11 décembre

38 9 5
                                    

" Les contes de Noël sont comme des flocons de neige, chacun unique et magique à sa manière. "


M'aurait-on rouée de coups ? Je ne me souviens pas d'être passée sous le traîneau hier, mais peut-être est-ce un oubli de ma part ?

En tout cas, c'est la sensation que j'ai à chaque mouvement que j'effectue aujourd'hui. Je suis d'ordinaire assez sportive, et pourtant ce sont bien des courbatures qui me freinent dès que j'opère le moindre pas ce matin. À cette allure, je pourrai bientôt concurrencer la raideur des figurines de casse-noisettes qui ornent les vitrines du centre-ville.

Ludi, âge réel : trente ans ; âge ressenti : soixante-dix ans.

Et il n'y a pas que physiquement que je me traîne.

Le mental aussi est en break-down. La faute à quoi ? À cette foutue application de rencontres. J'ai toujours su qu'elle créerait des attentes chez moi qu'elle n'arriverait pas à combler.

Concrètement, Maxexplorer n'a pas réagi à ma provocation d'hier, ce qui, je dois l'avouer, me contrarie encore à présent. D'autant plus que j'ai vécu un agréable moment avec Maxence. Je vois d'ici le bazar se pointer à toute vitesse dans ma petite existence bien ordonnée et la panique me guette.

Je me jette dans mon canapé, et Christian m'assène le coup de grâce en crachotant dans ma direction. Monsieur chat me boude depuis mon retour de week-end : il ne daigne même pas m'accompagner pour sa séance de papouilles du jour.

Soit. Il veut la jouer cinquante nuances plus sombres ? Grand bien lui en fasse ! De toute manière, on sait tous les deux que l'appel du ventre – et de la pâtée au saumon, sa préférée – remportera la victoire sur le mental, quoi qu'il arrive.

Les yeux rivés sur mon téléphone, je bougonne alors que celui-ci reste silencieux. De toute façon, il semblerait que les deux hommes qui chatouillent mon enthousiasme soient aux abonnés absents en ce lundi matin. Peut-être que Maxence est déjà en cours de ski avec une bombasse en combinaison moulante ? Ou serait-ce Maxexplorer qui a passé son dimanche avec un canon beaucoup plus drôle que moi ?

Ludi, détends-toi, il est 8h15... Peut-être qu'ils dorment, tout simplement ?

Rha ! J'arrête ! Sinon, je vais déprimer et ce n'était pas le but de ce challenge de Noël. D'ailleurs, je constate que la petite icône surmontée d'un bonnet rouge clignote.

Et si j'allais découvrir quel est le défi du jour ?


***


Sapristi ! J'en étais sûr !

Voilà qu'il faut utiliser les réponses de la veille pour créer un conte de Noël.

J'ai peut-être l'âme d'un artiste, mais certainement pas celle d'un écrivain. Et c'est sans compter sur Bred qui ne m'est d'aucune aide sur ce coup. J'ignore ce qui lui a pris hier, mais elle m'a rembarré sévère. Elle avait peut-être mieux à faire un dimanche que de voter entre un lutin et un bonhomme de neige, je conçois. Néanmoins, c'est silence radio depuis son putsch sur le questionnaire. Et je n'ai pas envie de faire le premier pas, seulement je ne vais pas avoir le choix si je veux aller au bout de ce Trip'mas de malheur. Échouer signifierait abandonner toute chance de rencontrer mon binôme IRL et je ne suis pas en mesure de tirer un trait sur elle à l'heure actuelle, bien qu'elle me coure sur le haricot.

Remarque, la petite Ludivine a un sacré caractère elle aussi, et cela ne l'empêchait pas d'être fort sexy sur ce traîneau. Blottie contre moi, le parfum fruité de ses cheveux m'a fait voyager dans les tropiques, la chaleur dans mon bas-ventre en témoigne encore. Le magnétisme que cette femme dégage est inexplicable. Elle est le feu sous la glace, un volcan prêt à entrer en éruption à la moindre vibration sismique.

Bon sang, Max ! Espèce d'obsédé !

J'énumère la liste des mots choisis et commence à détester Noël... et ma sœur ! Pour la dernière, rien de nouveau, elle me sort par les trous de nez trois fois par jour, même si je l'aime plus que tout, mais Noël, LES sacro-saintes festivités de l'année à ne surtout pas manquer, ne peuvent pas descendre dans mon estime à cause d'un stupide jeu !

Noël, ce sont les guirlandes qui clignotent et les odeurs d'épicéas. Ce sont les chorales devant les portes et la queue dans les grands magasins. C'est la joie de se réunir et le plaisir d'offrir. Noël, c'est retrouver son âme d'enfant. Ce n'est sûrement pas s'enfermer face à un ordinateur pour rédiger une disserte de philo sur la conception de l'emballage parfait selon la confrérie lutine. Quoique... s'inventer des histoires sur le père Noël, c'est aussi ça qui fait sa magie.

Hélas, j'ai l'impression que Bred n'a aucune idée de ce que représente réellement cette fête. En tout cas, elle ne s'implique pas autant que je l'espérais, et c'est très frustrant. Et pourquoi je n'ai toujours pas de message de sa part ?

Je tourne en rond dans mon van ruminant quoi faire, quand l'illumination me transcende.

OK, elle veut faire dans la provocation et me laisse me dépatouiller tout seul avec cette histoire ?

Pas de problème, on va jouer.

Je coupe l'application, et décide avec ferveur de la boycotter jusqu'au lendemain.

Toutes ces réflexions m'ont mis de mauvaise humeur et me voilà en retard pour mon cours. C'est le pompon sur le bonnet !

Pour couronner le tout et bien enfoncer le clou au tableau de cette journée calamiteuse, j'apprends en arrivant à la station que je remplace Stéphane pour sa prochaine leçon... avec Isabelle.

J'essaie de voir le verre à moitié plein en me disant que je vais enfin grimper sur mon snow, mais je ne suis vraiment pas d'attaque pour le cours de Nakamura niveau deux :

— Wesh gadjo, c'est toi mon prof ? Lourd !

— Wesh Isa, bien ? On est tipar ?

On a enchaîné les descentes tout l'après-midi, et je reconnais qu'on s'est bien marré. Ma bonne humeur ragaillardie, je checke Isa avant de partir. Celle-ci a dû prendre la confiance au tournant d'un virage sur la piste rouge, car elle décide de m'enchainer une prise de catch improvisée, attrape mon bras et me fait valser par-dessus son dos. À l'instant où je m'étale dans la poudreuse, un " crac " résonne à l'intérieur de mon corps et une douleur aiguë se répand de mon épaule jusqu'au bout de mes doigts...



— C'est vraiment la poisse !

Aurore est hilare à mon chevet.

J'ai poireauté trois heures à l'hôpital entre examens, radios, re-examens... et me voilà avec une luxation de l'épaule, immobilisé pendant au moins deux semaines. Le bras droit, évidemment.

— Comment un mec qui passe sa vie à pratiquer les sports extrêmes arrive-t-il à se péter le bras en serrant la main d'une meuf ?!

Même pas un minimum d'empathie pour son frère qui souffre. Elle est belle, la famille !

— Bon, le médecin m'a dit que tu devais être aidé pour te servir le moins possible de ton bras, explique-t-elle, son sérieux retrouvé. Seulement, j'ai un dégât des eaux chez moi qui ne sera pas réglé avant deux jours. Estelle m'héberge en attendant, mais c'est trop petit pour nous trois.

— Te prends pas la tête, Sibylle et moi, on sera très bien tous les deux pour ma convalescence.

— Certainement pas, tu peux pas conduire ton vélo avec un bras en moins. Je vais pas te laisser tout seul au milieu de nulle part.

Elle fait les cent pas dans la salle d'attente de l'hôpital et j'entends presque les rouages de son cerveau s'activer.

— OK, reprend-elle, en sortant son portable. J'ai peut-être la solution... Allô, Estelle ?


Noël en terre inconnueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant