Projet Hybride

Chapitre 12 - Routine

Finalement, la semaine se déroule aussi paisiblement que la précédente. En apparence, rien ne semble avoir changé, pourtant, tout est différent.

Théoriquement, Dana reste seule à la maison toute la journée pendant que je travaille. En réalité, Lily profite de ce temps libre pour retrouver ses réflexes humains. Après s'être familiarisée avec son propre corps, elle s'est lancée à l'assaut de l'appartement. Il lui a fallu un peu de temps pour comprendre les appareils électroménagers mais elle est désormais capable d'utiliser le four et la machine à laver sans mon aide.

Après ces apprentissages basiques, elle s'est concentrée sur la presse et l'actualité pour se tenir au courant de ce qui se passe dans le monde. Grâce à mon ordinateur portable, elle rattrape des années d'absence et comble peu à peu ses lacunes.

Chaque soir, dès mon arrivée, elle me raconte avec joie ses découvertes de la journée et en profite parfois pour me demander mon avis ou des explications. Nos discussions me rappellent celles que j'avais avec mes parents. Nous passons parfois plusieurs heures à table, nos assiettes finies depuis longtemps, pour débattre de sujets variés.

Au travail, je me surprends quelques fois à anticiper les discussions du soir ou à vérifier ma montre, impatient de pouvoir rentrer chez moi.

Lily s'est aussi entraînée à cuisiner. Bien que ses expérimentations culinaires ne soient pas toujours bonnes, j'ai eu d'agréables surprises. Par précaution, je garde néanmoins un plat de lasagnes sous la main, on ne sait jamais.

Au fil des jours, nous retrouvons notre équilibre tout en sachant l'un et l'autre qu'il n'est que temporaire. Une épée de damoclès est suspendue au-dessus de nos têtes et sa présence est trop imposante pour que nous puissions continuer de l'ignorer plus longtemps.

Je brise l'accord tacite que nous avions passé, le jeudi soir, en abordant directement le sujet à table, lors du repas. Nous ne pouvons pas continuer à nous voiler la face plus longtemps, le réveil n'en sera que plus brutal.

- Dis-moi Lily, commençais-je. Maintenant que tu es libre, quels sont tes projets ?

La jeune fille assise en face de moi se raidit brusquement et repose lentement ses couverts avant de relever la tête pour affronter mon regard.

- J'imagine que nous devions en parler un jour... Pour être honnête, je ne suis pas encore décidée. Disons que ma part humaine souhaite seulement oublier son passé et tourner la page pour avancer mais l'autre partie, celle qui est plus animale, souhaite se venger. Je ne sais pas s'il me sera possible de me reconstruire et de vivre pleinement si je ne tire pas un trait sur cette histoire

- Tu as perdu des années entière de ta vie, commentais-je.

- Elles m'ont été volées par la personne qui aurait du être mon plus fervent protecteur et je ne suis pas certaine d'être assez forte pour lui accorder mon pardon

- C'est un choix difficile et tu ne pourras plus revenir en arrière... Prends ton temps pour réfléchir à la question. Je ne prétendrai pas comprendre ce que tu ressens, ce serait totalement faux. Ce que tu as vécu n'aurai pas du arriver, à personne. En revanche, je crois en ton instinct. Il t'a permis de te libérer et t'a conduit jusqu'à moi, il te suffit de le suivre pour tracer ton propre chemin, conseillais-je.

Mon discours est incroyablement niais et ressemble exactement à ce qu'aurai pu dire Oscar. Je l'entends encore me parler de signes cosmiques ou je ne sais quel autre truc mystique du genre.

- Merci, ajoute Lily après un temps de silence.

Elle a l'air soulagée, comme si mes mots avaient oté un poids de ses épaules.

- Bien entendu, tu es la bienvenue chez moi, reste aussi longtemps qu'il le faudra, ajoutais-je avec empressement.

Il ne faudrait qu'elle pense que je vais la mettre à la porte ! Lily me remercie d'un sourire et recommence à manger tandis que nous changeons de sujet pour des discussions moins sérieuses.

La sonnerie de mon téléphone interrompt mon explication sur les élections présidentielles. Le numéro appelant est inconnu. Intrigué, je décroche tout de même.

- Allô ?

- Bonjour, excusez-moi de vous déranger à une heure aussi tardive, je suis la vétérinaire qui a examiné votre chienne il y a quelques jours, j'ai trouvé votre numéro dans le dossier informations que nous avons créé ce jour-là

- D'accord, bonsoir, de quoi s'agit-il ? demandais-je avec une légère appréhension.

- Nous avons reçu une étrange visite cet après-midi au cabinet, deux hommes sont passés déposer des avis de recherches pour un berger hollandais. Les photos sont anciennes mais je suis sûre qu'il s'agit de l'animal que vous avez recueilli

- Qui étaient-ils ?

- Ils n'ont pas laissé de nom, seulement un numéro de téléphone pour les contacter si nous trouvions l'animal mais j'ai eu un mauvais pressentiment... Il s'agit peut-être des anciens propriétaires

- Vous leur avez dit ?

- Bien sûr que non ! Ces personnes n'avaient aucun papier légal prouvant que ce chien leur appartient, je n'ai donc pas l'obligation de leur donner les informations confidentielles de mes clients.

- Merci pour votre aide

- Ce n'est rien, j'ai pu constater par moi-même que ses conditions de vie sont bien meilleures en votre compagnie. Je serais un bien piètre médecin si je m'opposait à ce qu'elle reste sous votre garde au détriment de son bien-être. En tout cas, soyez prudents lorsque vous sortez pour les promenades. J'ai bien peur qu'ils restent dans le quartier encore quelques jours, retrouver ce chien semble leur tenir particulièrement à coeur

J'aurai pu rire si la situation n'était pas aussi inquiétante. Ils sont assidus parce qu'ils savent. Visiblement, je ne suis pas le seul à être au courant de la particularité de ma colocataire.

De l'autre côté de la table, Lily mange avec appétit, inconsciente du danger. Mon coeur se serre à l'idée de devoir lui transmettre l'information, je ne veux plus la voir sur la défensive, inquiète à chaque seconde.

- Très bien, je vous remercie de m'avoir prévenu, saluais-je avant de mettre fin à la conversation téléphonique.

Devant mon visage grave, Lily fronce les sourcils.

- Que se passe-t-il ?

Mon absence de réponse lui suffit puisque ses yeux s'écarquillent aussitôt de peur.

- Qui- Comment m'ont-ils retrouvée ?