Chapitre 5 3/3

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Même si ça m'aurait fait de la peine pour Faith Benett, le mieux aurait été qu'Hudson confirme le rapport de Poulman. On aurait pu mettre cette histoire derrière nous. La sœur d'Hope aurait pu commencer à faire son deuil. Et ma tête ne serait plus sur un billot.

— Quelle est la bonne nouvelle ?

— J'ai feuilleté le dossier et j'ai découvert que Poulman a interverti les résultats des prises de sang avec ceux d'un autre dossier. Quant aux prélèvements effectués par mon ancien confrère, je les ai ressortis des cartons. Grâce à une nouvelle analyse, j'ai découvert ce qu'Hope Benett avait sous ses ongles. Il s'agit de café moulu.

Elle enchaîne si rapidement de l'un à l'autre, qu'il m'est difficile de suivre, n'ayant pas avalé ma dose de caféine pour démêler mes neurones.

Malgré tout, l'information finit par se frayer un chemin.

J'aurais préféré qu'elle me donne un profil ADN, même si je sais que cela aurait été impossible en si peu de temps. Dans la réalité, ce n'est pas comme dans les séries tel que Les experts, nous n'avons pas les résultats en un claquement de doigts. N'empêche que du sang aurait été plus intéressant que du café. Tout aurait été plus intéressant que du café.

Je note tout de même l'information dans un coin de ma tête. On ne sait jamais en avance ce qui se révèlera décisif.

La prise de sang d'Hope Benett, qu'est-ce qu'il y a dessus pour que vous pensiez à un meurtre ? demandé-je, en revenant sur le sujet le plus intéressant.

— Le chlorure de potassium, ça vous parle ?

— Ce n'est pas ce que le médecin a injecté à ses patients dans l'affaire Chepier ?

— Vous avez fait vos devoirs, à ce que je vois.

C'est surtout que cette histoire a été largement relayé par les journaux dans tout le pays. Cet homme a tué des dizaines de personnes sur plusieurs années sans se faire prendre. Un ange de la mort. L'aide médicale à mourir, euthanasie, est autorisée au Canada, mais soumise à des règles strictes. Chepier estimait rendre service, seulement, ses bonnes intentions de départ ont vite laissé place à l'appât du gain.

Il a commis une seule erreur, ce qui a permis à la police de le relier à la mort d'une dame en parfaite santé. Lors de l'interrogatoire, il s'est vanté de ses exploits. Sans cette erreur, il aurait pu continuer encore longtemps.

— Ce produit est anodin, sauf quand il est administré à forte dose, explique Hudson. Il entraîne alors une arythmie qui peut conduire à un arrêt cardiaque.

— Poulman n'a fait aucune mention de trace de piqûre dans le rapport d'origine.

— C'est exact, confirme-t-elle, ennuyée. Et sans le corps, difficile de savoir à quel endroit le produit a été injecté.

— Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Si Poulman a échangé les résultats, alors la mort de l'autre personne a dû être attribué à un meurtre, non ? Il a dû y avoir une enquête. Alors comment personne ne s'en est rendu compte avant ?

— Déjà, les numéros de dossiers ne diffèrent que d'un chiffre, m'indique-t-elle en me montrant les deux séries sur les documents. C'est facile à confondre si on n'y prête pas suffisamment attention. Ensuite, j'ai jeté un coup d'œil sur l'autre affaire, un ancien drogué qui avait fait plusieurs cures de désintox et qui avait l'habitude de se piquer avec n'importe quel produit. En concluant à une mort naturelle pour Hope Benett et à une overdose pour l'autre victime, il a clos les deux dossiers. Personne n'avait de raison de croire qu'il avait commis une erreur.

Personne n'avait de raison de croire qu'il avait commis une erreur, répété-je, mentalement.

C'est là, le problème. Ce n'est pas qu'il n'y avait personne, c'est qu'ils ont préféré fermer les yeux, pour ne pas risquer leur travail.

— Peut-être pas, murmuré-je entre mes dents serrées.

Quelques mots qu'Hudson ne manquent d'entendre, et qui suffisent à relancer les questions. Elle pose ce qu'elle tient entre les mains et se laisse aller dans la chaise, s'éloignant quelque peu de la caméra.

— Ecoutez, inspecteur, si vous voulez qu'on continue notre collaboration, on va jouer carte sur table. Qu'est-ce que vous me cachez ?

J'hésite encore à lui balancer la vérité. Elle le voit, lâche un soupir avant de reprendre :

— Que vous le vouliez ou non, vous m'avez embarqué dans le bateau en me demandant de fouiller dans le dossier Benett. J'ai le droit de savoir à quel point on navigue en eaux troubles.

Elle n'a pas tort sur ce point, même si cela me fait mal de le reconnaître. À sa place, j'exigerais aussi des réponses à mes questions.

Et puis, elle pourrait peut-être s'avérer être une alliée de taille. La confiance se gagne et Hudson n'a pas encore gagné la mienne. Néanmoins, les gens qui n'ont aucun intérêt à voir cette affaire rester dans l'ombre se comptent sur les doigts d'une main. Elle en fait partie.

— Poulman avait un problème avec l'alcool et notre hiérarchie l'a couvert, finis-je par avouer.

Ses yeux s'écarquillent d'étonnement au fur et à mesure de mes révélations.

— Chiotte ! lâche-t-elle, me faisant sourire malgré moi.

Ce n'est pas souvent qu'on entend cette expression.

— Il va falloir un sacré bon gilet de sauvetage pour éviter la noyade.

— Ouais, confirmé-je, non sans grimacer au passage. Et pour commencer, il ne faut surtout pas ébruiter vos découvertes. Est-ce que vous pouvez m'envoyer personnellement votre rapport ?

Si vous voulez, mais...

Elle se tait, sauf que dans son silence, j'entends tout de même ce qu'elle veut me dire. Et je ne peux pas lui reprocher. Elle ne va pas pouvoir tenir Thornel à l'écart éternellement. Quand celui-ci lui réclamera le rapport, elle sera obligée de lui donner.

En attendant, ce stratagème peut me permettre d'avoir quelques jours de sursis. Parce qu'il y a eu crime. Désormais, je n'ai plus le droit de fermer les yeux. Encore moins de laisser tomber. Faith Benett avait raison depuis le début... et je compte l'aider à le prouver.

Quel qu'en soit le prix.

A l'ombre de sa mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant