé.
— Je te dégoûte à ce point ?
Je n’ai pas envie de la blesser… Je vois une larme, puis une autre, couler sur ses joues. Je ne suis pas un homme cruel et ça me fait mal de la rendre triste alors je me sens obligé de lui mentir pour qu’elle arrête ça.
— Ce n’est pas un vrai mariage, Marsila, je ne t’aime pas. J’ai besoin de sentiments pour ces choses-là.
Je baisse la tête… Ce que je lui dis est vrai. Je pensais tout simplement, avant Zoé, que ça ne m’intéressait pas, mais j’avais tort, je suis excité quand je pense à son corps à elle et à… Stop ! Ce n’est pas elle en face de moi, c’est une autre qui ne me fait pas du tout le même effet. Je n’ai aucun sentiment pour Marsila et mon corps le sait.
— Tu apprendras à m’aimer.
— J’espère, sinon nous ne serons pas heureux. Tu peux te dire que oui, mais c’est faux, nous serons juste ensemble et on finira par ne plus se supporter.
Ce qui est déjà le cas, mais je ne veux pas en rajouter. Pour l’amour, je suis sûr que ça n’arrivera pas, je la détesterai toujours, pour ce qu’elle m’oblige à faire, pour sa méchanceté et surtout pour l’avoir perdue, Zoé, à cause de son insistance à nous marier.

Le Ranch Mac Bryant Où les histoires vivent. Découvrez maintenant