ombres sous les projecteurs

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Une main chaude se pose sur le front de Yuri. Une respiration régulière s'échoue sur ses joues. Un doigt relève son menton avec délicatesse.

– Hé, Yura ?

Yuri sursaute, se redresse, et retombe sur une surface moelleuse. Des yeux ambrés apparaissent, entourés de taches de rousseur, accompagnés de lèvres qui s'animent.

– On est où ?

– Tu ne te souviens pas ? demande Otabek.

Une odeur de tabac froid lui rappelle celle de Grand-Père. Des fragments de scènes tourbillonnent dans son esprit... L'air vicié de l'avion, l'atmosphère morbide de l'hôpital, le silence écrasant du poste de police.

– Combien de temps j'ai dormi ?

Bouge, Yuri, bon sang. Il tire une jambe du lit, tandis que l'autre tremble sous son poids.

– Quelques heures. Tu as besoin d'aide ?

– Non. Je veux juste me dégourdir les jambes.

Son corps se déplace lentement, épuisé par son état d'alerte constant. La soirée s'étend dans le salon ; les ombres, semblables à des griffes, dévorent le mobilier. Et puis, comme pour confirmer le mauvais pressentiment qui le hante, des coups retentissent à la porte,

BAM, BAM, BAM,

un écho de coups de poing.

– C'est Ludmila, dit Otabek. Pour les chats, tu sais ?

– Oh, ouais... Ouais.

Otabek ouvre la porte. Mila entre à pas hésitants et dépose deux caisses de transport par terre. Son regard balaye Yuri de la tête aux pieds. Bien que les bleus aient disparu de son visage, ils ont laissé des traces laides.

– Ça va ?

– Au top.

– Vraiment ?

Non. Non, non, non.

– Vraiment.

Mila émet un rire qui ressemble davantage à un reniflement et le serre contre elle.

– Viens ici, Yurochka...

Pas Yurka. Yurochka, comme s'il avait de nouveau quinze ans. Putain, il doit avoir l'air pathétique, avec sa jambe boiteuse et ses doigts piégés dans une attelle.

Par-dessus l'épaule de Mila, l'expression d'Otabek se durcit. Les ecchymoses déforment sa peau ambrée et ses cheveux sont grossièrement rasés là où une vilaine entaille est marquée par des points de suture.

Mila relâche Yuri et ouvre les caisses pour libérer les chats. Link se précipite pour se cacher sous le meuble TV, tandis que Potya se laisse déposer dans les bras de Yuri. Il doit la tenir dans une position peu confortable à cause de son attelle.

– Tu es prêt ? demande Mila.

– Pour quoi ?

– Ma soirée cinéma !

– Putain, quelle joie.

Ils n'ont jamais été foutus de se mettre d'accord sur un film, et Yuri déteste particulièrement le penchant de Mila pour les blockbusters catastrophe. Sans lâcher Potya, il s'affale sur le canapé.

Ce soir, Mila choisit Titanic, et les passagers n'ont pas eu le temps d'embarquer sur le bateau avant qu'elle et Otabek ne débattent de la mort de Jack. Ils auraient pu tous les deux tenir sur le radeau, voyons. Mais Otabek a lu un article où James Cameron affirme le contraire. Et merde, on s'en fiche de l'histoire, l'important c'est que Rose et Jack soient canon, non ?

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