Devant un lavabo, Kévin, deux ans avant son étrange escale dans un autre monde, rinçait des verres après les avoir frottés avec une éponge et du liquide vaisselle. Au niveau de ses yeux, une fenêtre donnait une bonne vue sur un jardin, bondé de jeunes gens comme lui ayant entre quinze et vingt ans. Il connaissait une majorité d'entre eux, tous fréquentaient le même lycée, voire se trouvaient dans la même classe que lui. Pourtant, il ne souhaitait pas être là. Malgré l'ambiance d'euphorie régnante, ce coucher de soleil donnant une atmosphère chaleureuse grâce au ton orangé du ciel, Kévin ne se sentait pas à l'aise. Sa présence ici, c'était pour faire taire son père et espérer qu'il arrête avec ses remarques sur le fait qu'un jeune de son âge devait rencontrer du monde, au lieu de s'enfermer dans une chambre et jouer à des vieux titres rétro. "Ce ne sont même pas des jeux en ligne ! avait-il précisé pour pointer son manque total de sociabilité. De mon temps, on jouait à des MMORPG, pas dans son petit coin !"
Il avait donc fait cet effort en venant ici, acceptant l'invitation d'un ami de son ami histoire d'être tranquille et espérant au fond de lui que les rencontres allaient être fructueuses, sans même faire allusion à la présence de filles en grand nombre. Mais dès que quelqu'un demanda de l'aide pour faire la vaisselle, le jeune lycéen se proposa pour se montrer utile. Il avait bu quelques verres de vodka pomme, et son esprit légèrement embrumé n'avait pas remarqué que son camarade de plonge était parti aux toilettes. Kévin s'aperçut de son absence que lorsqu'il revint. Ils étaient dans la même classe, en seconde. Ce qui le caractérisait, c'était sa couleur de peau chocolat et sa coiffure noir de type afro, très ébouriffé. Il avait un T-shirt à manche courte bien rouge, tout le contraire de Kévin qui portait une veste à capuche noir plus que banale.
"Pardon mec, fit-il en reprenant le torchon. J'ai trop abusé sur la bière."
Kévin lui jeta un bref regard puis haussa les épaules tout en continuant de rincer les verres, un par un. Par la suite, il regarda encore par la fenêtre lorsque quelques rires attirèrent son attention. Il ne pouvait pas l'expliquer, mais le fait de voir toutes ces personnes heureuses ; ces couples vivant leurs premiers amours, ces bandes de potes partant dans une folle discussion avant de vadrouiller dans le quartier pour faire des bêtises qui resteront gravés dans leurs mémoires comme de merveilleux souvenirs... Tout ça le rendait triste. Et ça se voyait.
"Y'a quelque chose qui cloche ? demanda l'autre adolescent en le voyant faire la moue. J'ai fais un truc de mal ?
-Hein ? Oh non, t'inquiètes mec, répondit Kévin avec un bref sourire. C'est moi, j'ai le cafard.
-Pourquoi ? demanda-t-il tout de suite. Tu t'es pris un râteau ?"
Le ton qu'il employait avait le don inexplicable de redonner le sourire à Kévin, alors que n'importe qui d'autre lui faisant ce genre de réflexion, l'aurait rebuté.
"Déjà, avant de me prendre un vent, faudrait que j'aille parler à quelqu'un, et c'est pas le geek que je suis qui va y arriver comme ça. J'ai fait l'effort de sortir de ma chambre, c'est pas rien ! Tu te rends compte ?
Ils se mirent à rire tous les deux. Ce gars, Michael, avait bien compris que Kévin était sarcastique ou presque. Il n'y avait pas que du faux.
"D'accord, mais sérieusement, qu'est-ce qui te fout le bourdon ? C'est une soirée cool, on va picoler, se marrer, faire des jeux à boire et danser. Il t'es arrivé quelque chose ?
-Non..."
Il se pencha vers la fenêtre, au-dessus de l'évier, pour regarder intensément dehors.
"Je vous envie, c'est tout. Le fait de vous voir être heureux et... D'arriver à vous parler, de vous amuser et d'avoir des relations... Je sais pas, fit-il en cherchant ses mots. Ça me rend jaloux, parce que je sais que j'arriverais jamais à être comme vous.
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La Prophétie du Sphinx
ParanormalMenant une vie parisienne sans saveur, Kévin tente de trouver sa voie dans une société qui décide de son avenir à sa place. Malgré ses talents d'escrimeur, la majorité de ses journées sont des échecs constants. Et alors qu'il décide d'oublier son qu...