La Prophétie du Sphinx

17 - Quatre mille kilomètres

Quatre mille kilomètres.

C'était à peu près le calcul que venait de se faire Kévin pour se donner une idée de la distance qui séparait Feiticeira et Rapture. Comment avait-il fait ? Urantia lui avait confié pendant le voyage, avant d'atteindre sa vitesse de croisière et rendre toute communication impossible, que Blake était la seule créature capable de faire le chemin en moins d'une journée avec une vitesse moyenne de presque deux cents kilomètres par heure. La distance que les quatre voyageurs allaient accomplir équivalait à quatre fois Lille/Perpignan. Imaginer un griffon ayant la capacité de parcourir cet intervalle en cinq heures donna le vertige à Kévin. Mais contrairement à la monture de Marly, Urantia allait voler moins vite tout en prenant assez d'altitude pour rester invisible. Ils étaient si haut que l'air s'était raréfié, donnant aux deux humains la sensation de s'essouffler sans rien faire. Même le grand soleil ne parvenait pas à réchauffer qui que ce soit. Erika et Kévin avaient du givre sur les rebords de leurs lunettes. Le bruit de l'air passant sur leurs casques les rendait sourds. Kévin entendait à peine la musique provenant de ses écouteurs. Plusieurs fois, le jeune homme se retourna afin d'observer si River et sa cavalière tenaient encore le coup. Erika répondait avec un signe de main afin de leur indiquer que tout allait bien. Même avec ses habits et la potion, l'élu sentait l'air glacial passer à travers ses gants, un froid qui n'avait rien de comparable à ce qu'il avait eu en France. C'était comme avoir de la neige entre les doigts non-stop, brûlant et engourdissant. Et le garçon avait la certitude que sans ses pouvoirs et sa résistance accrue, il n'aurait pas tenu une minute sur le dos d'Urantia. Il n'osait pas imaginer ce que devait ressentir Erika à cet instant, cette femme était bien plus forte qu'il ne l'avait imaginé.

Heureusement pour Kévin, le voyage lui offrait un paysage à couper le souffle. Ils étaient au-dessus d'une mer de nuages parfaitement visible malgré le ciel étoilé sans lune. Par ailleurs, Kévin n'en vit pas depuis son arrivée dans ce monde, peut-être n'y en avait-il pas ici. Quant aux astres, le garçon n'avait jamais vu autant d'étoiles, et pas seulement à cause de Paris et de sa pollution lumineuse. Ce ciel n'avait rien à voir avec ce qu'il avait eu l'occasion de voir dans son monde et même à travers des photos de la Voie Lactée. Les étoiles étaient bien plus denses, formant des chemins partant dans tous les sens. Avec le temps passé à voler la nuit, le jeune homme aurait pu s'amuser à compter les plus grosses d'entre elle : des bleues, des jaunes ainsi que des violettes. Mais elles étaient trop nombreuses. Urantia et River finirent par entamer une descente lorsque des montagnes furent enfin en vue, dont certaines dépassaient les nuages de plus en plus rares. Le paysage ne ressemblait plus qu'à des vallées et des sommets se perdant dans l'horizon, cachant l'aurore approchante même à la hauteur qu'ils étaient. Cela faisait plus d'une journée que le quatuor était en vol dans un territoire qui n'était plus le leur, et il valait mieux pour eux que le repos se fasse de jour au risque de croiser une patrouille ennemi pouvant avertir Marly. Ce serait un manque de chance incroyable de se faire repérer sur une région aussi vaste, mais pas impossible due à leur trajectoire formant une ligne droite directe entre Feiticeira et Rapture.

Et ils savaient tous que l'ancien élu les attendait.

C'est dans une caverne située près d'un sommet qu'ils se posèrent enfin. Même s'ils étaient encore très haut en altitude, Kévin eut la sensation de se sentir au chaud. En fait, il comprit avec la vapeur qui se dégageait des écailles de son dragon que ça n'était pas qu'une impression, d'autant qu'Urantia lui ordonna de descendre pour lui enlever ses cuirasses. Il eut du mal à bouger dans un premier temps, pas seulement à cause de ses articulations grippées après être resté dans la même position pendant deux jours, mais aussi dû au gel qui l'avait piégé. Après un maigre d'effort, il parvint à s'extirper du dos de son dragon pour desserrer les lanières en cuir qui tenaient son armure ainsi que son casque attaché aux cornes afin de se sentir plus à l'aise, transformant les lieux en un sauna géant.