Maxence

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Comme c'est agréable, l'air glacial de cette fin novembre qui fouette mon visage. Je roule à vitesse modérée pour prendre le temps de profiter du lever du soleil, le crissement de mes pneus dans la neige donne le rythme de cette journée qui commence sous des auspices plutôt favorables.

— Bonjour, Maxence. Un thé vert matcha, une orange pressée et un muffin aux cranberries, comme d'habitude ? Je t'ai réservé ta table, on est bondé, aujourd'hui.

Le salon de thé où je m'arrête chaque matin est en effet rempli, et je vois que ma place est vide.

— Merci, Maryse, vous êtes la meilleure.

Je récupère le plateau garni, préparé avec soin par ma boulangère préférée, la gratifie d'un clin d'œil charmeur et de mon plus joli sourire, et m'installe près de la vitrine pour observer le paysage pendant mon petit-déjeuner.

Cela ne fait que quelques jours que je me suis posé dans le coin, mais c'est comme si je vivais là depuis des années. La forêt luxuriante qui nous entoure, les cimes enneigées à perte de vue, le père Potier qui s'acharne à dégager les flocons de devant sa porte pendant que les enfants de la voisine sautent dans le tas de neige amassé dans le chemin. Le vieillard leur court après, les menace de son balai, les marmots s'éparpillent en criant... et moi, je ris de ce spectacle matinal.

J'entame tout juste ma pâtisserie quand une lueur céleste pénètre dans le salon de thé et m'éblouit de sa divine beauté.

Les sublimes créatures sont mon talon d'Achille, ma kryptonite, mais aussi le chaudron d'or que l'on ne trouvera jamais au pied de l'arc-en-ciel. Comme à chaque fois, mon cœur s'emballe en un regard. Comme à chaque fois, je fonce tête baissée dans les filets d'une succube à l'apparence angélique. Et comme à chaque fois, je déchante lorsque disparaît la magie des premiers instants. L'inconnue de la boulangerie ne fera pas exception.

Elle cherche une place, café dans une main, iPhone dans l'autre, et moi, gentleman, je lui propose de se joindre à moi. On se présente, on se sourit. Les papillons voltigent dans mon estomac, puis c'est la crampe, l'indigestion, enfin je ne sais pas vraiment, mais cela n'a rien d'agréable...

Isabelle, qu'elle s'appelle, et elle n'a de belle, que son allure. C'est le problème quand on séjourne aux abords des stations de ski, tout le monde est en combinaison, tout le monde se ressemble. La tenue ne laisse transparaître que peu de marqueurs sociaux, alors dès que la belle Isabelle se met à parler, les yeux rivés sur l'écran de son portable, c'est la douche froide :

— Wesh il est grave shlag ce bled, y'a même pas le 5g, j'suis dég. Comment j'garde mes followers si j'peux pas twitter ? Tu twittes ? J'ai bientôt 300k d'abo, t'imagines ? Tu devrais me follow, comme ça tu verras toute ma life. Mon pseudo c'est isa_yolo378, vas-y check vitef s'tu veux, enfin moi pour l'instant, y'a R de réseau, ça prend ça vie à charger, je vais finir en PLS.

Je la regarde, perplexe, puis je renifle mon thé vert en doutant un instant qu'il n'y ait que du matcha. Je n'ai pas compris un traître mot de son monologue qui n'a rien d'un alexandrin. On dirait qu'elle choisit des lettres au hasard et les jette devant elle avant de les articuler. Pourtant je ne suis pas si vieux, mais j'ai dû rater quelques évolutions linguistiques. Comme je ne réponds pas, elle enchaîne une logorrhée verbale inintelligible qui me sidère. J'ai bien envie de lui expliquer que je n'ai pas fait Aya Nakamura en deuxième langue, mais elle ne m'en laisse même pas l'occasion.

Encore une rencontre à marquer dans les annales ! C'est Aurore qui va me chambrer en entendant ça.

— Te voilà enfin ! Ça fait vingt minutes que j'attends dans le blizzard.

Noël en terre inconnueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant