Prologue 2/2

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— Mademoiselle ? essayé-je avec un ton plus doux, en m'agenouillant en face d'elle.

Elle ne réagit pas, se contentant de rester là, adossée au mur du couloir qui dessert l'appartement de sa sœur. Elle donne l'impression d'avoir rejoint un autre monde.

Sans la brusquer, je pose ma main sur son bras avec douceur, espérant réussir à attirer son attention. Ce geste suffit à la ramener sur Terre.

Elle bouge la tête, jusqu'à croiser mon regard, le visage ravagé par les larmes, les yeux vides de...quoi ?

De vie, peut-être. C'est comme si c'était son cœur à elle qui avait cessé de battre.

J'ai déjà dû annoncer la mort d'un être cher à des personnes, beaucoup trop à mon goût. Pourtant, je n'ai jamais vu un regard si dépouillé d'émotions.

Les yeux de la jeune femme glissent le long de mon visage, comme si elle caressait chacune de mes cicatrices du regard. Ce genre de comportement est courant depuis l'explosion qui a causé ces blessures. Je me suis habitué à ce que les inconnus me dévisagent pendant quelques secondes, interloqués. Ce n'est pas pour autant que j'apprécie. J'ai l'impression que ma peau se déchire pour se recoudre à chaque coup d'œil. C'est comme si on ne me donnait jamais la possibilité d'oublier.

— Est-ce que ça va aller ? finis-je par dire pour couper court à son observation.

— Non, lâche-t-elle sans même réfléchir, d'une voix terne, en détachant son regard.

— Est-ce que vous souhaitez qu'on appelle quelqu'un ?

— Qui ? se contente-t-elle de répondre d'une voix enrouée par le chagrin.

Elle jette un coup d'œil par-delà mon épaule et continue dans un murmure :

— Il n'y a plus personne.

Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qu'elle a fixé ses yeux sur la scène qui met en vedette le corps sans vie de sa jumelle.

— Je n'ai plus personne, ajoute-t-elle après un temps de pause.

La détresse qui accompagne ces mots me percute en plein cœur. Dans mon métier, on doit faire preuve d'empathie, sans pour autant laisser la tristesse des familles endeuillées prendre le dessus, au risque de vous faire bouffer de l'intérieur.

Je le sais.

Pourtant, cette fois-ci le proverbe « c'est plus facile à dire qu'à faire » n'a jamais été plus adapté.

Elle donne l'impression d'être au bord d'une falaise sur le point de tomber et je n'ai qu'une envie, la prendre dans mes bras pour l'en empêcher.

Le téléphone d'Herinkson retentit, et celui-ci s'éloigne sans rien dire, brisant le moment.

Je me reprends et me concentre à nouveau sur mon travail. La mort peut frapper à n'importe quel âge, n'importe quand. N'importe qui. C'est dommage pour une femme aussi jeune que la victime.

— Si vous avez besoin de temps, on peut voir ça un peu plus tard.

Je n'ai pas besoin de temps, inspecteur, j'ai besoin qu'on me rende ma moitié d'âme.

Le « vous pouvez faire ça » sort de sa bouche dans un chuchotement étranglé.

Elle sait que c'est impossible, que rien ne la fera revenir. Elle pourra prier, crier, pleurer, rien n'y fera. Seul le temps fera son œuvre.

— Je suis vraiment désolé pour votre sœur, et pour vous. Nous ferons tout notre possible pour savoir ce qui lui est arrivée.

Et ce même si on manque d'effectifs et de moyens, ce qui amène à des piles de dossiers non clôturés, préféré-je taire pour ne pas la bouleverser encore plus en lui révélant les coulisses. Elle n'a pas besoin de savoir ça.

A l'ombre de sa mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant