Les mots manquaient à Stiles. La force, aussi.
Mais pas la volonté. Pas la colère qui soudainement jaillissait en lui tel un geyser de lave. Celle qu'il combattait chaque fois qu'il avait le malheur de penser à ses deux frères. L'injustice, voilà son origine. Elle se mêlait à l'incompréhension, celle qui le rongeait depuis toujours. Pourquoi était-ce lui, le vilain petit canard de la fratrie ? Pourquoi ne l'aimait-on pas alors qu'il aimait, lui ? Pourquoi devait-il porter la responsabilité de leur mésentente, maintenir le secret au quotidien ? Encore que son absence à la maison obligeait Stuart et Thomas à se débrouiller pour cacher leurs dissensions perpétuelles à leur père, mais... Cela n'apportait aucune réponse, aucune solution concrète à ce problème qui lui pourrissait la vie depuis des années.
Et il voyait rouge. Il voyait rouge parce que Derek se permettait d'émettre un jugement... Sur quelque chose qui ne le regardait absolument pas. Il ne savait rien de leur histoire, rien de la façon dont ils se traitaient mutuellement. Ce qu'il avait entrevu n'était rien de plus qu'un léger échantillon, un avant-goût de leur relation fraternelle des plus catastrophiques. Il n'y avait rien de bon à en tirer si ce n'est de l'amertume, de la tristesse et une souffrance infinie. Des regrets, aussi. Des regrets quant à l'incapacité de Stiles à comprendre ce qui n'allait pas chez lui, l'idée qu'il se trouvait beaucoup trop bête, qu'il devait forcément être moins bien pour être mis de côté de la sorte par ces deux êtres physiquement pareils à lui.
Alors même s'il n'avait pas les mots, il ne supporta pas l'idée d'être silencieux lorsqu'il vit Derek se retourner vers la porte. Comptait-il vraiment s'en aller de cette façon ? Avait-il véritablement l'intention de s'en aller en le laissant en plan ? Il n'avait pas le droit, pas après ces paroles immondes qu'il venait tout juste d'avoir à son égard !
- Tu ne me connais pas non plus, connard...
La façon dont il avait prononcé ces mots était étrange, comme si son ton menaçant et empli de colère n'était pas en adéquation avec la douleur qui le transcendait. Car ce n'était pas seulement les paroles de Derek qui lui faisait mal : elles étaient d'autant plus incisives qu'elles venaient de lui. Qu'il était l'homme qui les avait prononcées. Derek n'était pas un bon pote, pas non plus un ami.
Non, c'était juste une espèce de collègue de meute pour lequel il avait eu la bonne idée d'avoir des sentiments – et de les entretenir, par-dessus le marché. De cela, rien de bon ne pouvait sortir.
Mais ses paroles à lui, elles étaient vraies. Au fond, Derek ne le connaissait pas vraiment, ne savait de lui que ce qu'il avait bien voulu lui montrer, leur montrer à tous... Cette image qu'il s'était construit parce qu'elle lui allait. Dans cette vie-là, Stiles n'avait pas de frères, pas d'emmerdes. Il effaçait de son existence ce qui, selon lui, n'avait pas lieu d'être... Et il savait que Stuart et Thomas faisaient de même, lorsqu'ils ne se trouvaient pas au domicile familial – c'était d'ailleurs eux qui avaient commencé, qui lui avaient montré l'exemple. Ils avaient minimisé puis détruit son importance à leurs yeux, jusqu'à ce qu'il finisse par les imiter – avec un succès tout relatif.
Le regard que Derek posa sur lui ne changea pas. Il restait calme, impassible... Et n'avait pas sourcillé malgré l'insulte que Stiles avait verbalisée. A ce constat fait malgré lui, l'hyperactif se tendit davantage. Un manque de réaction n'était pas forcément bon signe... Sans être complètement mauvais non plus. Disons qu'il lui fallait, en ces temps troubles, retrouver un semblant de familiarité pour se repérer. L'indifférence de Derek quant à son état en faisait partie... Mais pas concernant ce qu'il venait de lui dire. En temps normal, le loup-garou s'énervait dès lors qu'on lui manquait de respect, qu'on le cherchait, ou... Qu'on ne cessait de s'opposer à lui. Pas qu'il soit tyrannique, simplement... Il avait son caractère et Stiles ne comptait plus le nombre de fois où sa provocation verbale l'avait fait se retrouver plaqué contre un mur. Cette fois, il n'y eut pas droit.
A la place, Derek hocha simplement la tête.
- Si je ne te connais pas, explique-moi, finit-il par lâcher en croisant les bras sur son torse. Explique-moi pourquoi tu ne te bats pas, pourquoi tu te laisses faire...
- Pourquoi faire ? Le coupa l'hyperactif, un peu sec. Pour que tu t'amuses à me descendre ? Pour que tu t'éclates à me regarder m'humilier encore une fois ?
Sa propre voix l'énervait tant elle était rauque, elle lui donnait l'impression d'avoir passé des heures à pleurer alors que ce n'était pas le cas. Il ne se rendait toutefois pas compte de la façon dont les choses étaient doucement en train de changer – tout comme sa façon de s'exprimer. Plus franche, plus incisive.
Plus « Stiles ».
- Si c'était le cas, qu'est-ce que tu ferais ? Le tenta Derek.
- Je te dirais d'aller te faire foutre, répondit Stiles sans hésitation.
S'il ne mentait pas, il ne disait pas non plus la plus complète vérité. Il y avait des choses qu'il avait à cœur de garder sous silence non pas car elles ne devaient pas être prononcées, mais parce que l'hyperactif désirait garder certaines choses pour lui. Elles relevaient de l'intime, de ce qu'il ressentait au plus profond de lui... Il voulait se dire qu'il avait au moins ça de secret. La profondeur de ses sentiments, la déception qu'il ressentait à l'égard de Derek, de cette douleur qu'il lui infligeait, de cet irrespect total de sa liberté. Toujours convaincu que l'ancien alpha le gardait ici uniquement parce qu'il le lui avait demandé, Stiles n'en voyait sa rage que décupler. Derek avait les moyens d'être tranquille, de ne pas s'infliger sa présence – si ce simple fait lui faisait mal, il ne pouvait rien faire d'autre que le reconnaître. Au diable l'insensibilité factice : le châtain n'arrivait finalement pas à se retenir de réagir – les mots de Derek le piquaient trop.
Mais au fond, il y avait autre chose. Non, il n'était effectivement pas comme ses frères... Et dans un sens, il en était fier. Derek aurait beau dire, c'était lui le plus combatif d'entre les trois. Le seul à flirter régulièrement avec le danger, à user de son côté têtu pour venir à bout de chaque situation pouvait être confrontée la meute, à tout faire pour protéger ses proches... Quand aucun des deux autres n'étaient au courant que durant certaines de ces histoires, leur père avait failli y passer. Nul doute qu'ils tueraient Stiles s'ils l'apprenaient. Mais qu'importe, l'hyperactif savait qu'il n'avait rien à se reprocher et se savait prêt à donner sa vie pour sa meute et son paternel s'il le fallait. Parce qu'ils avaient sa loyauté et comptaient pour lui.
Derek hocha la tête, un début de rictus étirant ses lèvres. Stiles ne s'en rendait sans doute pas compte, mais il commençait à revenir : il n'y avait qu'à voir la lueur de feu dans ses yeux. Elle leur rendait partiellement leur éclat d'origine. Si la colère était pour Derek un ancrage, il s'agissait pour Stiles d'une bouée de sauvetage.
- Alors dis-le-moi, l'encouragea Derek.
Et même si Stiles n'aimait ni son ton, ni son air qu'il jugeait arrogant, il garda la bouche close. Si sa fierté en avait pris un sacré coup ces dernières heures, elle l'empêchait à cet instant de se soumettre, d'obéir à ce qui pouvait ressembler à un ordre mais qui n'en était pas un. Aveuglé par cette colère gelée, l'humain se fit violence pour ne pas prononcer un mot. Derek lui demandait quelque chose et par esprit de contradiction, Stiles ne voulait pas le lui donner... Mais son regard parlait pour lui.
Va te faire foutre, Hale.
De son côté, Derek commençait à sentir la satisfaction le frôler : d'une manière ou d'une autre, il avait réussi à le faire réagir et son silence donnait davantage de crédit à la flamme de l'ire qui dansait dans ses yeux.

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Not Good Enough
FanfictionLorsque les deux frères de Stiles reviennent à Beacon Hills, celui-ci peine à garder sa joie de vivre. Leur relation est chaotique et chacun passe son temps à rabaisser les autres. Ces triplés que tout opposent vont devoir se rapprocher et participe...