20 décembre

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" Comme un cadeau bien emballé prêt à être ouvert, mon CV de Noël dévoile mes réalisations et compétences afin de découvrir l'opportunité festive parfaite "


Je me réveille, toujours sous le choc de ma découverte.

Ludivine est Bred. J'en suis maintenant certain. Je n'ai pas de nouvelles de la première, mais son homologue virtuel s'est confié à moi une fois de retour dans mon van, et il n'y a pas de doute. Elle m'a raconté avoir eu une relation avec un " pauvre type " du même nom que moi, qui s'est avéré être une " regrettable erreur ". La révélation idéale pour me faire remonter dans ma propre estime.

En revanche, elle avait l'air de m'accorder plus de considération qu'à mon jumeau maléfique. Bien que mes tentatives pour m'expliquer auprès de Ludivine aient lamentablement échoué, Bred était beaucoup plus ouverte au dialogue. Maigre consolation, car j'ai pu profiter d'un peu d'elle, certes, mais je n'ai pas eu le courage de lui divulguer mon identité. Je culpabilise. Pour ma défense, je n'ai pas envie de perdre nos précieux échanges. Peut-être ai-je du mal à savoir ce que je veux, cependant, j'étais à mille lieues de souhaiter rompre tout contact avec elle. Au contraire. J'avais juste besoin d'y voir plus clair, sauf qu'elle a évoqué une autre relation sans s'imaginer qu'elle se mettait elle-même sur le tapis. Si j'ai joué sur deux tableaux, il semble évident que c'est également son cas, et je n'en fais pas un drame.

C'est possible d'être jaloux de soi-même ?

Équipé pour affronter le froid sec et ensoleillé, j'ai décidé d'occuper ma journée à une maraude dans Strasbourg. Venir en aide aux plus démunis me changera probablement les idées. Difficile de se morfondre lorsque l'on est confronté à la misère de l'autre. Distribution de soupe et de couvertures, confidences de passés douloureux, sourires d'entraide et de compassion... ce qui me touche le plus, c'est cette convivialité qui règne dans la rue, malgré les turpitudes de la vie. L'espoir et le partage dominent alors qu'ils n'ont rien. C'est dans ces moments-là que je suis heureux de ce que m'offre le destin, et c'est le cœur plus léger que je retrouve Sibylle pour un repos mérité, jusqu'à ce que mon téléphone sonne le défi du jour.


***


" Biche, si tu ne réponds pas dans les cinq prochaines minutes, j'engage un groupe de lutins pour débarquer chez toi et décorer ta maison avec des guirlandes, chaussettes et autres breloques clignotantes ! C'est compris ? "

Affalée sur mon canapé, les cheveux relevés en un chignon précaire, je soupire. Les menaces humoristiques d'Estelle n'arriveront pas à me rendre mon sourire pour aujourd'hui. Il est onze heures passé, je suis en pyjama et mon bol du petit déjeuner traîne encore sur la table basse. Même mon Pilates a été sacrifié sur l'autel de l'amertume, ce qui veut tout dire...

Je suis si attristée par les paroles de Maxence que je n'ai pas réussi à me faire violence pour sortir de chez moi ce matin. Quand j'ai entraperçu ma tête au réveil, il m'a paru plus facile d'envisager de gravir l'Everest que de camoufler mon visage sous une avalanche de maquillage. Et de l'alpinisme au contouring, il n'y a qu'un pas que je n'ai pas osé franchir. J'ai donc demandé la permission d'être en télétravail, parce que, de un, j'ai toujours la campagne de com' du Trip'mas à finaliser avant vendredi et, de deux, je pense qu'il vaut mieux que j'occupe mon esprit en travaillant plutôt qu'en me morfondant.

" OK, Ludi, tu l'aurais voulu : si tu continues à m'ignorer, j'inscris des ustensiles de cuisine sur ta liste de Noël ! "

Estelle persévère et elle a bien raison. De toute manière, elle me connaît davantage que quiconque alors sa stratégie pour me sortir de ma léthargie est sans doute la meilleure. D'un pas lesté par le poids de mon humeur, je me dirige vers la cuisine pour découvrir ce que renferme mon frigo. Échec cuisant ! Je ne trouverai point de réconfort de ce côté-là : entre un yaourt allégé périmé et un reste de soupe, ni l'un ni l'autre n'apparaissent suffisants pour étouffer ma peine grandissante.

Ce qu'il me faudrait, c'est un énorme pot de glace. Ah oui en voilà une bonne idée : du froid pour anesthésier mes sentiments.

Fraîchement ragaillardie par cette perspective, je tire sur le tiroir du congélateur et mon cœur s'arrête l'espace d'un battement. Mes yeux tombent sur cette fameuse glace aux cookies Dought et la honte me surprend : je réalise malgré moi que j'ai un peu délaissé Maxexplorer ces derniers jours. D'un autre côté, le magnifique dressage de sa table, pour valider le défi d'hier, m'ôte tout remords. Il semble toujours aussi à fond pour aller au bout du challenge, motivation de Bred en berne ou pas.

Je me saisis du récipient, d'une grande cuillère et repars me vautrer dans mon canapé.

Calée entre deux coussins, je retire l'opercule et Christian radine à mes côtés. Je maintiens le papier dans sa direction et il en profite pour lécher les résidus dessus.

— À la tienne, monsieur Grey ! murmuré-je, en enfournant une première becquée glacée.

Mon téléphone se remet à vibrer.

Entre deux cuillerées, je l'attrape et évite de justesse de l'échapper. Il ne manquerait plus que je casse mon portable, et cette journée serait à marquer d'une pierre blanche.

L'application LoveTrip n'a pas attendu que je sois dans de meilleures dispositions pour me proposer son nouveau défi. D'un autre côté, ça me permettra de me changer les idées. J'aime toujours autant échanger avec mon match, même si je suis un peu perdue sur la finalité de toute cette histoire. Ai-je vraiment envie de rencontrer un autre homme dans ma vie dès à présent ?

" Mercredi 20 décembre : La découverte de votre binôme approche... Et si vous réalisiez votre CV de Noël pour prétendre à une place de choix à ses côtés pour le réveillon ? "

Ah ! Voilà quelque chose que je devrais être en mesure de réussir, pour une fois !

Je délaisse mon téléphone, me réinstalle devant mon ordinateur et consacre une dizaine de minutes à créer mon profil de Noël. Comme Maxexplorer m'a révélé qu'il était fan du Grinch, je pars sur un CV anti-Noël (et puis, si je suis honnête, ce n'est pas totalement à l'opposé de ma personnalité – et de mon état d'esprit du jour – non plus).


Nom : Brinch

Profession : Grincheuse dans un monde de guirlandes et de flocons.

Compétences : Expertise en gestion du stress pendant la période des fêtes / Capacité à esquiver habilement les câlins des rennes trop enthousiastes.

Formation : Master en déconstruction des attentes festives, Université de la poudreuse éternelle.

Langue : Sarcasme français et langue des cadeaux non voulus et revendus dès le 26 décembre.

Centres d'intérêt : Voyage vers des destinations sans décorations de Noël / Évitement professionnel des chants festifs / Cours de méditation pour contrer l'effet Jingle Bells / Analyse des clichés dans les comédies romantiques hivernales.


À peine ai-je posé le point final, que je poste le résultat sur l'application. Et dès lors que je reprends mon portable, je découvre l'ampleur du chaos : sans réponse de ma part, Estelle a déjà renvoyé six messages.

Je suis en train de pianoter un mea culpa quand on frappe à ma porte.

Brusquement, l'angoisse me saisit. Et si mon amie avait mis ses menaces à exécution ? Ça existe, la location de farfadets de décoration noëlistique ?

Dans le doute, j'attends.

Christian choisit ce moment-là pour miauler et je lui plaque ma paume sur le haut de la tête pour le faire taire. Ses billes noires m'assassinent du regard. Pourtant, qui que ce soit derrière la porte, il n'est pas le bienvenu ici aujourd'hui.

Le silence se poursuit encore une poignée de secondes, me laissant imaginer que mon visiteur a fait demi-tour.

Puis, une voix familière tonne depuis l'autre côté du battant :

— Ludi, je sais que tu es là ! Ouvre ou j'appelle un serrurier !

Noël en terre inconnueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant