Chapitre 3 2/2

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Je ris intérieurement en imaginant la tête de mon chef, lui qui ne supporte pas les esclandres, même si je n'ai aucune idée de ce qui l'attend vraiment.

Je délaisse la machine qui crache un jus noir avec difficulté et sors de la salle, déterminé à ne pas manquer une miette du spectacle, ou du moins, à paraître discret en écoutant la conversation passer à travers les murs du bureau de Thor.

En arrivant dans le hall des curiosités, j'ai la surprise de découvrir que, non seulement, tout le monde à les yeux rivés sur une jeune femme de dos et, qu'en plus, le chef n'a pas réussi à faire entrer l'inconnue à l'abri des regards. L'expression de pure colère qu'il affiche me remplit de joie. C'est encore mieux qu'un café pour me rendre de meilleure humeur.

Je prends appui sur le bureau d'un collègue et observe la scène comme tous les autres.

— Ecoutez, Mademoiselle Benett...

— Non ! Vous vous allez m'écoutez, Monsieur Thornel. Vous avez le choix. Rouvrir de votre plein gré l'enquête sur la mort de ma sœur ou m'obliger à faire appel au procureur de la couronne. Vous ne voudriez pas vous retrouvez dans l'embarras, surtout qu'on ne sait pas ce que la presse pourrait apprendre.

Cette voix. Je n'ai pas besoin de voir le visage de la femme pour savoir qu'il s'agit de Faith, la jumelle d'Hope Benett découverte morte dans son appartement le jour du Victoria Day.

En revanche, je ne comprends pas la raison de sa présence. Elle a eu du mal à accepter la vérité sur le décès de sa jumelle, mais elle a fini par se ranger à nos conclusions. Enfin, c'est ce que je croyais. Je n'ai pas eu de nouvelles depuis environ deux mois. Ce n'est pas comme si elle n'avait pas occupé mon esprit à l'occasion, l'éclairant comme une étoile filante dans la nuit noire. J'ai voulu plusieurs fois prendre mon téléphone pour l'appeler, seulement, je n'avais pas de raisons valables. J'ai déjà transgressé les règles le jour de l'enterrement d'Hope Benett.

Alors, pourquoi venir réclamer la réouverture du dossier ? Et surtout comment pense-t-elle convaincre Thor, ou un procureur de la couronne ?

— Ne me menacez pas, mademoiselle Benett, ça risque de ne pas jouer en votre faveur.

— Oh, mais ce n'est pas une menace, c'est une promesse, crache-t-elle, la tête haute.

Sur ce dernier mot, elle se retourne et son regard croise le mien. Des flammes de rage dansent dans ses yeux alors qu'elle avance jusqu'à ce que son visage se retrouve à quelques centimètres du mien.

— Et vous, vous étiez au courant ? C'est pour ça que vous êtes venu ce jour-là, pour être certain qu'Hope soit enterré et toutes les preuves avec.

Au courant de quoi ? pensé-je, immédiatement.

Mon étonnement doit se lire sur mon visage car l'expression du sien change petit à petit pour s'adoucir. Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche, qu'elle attrape ma main pour y glisser un papier chiffonné, en murmurant un « maintenant, vous savez » avant d'être escortée vers la sortie par deux collègues sous l'ordre de Thor.

Je déplie mécaniquement la feuille entre mes doigts et commence à en lire le contenu en diagonale. C'est un échange de mail entre mon chef et ses supérieurs au sujet de Poulman.

« Alcoolisme. Erreurs. Secret ». Et que personne ne sache ou ne cherche à le contacter.

Merde !

C'est quoi cette histoire ?

— Reprenez le travail au lieu de jouer les commères, hurle Thornel, rouge de colère. Parker, dans mon bureau, tout de suite.

Le ton est sans appel, impossible d'y couper. Sans réellement y réfléchir, je replie le document dans ma main et le glisse dans ma poche avant de donner suite à ma convocation.

— Un problème, chef ? osé-je m'enquérir.

— Juste une pauvre fille...

—...femme, rectifié-je sans même y prendre garde.

Il me toise, le regard noir pour avoir osé l'interrompre.

— Juste une pauvre fille, répète-t-il, comme pour me défier de recommencer, qui n'accepte pas les conclusions de la police.

— Conclusions qui se sont en grande partie appuyés sur les constations du médecin légiste, lui fais-je remarquer.

Poulman a déclaré que la mort d'Hope Benett avait été causée par un arrêt cardiaque, et qu'il n'y avait eu aucune aide extérieure. Il n'y avait pas lieu de continuer d'enquêter, à l'époque. Et maintenant ?

— Tu as quelque chose à me dire, peut-être ?

— Non, préféré-je lui dire, alors que la feuille semble brûler dans ma poche.

— Parfait ! Cette « Benett » est obnubilée, voire obsédée, manipulée par tout ce qu'on voit à la télévision où dès qu'une personne meurt, elle est forcément victime d'un crime.

Ses mains se referment sur le haut du dossier de son fauteuil.

— Ce qui n'est pas le cas, ici, n'est-ce-pas Parker ? termine-t-il d'un ton sans appel qui ne laisse aucune place à la contradiction.

Je me contente d'hocher la tête, allant dans son sens pour le moment.

— Nous sommes sur la même longueur d'onde, tâchons de continuer dans cette voie. Elle veut qu'on ouvre à nouveau l'enquête, on va le faire, mais à notre façon. File voir Hudson et demande lui de signer un nouveau rapport d'autopsie sur Hope Benett. Je veux ce document le plus vite possible sur mon bureau.

— Pourquoi ? ne puis-je m'empêcher de demander.

— Pour couper l'herbe sous le pied à sa foutue sœur, crache-t-il avec véhémence.

En d'autres termes, pour qu'elle ne puisse pu se servir du mail pour faire un recours auprès du procureur de la couronne. Elle ne pourra pas obtenir gain de cause si un autre légiste atteste que la mort d'Hope est naturelle.

— C'est autant dans ton intérêt que dans le mien, ajoute-t-il, interprétant mon silence comme de l'hésitation au lieu d'un moment de réflexion.

Je me rends compte à cet instant qu'il a dû voir Faith me donner la feuille... Comme il a dû me voir lire le mail.

Le « si je tombe, tu tombes » a beau être uniquement sous-entendu, il me donne pourtant l'impression d'être crié dans mes oreilles. Ici, on se soutient, jusqu'à un certain point. La hiérarchie ne se mettrait jamais en danger pour les fourmis insignifiantes que nous sommes.

— Je n'étais au courant de rien, répliqué-je sur la défensive.

— Les journalistes n'en auront rien à faire. Si l'affaire sort au grand jour, tu peux dire adieu à ton poste.

Il a raison.

Quand la presse s'en mêle, les histoires ne se terminent jamais sans dommage collatéraux. Mes supérieurs ne prendront pas la peine de défendre la vérité, ils se contenteront d'offrir ma tête sur le billot et celle de Thor avec. Même si, dans son cas, il le mériterait.

— Nous sommes donc à nouveau d'accord. C'est un jour à marquer d'une croix.

Sur ce dernier mot, je lui tourne le dos et ouvre la porte au moment où il lance un :

Envoie-moi, Lewis. Nous avons une taupe à trouver et il va m'aider à mettre la main dessus. Ceux qui ont la langue trop pendue finissent toujours par avoir des problèmes.

Une phrase qui sonne comme un avertissement déguisé. 

A l'ombre de sa mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant