Chapitre 5 Zoé

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Cette ville est superbe, malheureusement, je dois maintenant rejoindre la cambrousse profonde. J’y vais à reculons, n’ayant pas envie de quitter Dallas. Selon la mariée, c’est son fiancé qui doit venir me chercher, au moins ça m’évitera de me perdre entre ici et là-bas. Je m’imagine déjà en pleine forêt, perdue ou en panne, attaquée par un ours, même si je ne sais même pas s’il y en a ici. Oui, j’ai une imagination assez débordante quand je pense à un drame. Je me dis qu’au point où ma malchance en est, tout est possible. J’attends à l’endroit indiqué, avec ma grosse valise et tout le monde me regarde comme si j’étais dingue.
En plus, il est en retard, ça commence bien !
J’ai horreur d’attendre pour rien. D’un coup, on klaxonne à côté de moi, et je sursaute en poussant un petit cri de surprise. La fenêtre de la voiture s’ouvre et un homme se penche.
— Vous êtes madame Clarks ?
— Mademoiselle, mais oui, c’est bien moi.
Il lève les yeux au ciel, comme si ma remarque était ridicule.
— Le coffre est ouvert, montez.
Il ne va même pas m’aider ? Mais je suis tombée où, là ? Dans le lieu de la goujaterie ? Je tire ma valise jusqu’à l’arrière de la camionnette et je me demande si je vais arriver à porter ma valise jusqu’à ce coffre qui est presque aussi haut que moi. Je la soulève, mais elle est trop lourde, je peine. J’entends une portière… Oh, ça y est, il vient à mon secours ! Il souffle, soulève la valise, la met dans le coffre et retourne s’asseoir sans un mot. Je pars côté passager, ouvre la porte, m’installe, puis essaie de mettre ma ceinture, mais elle ne veut pas se bloquer.
— Elle ne marche plus.
Je le regarde, ahurie.
— Je ne vais pas pouvoir m’attacher ?
— Non.
Il démarre en trombe et je m’accroche à la portière comme si ma vie en dépendait. Je vais mourir, il va me tuer, ce fou ! Il ne parle pas et je ne sais pas si je dois faire la conversation, je ne me suis jamais retrouvée dans ce cas où je suis enfermée avec un homme désagréable. Je réfléchis à ce que je pourrais lui dire.
— J’imagine que vous devez être excité par votre mariage qui approche ?
Il quitte la route quelques secondes pour me regarder, sans me répondre. Bon, ça va être compliqué de savoir s’il veut quelque chose de particulier s’il ne me répond pas.
— Vous avez des envies particulières pour ce mariage ?
Il marmonne quelque chose que je ne comprends pas et reprend la contemplation de la route, toujours muet.
— J’ai fait quelque chose de mal ?
Il ne me répond toujours pas. Quel nul, vraiment ! Je passe le reste du voyage à regarder la route et me rends compte que, plus le temps passe, et plus on ne voit pas âme qui vive ou, si, mais à des kilomètres l’un de l’autre. Quand il s’arrête enfin, je suis soulagée. Je regarde la maison devant moi et me rends compte que, pour un patelin pareil, elle m’a l’air assez cosy.
Je ne le remercie même pas, sors de la voiture, ouvre le coffre et… j’ai le même problème que tout à l’heure, je n’arrive pas à soulever ma valise. Heureusement, mon « chauffeur » se matérialise à côté de moi et le fait à ma place. Je lui arrache ma valise des mains et je commence à avancer vers la maison, mais comme il y a de la boue partout, elle a du mal à rouler et finit par se coincer. Je la tire encore et encore, et quand elle cède, je pars en arrière et m’étale de tout le long dans une belle flaque boueuse. Je ne bouge pas et regarde le ciel quelques instants avant de fondre en larmes. Quand je sens une présence à côté de moi, ça n’empêche pas mes larmes de couler, j’en ai marre, je suis épuisée par ma malchance.
— Ça va ?
Je le regarde enfin et il m’a l’air inquiet, mais, au lieu de m’apaiser, ça me met dans une colère noire.
— Oh vous, fermez-la !
Je m’assois, puis essaie de me lever, mais je glisse encore et me rattrape sur la première chose qui me vient… sur cet homme horrible ! Je m’accroche à son cou et, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est qu’il sent bon. Je me reprends vite et le repousse, avec la satisfaction de lui avoir mis de la boue partout sur lui. Ça n’a pas l’air de le gêner, il me regarde avec étonnement, tête sur le côté. Je me retourne, prends ma valise et progresse vers l’entrée. Je frappe et, en attendant qu’on vienne m’ouvrir, je vérifie les dégâts sur moi. J’ai de la boue jusque dans mes cheveux.
J’entends la voiture, qui m’a amenée ici, enfin repartir. Un souffle d’air sort de ma bouche. Jusque-là, je n’avais pas remarqué que je retenais ma respiration.
Une dame en tenue de bonne vient m’ouvrir la porte. Elle n’a pas l’air heureuse, comme celle de chez mes parents. Chez eux, étant donné qu’ils étaient pauvres avant, ils savent ce que vivent ces gens, ce qui les rend plus humains et ils les payent bien et essaient d’être le plus compréhensibles possible. Je me souviens de Mélina qui avait été appelée par l’école de sa fille quand celle-ci s’était cassé le bras. Elle était mère célibataire et même une heure de salaire en moins était un coup dur pour elle. Ma mère avait compris son désarroi et lui avait donné une semaine de congés payés, pour qu’elle puisse trouver une solution et ne pas se retrouver juste à la fin du mois. Je sais parfaitement que dans d’autres familles riches, ils n’en auraient eu rien à faire et, vu comment la femme, en face de moi, me regarde, je me doute qu’ici, c’est ainsi et qu’ils ne doivent pas du tout être humains.
Je souris et ne la regarde pas de haut.
— Bonjour, je suis Zoé Clarks, mademoiselle Jackson doit m’attendre.
— Oui, bien sûr. Entrez !
Elle me regarde de haut en bas.
— Je suis tombée en arrivant.
Je vois bien qu’elle a envie de rire et, quand je repense à ma sortie ridicule, moi aussi en fin de compte.
— Vous voulez vous laver avant de rencontrer mademoiselle ?
— Je veux bien, si possible.
— Elle est en plein massage donc, le temps qu’elle finisse, vous pouvez aller vous changer si vous voulez.
— Avec plaisir.
— Suivez-moi.
Elle prend ma valise et la roule. Je la suis dans cette grande maison et, à chaque pas, je me rends compte que je salis le sol.
— Je suis désolée pour les salissures que je fais.
— Ce n’est rien, ne vous inquiétez pas.
Elle me regarde avec bienveillance, elle doit voir que je ne la rabaisserai pas. Nous commençons à monter les escaliers, mais je vois qu’elle a du mal à porter ma valise, alors je décide de l’aider.
— Cela sera plus facile à deux.
— Mais si mademoiselle Jackson voit ça, elle va…
— Vous m’avez dit qu’elle se faisait masser, non ? Donc elle ne verra rien.
Et je continue à l’aider comme si de rien n’était. À l’étage, elle ouvre une porte, entre en premier et je la suis. C’est spacieux. J’ai déjà connu mieux, chez mes parents notamment, mais, au moins, ça ne fait pas du tout rase campagne, c’est très coquet.
— Je vous laisse vous installer. Quand vous aurez fini, si vous avez un petit creux ou soif, n’hésitez pas à venir me le dire.
— Merci.
Elle me laisse dans cette chambre qui sera la mienne pour plusieurs jours. Je regarde autour de moi avant de chercher une salle de bain. Je ne le lui ai pas demandé, mais si elle m’a laissée ici, c’est qu’il doit bien y en avoir une attenante à la chambre. J’ouvre une porte et… bingo ! À l’intérieur, je me déshabille complètement et me mets sous la douche, je ne touche même pas à ma valise, sinon je vais salir tout ce qu’il y a dedans. De toute façon, il y a des produits de beauté et tout ce dont j’ai besoin ici et, même si ce ne sont pas mes produits, ça me dépannera. Je mets le jet sur mes cheveux et toute la terre qui est accrochée dedans coule dans le siphon. Une fois propre, je sors, enroule une serviette autour de moi et une autre sur mes cheveux, puis ouvre ma valise. Heureusement, l’intérieur n’a pas été sali. Je prends les vêtements, les pose tous sur le lit, puis je choisis un short et un haut vu qu’ici, l’air est lourd. Pour finir, j’enfile des petites tennis, je n’ai plus que ça, mes bottes sont pleines de boue et je mets un chapeau de paille avant de descendre. Je n’ai pas envie de manger, j’ai plutôt envie de sortir et de regarder cet endroit qui est aussi maudit que les autres.
J’ouvre la porte d’entrée et regarde à l’horizon. Je sors en faisant très attention où je marche cette fois. J’avance jusqu’à une barrière, j’entends des chevaux avant de les voir en train de courir. Sur l’un d’eux, il y a un homme, mais je suis trop loin, je n’arrive pas à distinguer qui c’est. Mais je vais vite savoir vu qu’il se dirige vers moi. De loin, il fait très cowboy sexy, avec son chapeau, ses lunettes et surtout sa chemise ouverte sur… Je bave, ce n’est pas possible ! Ce qui vient de m’arriver ne m’a donc pas suffi ? Les hommes pour moi, c’est fini, je les hais ! Je les hais tous ! Quand l’homme arrive près de moi, je ne le regarde même pas.
— Vous allez mieux ?
Je lève la tête et le vois, lui, celui qui a été désagréable au possible avec moi. Je fais comme lui tout à l’heure, je ne réponds pas et décide de retourner dans la maison.
— Faites attention de ne pas vous écrouler encore, l’hôpital le plus proche n’est pas à côté…
— Très drôle.
Je l’entends rire dans mon dos et j’en arrive quand même à sourire. Quand j’entre dans la maison, une jolie fille est là en train de dire au revoir à un jeune homme. Ils ont l’air de bien se connaître à première vue.
— À la semaine prochaine, mademoiselle Marsila.
— C’est ça, Antonio, je t’appellerai peut-être avant si j’ai encore mal au dos.
— Pas de souci, vous savez que je m’arrangerai pour venir si vous avez besoin.
J’ai vraiment un doute sur leur lien, c’est son masseur ? On dirait plutôt son amant. Elle me regarde enfin, de haut en bas, puis sourit.
— Vous êtes Zoé Clarks, c’est ça ?
— Oui, c’est bien moi.
Elle rigole, tape des mains et sautille comme une gamine.
— Oh, je suis trop contente de vous voir enfin. Tu peux partir, Antonio, on s’appelle.
Le jeune homme part et je me retrouve seule avec cette folle. Je dois avouer que je ne suis pas super rassurée, elle a l’air d’avoir une case en moins quand même.
— J’ai trop hâte qu’on commence les préparatifs de mon mariage.
— Moi aussi.
Oui, qu’on se dépêche et que je retourne chez moi. Ou peut-être que je resterai un peu plus sur Dallas.
— Désolée que ce soit mon fiancé qui ait dû aller vous chercher, j’étais occupée aujourd’hui.
— Pas de souci.
— J’espère qu’il ne vous a pas embêté, il faut avouer que Wayatt n’est pas facile.
— Non, tout s’est bien passé, ne vous inquiétez pas.
Je lui mens, son homme est un… Non, je ne peux pas me résoudre à dire un gros mot, même dans cette situation, c’est son fiancé et je n’ai pas envie qu’elle le prenne mal et qu’elle me vire dès le premier jour. J’ai besoin de ce travail pour essayer de relancer mon entreprise.
— Bon, tant mieux alors.
— Il faut que je vous explique ce que j’aimerais exactement.
— Je vais chercher mon carnet et je reviens.
— Je m’installe dans le patio, on y sera mieux pour parler.
Je monte en vitesse et prends mes affaires. Je sens que les discussions vont être longues et, même si j’adore ça d’habitude, je suis sûre qu’avec elle, ça va vite me paraître lourd.
J’avais raison, elle passe trois heures à me parler du mariage de ses rêves. C’est normal, c’est le plus beau jour de sa vie, mais ce qui m’étonne, c’est que, quand je lui demande ce qui ferait plaisir à son fiancé, elle ne sache pas ce qu’il veut. Et je ne suis même pas sûre que ça l’intéresse ce qu’il pense. En général, ce sont les femmes qui décident de tout, mais les hommes ont au moins quelques exigences. Là, même sur le costume du marié, c’est elle qui décide de tout. Elle veut qu’il soit en blanc, moi, je tique sur cette couleur, car, dans ce coin, elle veut que le mariage se déroule ici, il va vite être sale. J’ai beau essayer de lui expliquer, elle ne comprend pas, elle reste sur ses positions, ils seront tous les deux en blanc.
Quand on parle des invités, elle me dit que tous les voisins et la moitié de la ville d’à côté sont les bienvenus, ce qui fera huit cents invités. C’est un mariage de grand luxe.
— Vous avez une préférence de l’endroit précis de votre ranch où vous voulez organiser ce mariage ?
— Je veux arriver sur une calèche comme Cendrillon, donc je veux qu’il soit célébré le plus loin possible sur le terrain, pour en profiter le maximum.
Plus elle parle et plus je me dis que j’aurais pu lui demander plus d’explications au téléphone avant de m’engager là-dedans.
— Je peux voir l’endroit ?
— Oui, bien sûr, mais il faut y aller à cheval, à pied, c’est trop long.
— Je ne suis jamais montée sur un cheval.
L’équitation n’a jamais été mon truc. J’aime bien les canassons, mais de loin.
— Je n’aime pas ça, moi.
Elle vit dans un ranch et n’aime pas les chevaux ? Ça, c’est encore plus bizarre ! Moi, je vis à New York, c’est un peu plus logique qu’elle qui vit avec eux.
— Comment vais-je faire pour y aller, alors ?
— Je vais demander à mon fiancé ou à son frère de vous y emmener. D’ailleurs, je sais que vous êtes fiancée, vous aussi, mais quand vous verrez mon futur beau-frère, je suis sûre que vous allez craquer.
— Euhhh…
Je ne vais pas lui dire que je ne suis plus fiancée. Déjà, je n’ai pas envie, ensuite ça fait mauvais genre pour quelqu’un avec mon travail et, en plus, cette dingue est capable d’essayer de jouer les cupidons avec un homme que je ne connais même pas. On va rester comme elle le pense, je suis fiancée et, comme ça, j’aurai la paix.
Enfin ça, c’est ce que je crois à ce moment-là.

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