Chapitre 3 Wayatt

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Je le suis jusque dans son bureau. Même s’il m’a dit que c’était possible qu’il y ait un arrangement, je reste toujours stressé. Je n’aime pas ces situations qui m’angoissent, j’aimerais que cette histoire soit réglée au plus vite et me retrouver dans ma chambre, enfin seul et tranquille. Une fois dans son antre, je regarde partout. Son bureau est à vomir avec, un peu partout, des têtes d’animaux qu’il a chassés. Je suis sûr que, pour certains, ce n’est même pas légal qu’il les ait tués. Je vois même des défenses d’éléphant sur le côté. Ce type est abject. J’aime les animaux et, même si je ne suis pas végétarien, je n’aime pas qu’on leur fasse du mal gratuitement.
Il se sert un verre, vu la couleur, c’est un whisky. Je m’assois face à lui, je trouve tout ça trop long.
— Tu n’en veux toujours pas ?
— Non, merci.
Je ne bois pas. Enfin, ça m’arrive, mais c’est assez rare, je ne suis pas très fan de ce que me fait faire l’alcool. Quand il a fini de se servir, il s’assoit enfin sur son siège et fait tourner le liquide ambré de son verre. Je suis presque hypnotisé par ce qu’il fait, jusqu’à ce qu’il prenne la parole.
— Bon, comme je te le disais, j’ai une proposition à te faire.
Je sors de mon état léthargique.
— Je vous écoute.
— Nous nous connaissons depuis toujours, on peut dire que nos familles sont, comme qui dirait, liées.
Pas du tout, mon père ne pouvait pas le supporter et moi de même. Mais, si je veux avoir des chances de tout garder, il ne faut surtout pas que je lui dise les choses comme ça.
— Oui.
Ça me fait mal de lui dire ça, mais je n’ai pas le choix. Je serre les dents et attends la suite.
— Ce que j’ai à te proposer va resserrer les liens et tu pourras, du coup, garder ton ranch.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai un mauvais pressentiment. J’attends qu’il enchaîne sur la suite.
— Tu vas épouser Marsila et tout sera réglé.
— Quoi ?
Je me lève d’un coup, ce qui fait renverser ma chaise, et le regarde, choqué. Mais non ! Il ne peut pas me demander ça.
— Tu vas l’épouser et ta famille et la nôtre n’en feront plus qu’une seule et même.
— Pas question !
— C’est ça, mon petit gars, ou je te prends tout. Tu as compris ?
Il tape du poing sur le bureau en prononçant ces derniers mots. Je n’arrive pas à croire ce que je viens d’entendre. Je sors de son bureau et file vers la porte d’entrée que je ne referme même pas derrière moi. Je continue de courir jusque chez moi, jusqu’à l’écurie. Je prends mon cheval, monte dessus sans même l’avoir scellé et galope le plus vite possible. J’ai besoin de m’éloigner de cet endroit, cette impression d’oppression est encore plus présente que tout à l’heure.
Je vais étouffer !
Je chevauche à travers le vent et la nuit. Je connais les chemins par cœur, heureusement. Par réflexe, je me touche la tête pour vérifier que mon chapeau est toujours là, mais il n’y est plus. J’ai dû l’oublier chez ces gens qui me prennent pour un prostitué. Quand je pense à leur fille, j’ai envie de vomir. Je n’aime pas le contact avec les autres et encore moins avec des gens que je n’apprécie pas.
J’arrive à mon coin et descends de mon cheval. Je regarde l’horizon qui est éclairé par la lune et essaie de me remettre de cette nouvelle. Je vais être malheureux toute ma vie si je fais ça, mon âme me fera souffrir pour le restant de mes jours. Je me passe la main dans les cheveux… Mes frères et sœurs ne méritent pas de se retrouver à la rue, je suis partagé. J’ai envie de mourir avec cette situation, mais je n’ai pas le choix, je vais devoir le faire et c’est ça qui me fait le plus mal. Je voulais rester seul toute ma vie, ne pas avoir à supporter quelqu’un d’autre et encore moins être emmerdé par une mégère. Tout ce que j’avais prévu pour ma vie tombe à l’eau…
Je m’allonge et ferme les yeux. J’espère que tout ça n’est qu’un cauchemar, que je me suis juste endormi dans mon lit et que je vais me réveiller…
J’ai chaud, j’ouvre les yeux et je me rends compte qu’il fait déjà jour. Merde, je me suis endormi ! Je me lève rapidement et regarde l’heure, il est déjà 8 h. Oh non ! Je remonte sur mon cheval et galope jusqu’à la maison. Quand j’arrive, je constate que tout le monde est déjà réveillé. D’habitude, c’est moi qui dois tous les secouer le matin, mais aujourd’hui, ils ont su pour une fois se lever seuls. Je me dépêche de ramener Éclair dans son box et de nourrir les chevaux, avant d’aller ouvrir l’enclos pour que mon bétail puisse gambader. Enfin, mon bétail… Ce n’est plus vraiment le mien pour le moment.
Je rentre juste après, je me dépêche, je dois emmener les plus petits à leurs écoles respectives. Quand je pénètre dans la maison, tout le monde me regarde bizarrement. Je baisse la tête sur moi pour constater que je suis complètement débraillé, mais je n’en ai cure. Je prends les clés de la voiture et les regarde.
— On part maintenant.
En quelques secondes, tout le monde est prêt et nous prenons la route vers le centre-ville. Avant, le car scolaire passait chez nous, mais ça dérangeait mon voisin qui n’en voyait pas l’utilité, étant donné qu’il n’avait plus d’enfant scolarisé. Beaucoup de voisins n’étaient pas contents, mais c’est lui qui a gagné. Parfois, pour arranger certains parents, j’emmène d’autres enfants. Cet homme égoïste et imbuvable me met tellement en colère que je serre les doigts sur le volant en y repensant. Et c’est cet homme qui va devenir mon beau-père ?
— Ça va, Wayatt ?
Je regarde mon frère Stephen, assis à côté de moi. On devait lui acheter un véhicule à lui, mais, à chaque fois, on a dû reporter, car nous n’en avions pas les moyens. Et nous ne les aurons jamais, même si je me marie avec l’affreuse Marsila. Je garderai juste mon ranch, et c’est tout, et il faudra que je trouve une solution pour redresser les finances. Je me rends compte que si mon père a fait un prêt, c’est qu’ici, ce n’est pas viable.
— Oui, ça va.
— Ça n’a pas l’air.
— Je vais bien. Je viens te chercher après le foot ?
— Ouais.
La grande passion de mon frère Stephen, c’est le football américain et je suis sûr qu’un jour, il fera la fierté du Texas et sera chez les pros. Il ne veut pas reprendre la ferme et je le comprends. Ce n’est pas un métier, mais une passion et, si tu ne l’as pas, ce n’est pas la peine d’insister. Surtout que je suis là pour tout gérer.
Mon frère Omalé, lui, ne veut rien faire. Ni être au ranch ni autre chose et c’est un de nos principaux sujets de discorde. Je voudrais qu’il trouve sa voie, ici ou ailleurs.
Une fois tous les enfants déposés, je retourne vite à la ferme. Vu que j’ai trop dormi, je suis en retard dans le travail. J’arrive à tout gérer seul pour le moment, même si, parfois, c’est difficile, surtout quand on a de nouvelles naissances. Mais je vais y arriver ! Mon père m’avait, moi, pour l’aider et peut-être qu’un jour, j’aurai un enfant qui fera la même chose à son tour. Quand je pense à Marsila, qui pourrait être la mère de mon prétendu enfant, j’ai des envies de vomir.
J’entre dans la maison, je n’ai qu’un seul souhait, c’est de dre des casseroles et de réveiller Omalé qui dort encore, mais je ne le ferai pas. Je monte dans ma chambre, prends une douche en vitesse, m’habille et mets un autre chapeau. J’adore celui-là, c’est ma mère qui me l’avait offert. Je le regarde quelques secondes, le mets et redescends.
Dans la cuisine, je me prépare enfin un café et prends un bout de pain avec du beurre. Je suis tellement en retard que je ne m’attarde pas sur mon moment préféré de la journée, le petit déjeuner. Une fois fini, je laisse tout dans l’évier, pars chercher les œufs et nourrir les ules. Quand elles me voient arriver, elles sortent toutes en piaillant. Elles savent l’heure mieux que moi, celles-là. Une fois que j’ai fait ça, je pars nettoyer les box des chevaux. Nous en avons beaucoup, alors, tous les jours, inlassablement, je les fais les uns après les autres, pour qu’une fois tous fini, quelques jours plus tard, les recommencer à zéro. Je vérifie surtout que le nouveau-né se porte bien. Il est beau et pure race, il me rapportera une certaine somme, c’est sûr.
À l’heure du repas de midi, je stoppe tout et vais manger. Je constate que je suis encore tout seul, Omalé n’a toujours pas daigné se lever. Je ne sais même pas à quelle heure il est rentré cette nuit, vu que je n’étais pas là. Je m’avachis sur mon siège, déjà fatigué, alors que nous ne sommes même pas à la moitié de la journée. Je me lève et prends un morceau de viande que je fais cuire, puis des œufs, accompagnés d’une purée. J’entends enfin mon frère qui émerge, je grogne, mais ne dis rien de plus.
— Tu aurais dû venir avec moi hier soir, Wayatt, il y avait une fille, je suis sûr qu’elle t’aurait plu.
— J’avais d’autres choses auxquelles penser.
— Tu ne penses toujours qu’au ranch ! Il faut que tu penses à tremper ton biscuit aussi de temps en temps, sinon ta… hum hum… enfin, tu sais quoi, va finir par devenir bleue et…
— Stop ! J’ai des choses vraiment sérieuses à penser, Omalé, des choses qui, dans ton monde de je-m’en-foutisme, n’existent pas.
Il part se servir du café que j’avais fait chauffer pour moi, puis il s’assoit en face de moi.
— Ne me gonfle pas dès le matin, une poule malade, pour toi, c’est la fin du monde alors, laisse-moi tranquille.
Je me lève et laisse tout sur la table. Il n’aura qu’à le faire, ça l’occupera. Je passe le reste de l’après-midi à faire les tâches habituelles avant d’aller chercher les petits à l’école. Il faudra que je fasse un second aller-retour, plus tard, pour récupérer le grand. Quand arrive le soir, je peux enfin souffler, mais pas trop longtemps, il faut que j’aille voir mon voisin et lui dire que je suis d’accord avant de perdre mon courage. Je n’en ai parlé à personne, je pense même ne pas dire à la famille pourquoi je l’épouse, ça ne regarde que moi. Je sais déjà que je vais me faire charrier par mes deux frères, mais, au moins, je les protège.
Je pars chez celui qui va devenir mon beau-père, celui qui fait de moi sa pute. Je n’y vais pas avec joie, mais j’y vais avec détermination et vite, avant que je ne change d’avis. De toute façon, j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je n’ai que deux choix, soit tout perdre, soit tout garder et avoir une femme en plus.
Quand j’arrive devant leur porte, je souffle un bon coup avant de frapper. C’est la femme de ménage qui ouvre, cette fois, et qui me fait patienter. Elle part appeler son ployeur pendant que la nausée me reprend petit à petit. J’ai une boule au ventre qui me fait tellement mal que j’ai envie de pleurer. Je le vois enfin descendre, style le roi dans son château, et il tient mon chapeau entre ses mains, comme si c’était une de ses têtes de chasse. Je ne suis pas mieux qu’elles, il m’aura moi aussi en exposition pour son égo, il m’a chassé, il m’a gagné. C’est l’argent et le pouvoir qui dominent le monde et, moi, je n’ai aucun des deux. Je n’ai même plus le choix de ma vie.
— Tu es venu récupérer ton chapeau ?
— Je suis venu vous parler.
Il me regarde avec un sourire, il sait parfaitement que je vais dire oui, que je suis au pied du mur.
— Marsila !
Il hurle dans la maison, il a une voix tellement forte que ça fait siffler mes oreilles. Je la vois descendre comme une princesse, doucement, en me regardant avec un petit sourire. Si j’étais violent, c’est une gifle que j’aurais envie de lui mettre, là.
— Viens avec nous dans mon bureau, ma chérie.
Il part sans même attendre et je le suis. Une fois dans son bureau, on s’assoit tous, les deux fouines à mes côtés. Je baisse la tête, me tords les mains, enlève mon chapeau que j’avais encore oublié de retirer et je finis par me lancer :
— Je suis venu vous dire que je suis d’accord, mais à certaines conditions.
Marsila, qui était assise à côté de moi, se lève et me saute dans les bras. Rien que de sentir ses bras autour de mon cou, je me sens mal. Heureusement que je suis toujours assis, sinon j’aurais pu tourner de l’œil. Je ne la touche pas, moi, mes bras restent sur mes genoux, là où ils resteront pour toujours, je pense.
— Marsila, un peu de tenue ! Quelles sont tes conditions ?
J’y ai réfléchi. D’accord, je vais me marier avec sa fille chérie, mais pas n’importe comment.
— Je veux que, dans notre contrat de mariage, il y soit stipulé que la ferme reste à mon nom et à celui de mes frères et sœurs. Je ne veux pas que, si un jour, je décède, ils se retrouvent sans rien.
— D’accord, mais en cas de divorce, je la récupère.
— En cas de divorce de ma part, pas de la sienne, sinon elle me menacera toujours avec ça et j’ai envie d’être en paix.
— Non, mais, pour qui tu…
— Marsila ! Tais-toi ! Je suis d’accord. Quelles sont les autres conditions ?
— Je veux que le bus scolaire passe de nouveau au ranch.
Oui, ma condition est ridicule, mais c’est juste pour l’embêter.
— Pour quelle raison y tenir autant ?
— Ça me fait perdre du temps, le matin et le soir, d’emmener tout le monde. J’ai un ranch à faire tourner, moi.
— D’accord, as-tu d’autres conditions ?
— Votre fille est-elle vierge ?
— Non, mais quel culot ! Comment oses-tu demander ça ?
Elle me crie dans les oreilles et je rigole intérieurement, je sais qu’elle ne l’est plus, c’est juste pour la mettre dans l’embarras. Le père me regarde avec de gros yeux, puis regarde sa fille.
— Je pense que nous savons tous les deux que non.
— Ma dernière condition, je veux qu’elle ne couche plus avec un autre avant notre mariage. Si c’est le cas, je veux pouvoir tout annuler et vous payer des traites. Si elle me trompe pendant notre mariage aussi. Je ne veux pas d’une femme qui se vautre dans le foin avec n’importe qui et…
Je reçois une gifle phénoménale. Eh bien, ça va être drôle et c’est bien ce que je disais, une vraie mégère.
— Je pourrais d’ailleurs te demander la même chose et…
— Marsila, tais-toi, bon sang ! C’est un homme, c’est dans nos gènes d’avoir plusieurs femmes dans notre lit. Vous, les femmes, vous devez rester fidèles, c’est la loi de la nature, ma chérie.
Mais quel machisme, il est vraiment écœurant, cet homme ! Je me demande s’il en a vraiment d’autres. Peut-être des prostituées qu’il paye, car une femme normale ne voudrait pas de ça. Enfin, j’espère pour la gent féminine.
— Mais, papa…
— Tu as entendu ? C’est toi qui voulais absolument qu’il t’épouse. Je te l’offre sur un plateau, alors ne gâche pas tout.
Il se lève et me tend la main.
— Sommes-nous d’accord ?
Je suis sous le choc qu’il accepte même ma dernière condition et je compte bien sur son infidélité pour me sortir de ce bordel.
Je lui serre la main.
Mon pacte avec le diable est enfin scellé…

Le Ranch Mac Bryant Où les histoires vivent. Découvrez maintenant