Noël en terre inconnue

Ludivine

J'ai toujours détesté Noël.

D'abord, parce que les décorations m'exaspèrent et qu'après trente années de maladresses en tout genre, je préfère éviter de monter sur un escabeau pour les accrocher.

Ensuite, parce que le rouge ne me va pas au teint. En tant que rousse à la peau diaphane, c'est presque un parjure visuel d'associer ces deux couleurs.

Enfin, parce que la pression sociale pour trouver un partenaire lors de cette période me met mal à l'aise.

Mais voilà, il y a quelques semaines, le gestionnaire de l'application de rencontre LoveTrip m'a contactée pour m'occuper de la campagne de promotion de leur nouveau challenge sur le thème des fêtes de fin d'année : le Trip'mas. Et comme ma boîte de com' est idéalement située à Strasbourg, la capitale de Noël, j'ai difficilement pu refuser – et parce qu'il faut bien l'avouer, mon responsable ne m'en a pas laissé le choix.

— Ludivine ! Psst, Ludivine, ici !

Je viens à peine de poser un pied dans l'open space qu'Estelle, ma collaboratrice et amie, me tombe dessus. Elle lève un index dans ma direction pour me faire signe de la rejoindre. Avec ses cheveux courts ébouriffés, elle est aussi exubérante dans son attitude que je suis carrée dans mes habitudes.

Tête haute, je tente de déambuler de façon décontractée – autant qu'on peut l'être, juchée sur des talons de huit centimètres – au milieu des bureaux, décorés pour l'occasion. Ça clignote de mille feux dans les allées, à tel point que je me demande une seconde si je n'ai pas atterri dans la fabrique des lutins du père Noël. Je ne serais pas surprise d'entendre un "ho ho ho" s'échapper de derrière le sapin qui trône près de la machine à café.

De mon côté, je suis restée soft et j'ai opté pour un tailleur noir, près du corps. Je veux bien être festive un instant, mais je préfère plutôt les bulles de champagne aux tenues trop effervescentes. Ma seule fantaisie aujourd'hui concernera mes boucles d'oreille en forme de boules de Noël – un cadeau d'Estelle, vous l'aurez compris.

— T'es canon, ma belle, souligne-t-elle, à mon arrivée.

Dès mon embauche ici, Estelle et moi avons eu le coup de foudre. Un coup de foudre amical, évidemment. Car nous sommes diamétralement opposées concernant nos choix de vie et c'est ce qui nous rend si complémentaires. Quand je suis trop casanière, Estelle me rappelle qu'il est temps de sortir boire un verre. Quand ma routine journalière prend trop de place dans mon quotidien, Estelle n'oublie pas de mettre son petit grain de sable dans les rouages. Et si, sur l'instant, ça a plutôt l'art de m'agacer, je comprends pourquoi il est nécessaire qu'elle me bouscule dans mon train-train habituel.

Bien sûr, c'est un peu moins le cas ces derniers temps, car mon amie sort avec une certaine Aurore. Et dire qu'elle m'en parle comme de la huitième merveille du monde est un euphémisme. Elle est, selon elle, son évidence, sa moitié, voire son âme sœur, rien que ça.

— T'as vu, y'a ton ex, m'informe-t-elle d'un coup de menton vers la salle de réunion.

Manquait plus que lui...

Aussitôt, le stress monte.

En tant que chargée de communication, j'ai dû convier nos partenaires principaux pour l'occasion, la presse locale en tête de liste. Mais j'avais espéré qu'ils enverraient un autre correspondant...

À travers la paroi vitrée, mon regard tombe sur lui : Victor. On ne s'est pas quittés en très bon terme. Il est journaliste et couvre l'actualité entrepreneuriale : j'aurais dû me douter qu'il serait présent à ma présentation de lancement du Trip'mas.

Le concept de calendrier de l'avent avec un match secret est assez novateur pour figurer en juste place dans les colonnes de son canard.

Après un soupir, je m'approche et mon ventre se resserre : j'ai l'impression que quelqu'un joue au pendu avec mon estomac.