Faith
Environ deux mois plus tard.
Le bureau du détective privé est aussi mal rangé que lors de mes précédentes visites. Les dossiers s'empilent sur le bord, formant une tour de Pise qui menace de tomber au sol à chaque respiration et qui ne tient que par miracle. L'ordinateur émet un bourdonnement désagréable qui laisse à penser que l'appareil va bientôt rendre l'âme et ne plus s'allumer. La moitié d'un burger provenant d'un célèbre fast-food représenté par un clown traîne sur un emballage, comme si j'avais interrompu le propriétaire des lieux en plein déjeuner. Sauf que ce n'est pas le cas et les traces de moisissures le prouvent. Il est là depuis des jours, voire des semaines. Je comprends mieux la présence des mouches qui tournent dans la pièce.
Limeson n'est pas le meilleur en termes de rangement, comme il n'est pas le meilleur détective d'Orillia ou de ses environs. Seulement, lors de mes recherches, il a été le seul à me donner un tarif raisonnable et à avoir ses quartiers près du centre-ville. Il a été le seul qu'il me soit possible de payer sans me saigner les veines et sans avoir à parcourir des dizaines de kilomètres à chacune de mes visites.
— Hope Bennett, Hope Bennett, répète-t-il comme une litanie en fouillant dans ses dossiers à la recherche de celui de ma sœur.
Il n'est pas non plus le maître de l'organisation. Notre rendez-vous est prévu depuis des jours, il aurait pu au moins chercher avant mon arrivée et relire ses notes pour m'en faire un résumé rapide. À croire qu'il ne connaît pas le proverbe « le temps, c'est de l'argent. ».
Ma jambe droite se met en mouvement et mon pied tape sur le sol en battant la mesure d'un rythme inconnu, sans bruit, alors que mon regard se perd à intervalle régulier sur la montre qui orne son poignet. L'aiguille des secondes trottinent rapidement jusqu'au douze et reprend sa course alors que celle des minutes avancent d'un cran.
Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'enfin, il lâche un « Trouvé » qui me réjouit encore plus que les cadeaux au pied du sapin le matin de noël.
— Qu'est-ce que nous avons là ? commence-t-il tout en lissant sa cravate marron nouée de travers après s'être enfoncé à nouveau dans son siège. Hope Bennett, née à Vancouver...
— ..., il y a vingt-sept ans, le coupé-je pour finir à sa place. Je connais la biographie de ma sœur par cœur, inutile de me refaire l'historique.
Il relève la tête des feuilles chiffonnées et grasses, son épaisse moustache qui frétille de mécontentement.
— Interrompre les gens quand ils parlent est malpoli, vous savez, me réprimande-t-il, agacé. Vos parents ne vous ont pas appris ça ?
Je n'en ai pas, répliqué-je en lui arrachant le dossier des mains. Ou j'en ai une dizaine, selon le point de vue. Je vous dresserai la liste avec plaisir si vous voulez vous plaindre.
Tout en me levant, je jette une liasse de billets sur le cahier ouvert devant lui et quitte la pièce sans demander mon reste. Il n'est pas question de rester une seconde de plus dans cet endroit qui sent la sueur, la poussière et le déodorisant pour toilettes avec une réplique physique d'Homer Simpson.
La porte claque dans mon dos, faisant redresser la tête de la secrétaire qui était perdue dans sa lecture sans se préoccuper de l'autre client qui patiente en face d'elle. Je lance un vague « au revoir » avant de m'engager dans l'escalier et de descendre les deux étages en courant.
À cette heure de la journée, Dunedin Street est envahi de personnes qui se dirigent vers McKinnell Square Park sous le soleil éclatant pour leur pause déjeuner entre collègues, amis ou alors en pleine conversation, l'oreille collée à un téléphone portable.
Tandis que le dossier me brûle les doigts, je m'intègre à la petite foule et avance dans la même direction d'un pas pressé, sans prêter attention aux autres personnes. Je n'ai qu'une envie, qu'une hâte, m'installer dans un coin à l'ombre et éplucher les documents de la dernière chance.
Pour Hope.
Pour cette Faith qui a disparu en même temps que sa sœur.
Pour nous.
Ma robe flotte autour de mes pieds et frôle le sol à chacun de mes pas jusqu'à atteindre un des bancs à côté de l'aire de jeux où quelques enfants jouent sous la surveillance de leur nourrice. L'un d'entre eux attire immédiatement mon regard. Une petite fille habillée d'un jean et d'un tee-shirt blanc, les cheveux noir corbeau tressés sur le côté de sa tête. Elle doit avoir trois ou quatre ans, et ne semble pas débordée de joie à l'idée de passer des heures à jouer ici. Installée sur la balançoire, elle impulse un léger mouvement encore et encore à l'aide de ses pieds sans jamais chercher à prendre de la hauteur. Ses yeux bougent dans tous les sens, suivant les allées et venues de ses camarades involontaires, auxquels elle finit par se joindre que sous l'insistance d'une jeune femme au fort accent français.
J'ai l'impression de voir Hope.
Notre gouvernante avait l'habitude de nous faire le même genre de coiffure, même si ma jumelle préférait avoir les cheveux libres. Ma sœur s'empressait toujours de retirer les pinces et les élastiques, au grand désespoir de celle qui nous a mis au monde et qui donnait les ordres. Et surtout, Hope arborait la même expression boudeuse que cette fillette à chacune de nos sorties. Elle préférait qu'on soit seulement toutes les deux à jouer à cache-cache dans notre jardin ou à se raconter des secrets à l'oreille. Elle n'aimait pas me partager, ne voulait pas que d'autres enfants s'immiscent entre nous. Comme elle le disait « j'étais sa grande sœur à elle ».
C'est un des rares souvenirs qu'il me reste de mon enfance avant les déménagements successifs, entre foyers de groupes et familles d'accueils. Avant la mort de nos parents. Avant qu'Hope ne soit plus la seule à s'asseoir sur les balançoires en affichant un air morose. Quand adulte, elle est devenue le papillon de jour alors que je restais le papillon de nuit.
Je détourne la tête, chassant ses réminiscences de ma mémoire, me concentrant sur l'objectif de la journée.
La tête baissée sur le dossier, je reste là, immobile, perdue. Maintenant que le moment de vérité est arrivé, c'est plus difficile que prévu. Car, je le sais. C'est ici que tout se s'arrête ou que tout recommence. C'est à cet instant que mon cœur en sommeil va s'éteindre définitivement ou se recommencer à battre bruyamment dans ma poitrine.
Face au détective, j'avais mis mes émotions en stand-by, prête à tout entendre, mais là, tout de suite, seule au milieu des autres, les choses ne sont plus les mêmes.
Personnage de la célèbre série « Les Simpson »
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A l'ombre de sa mort
RomanceFaith Benett refuse d'accepter les conclusions de la police concernant la mort de sa sœur jumelle. Elle en est sûre, Hope a été tuée, et elle est déterminée à le prouver. Quand le détective privé qu'elle a engagé obtient la copie d'un mail confident...