Chapitre 5 1/3

1 0 0
                                    

Aiden

Mon doigt presse le bouton à côté de la porte qui mène à la salle d'autopsie, déclenchant un étrange concerto de cigales. Dès son arrivée, Hudson a fait changer la sonnerie, qui ressemblait à celle de n'importe quel interphone, pour ce drôle de chant. Soi-disant que la mélodie lui rappelle ses vacances d'été dans la maison familiale dans le sud de la France.

Je ne suis pas encore habitué. Ce n'est que la deuxième fois que mes pas me mènent ici, depuis qu'elle a récupéré le poste.

Poulman, lui, n'avait jamais pris la peine de personnaliser cet endroit, que ce soit en changeant la sonnerie, ou en agrémentant le bureau de décorations inutiles.

N'ayant d'autres choix que de patienter, je m'appuie contre le mur en face, attendant qu'elle se décide à sortir de sa tanière. Hudson refuse qu'on entre sans être invité quand elle joue du scalpel, ce qui me convient parfaitement. Poulman était moins à cheval sur cette règle, mais je préférais ne pas mettre un pied dans la salle d'autopsie. J'ai beau être habitué au sang et aux blessures en tout genre, voir un être humain se faire charcuter en direct me donne la nausée. Je passa le pas de la porte que lorsque je n'ai pas le choix.

Il ne faut pas longtemps avant d'entendre un « entrez » de la part d'Hudson qui m'invite à pénétrer sur son territoire.

Dans le coin de la pièce, une radio diffuse un air de musique pop, pendant qu'elle continue de compter des boîtes de matériels. C'est jour d'inventaire, apparemment. Ouf, rien de malodorant pour le moment.

— Que puis-je pour vous, inspecteur ? me demande-t-elle sans même tourner son regard dans ma direction.

Elle note quelque chose sur la feuille qui traîne sur la table d'examen, tout en battant la mesure en dodelinant la tête de droite à gauche. Elle semble être fan de Taylor Swift.

— J'ai besoin de votre aide, doc.

Elle me jette un regard par-dessus sa monture de lunettes épaisse, laissant ses yeux se promener de ma tête à mes pieds.

— Je n'examine que les morts, ce qui n'est pas votre cas, inspecteur, conclut-elle après sa brève inspection.

— Encore heureux, ne puis-je m'empêcher de répliquer. Et sans vouloir vous offenser, j'espère ne jamais avoir à tester votre table d'autopsie.

Je l'espère aussi. Croyez-le ou non, mais devoir ouvrir le corps de quelqu'un qu'on a connu, ce n'est pas le fantasme des légistes.

Ce que je comprends sans difficulté. J'ai déjà eu le malheur d'enquêter sur la mort d'un ancien camarade de classe du lycée. Une sordide affaire de règlement de comptes sur fond de dettes de jeux. Je ne l'avais pas vu depuis des années et je n'avais jamais été réellement proche de lui, pourtant, ce dossier m'a touché différemment des autres.

— Ce n'est pas pour une affaire personnelle, précisé-je, alors qu'elle recommence à s'activer.

C'est pour un avis professionnel sur un dossier.

— Mes conseils ont un prix, inspecteur.

— Un prix, répété-je en haussant les sourcils.

— Rien est gratuit dans la vie, sourit-elle, amusée.

Elle glisse le stylo sur son oreille, entre les mèches de ses cheveux attachées, avant de croiser les bras sur son ventre par-dessus sa blouse délavée, tout en appuyant le bas de son dos sur la table d'examen.

Hudson est le genre de femme à n'en avoir rien à faire de son allure, optant en priorité pour le confort plutôt que l'élégance. Même lors de la soirée organisée par le département pour fêter sa nomination au poste de légiste, elle a débarqué en jean élimé avec un pull extra-large aux couleurs de son ancienne université.

— On va dire que je vous fais crédit pour aujourd'hui, mais la prochaine fois, il ne faudra pas oublier ma double dose de gourmandise.

— Euh...

Je me mords l'intérieur de la joue pour éviter de dire une bêtise et de la contrarier. Sauf qu'elle doit lire quelque chose sur mon visage, parce qu'elle s'empresse d'ajouter en riant :

— Je parlais d'un café. Et d'un cupcake à la vanille, aussi. Ceux du Mariposa Market sont les meilleurs. Ça ne vaut pas les croissant français, mais il n'y a pas de boulangerie digne de ce nom dans cette ville.

Je lâche un discret soupir de soulagement. Nouer des relations autres qu'amicales entre collègues, ce n'est pas mon genre. Outre le fait que la plupart des flics de l'OPP sont des hommes, les histoires d'amour ou de sexe au boulot finissent toujours par avoir des répercussions désastreuses.

Marché conclu, accepté-je, avec un léger sourire.

— Parfait, dans ce cas, ne perdons plus de temps, enchaîne-t-elle, en trépignant d'impatience. Je déteste faire les inventaires, de toute manière. Qu'est-ce qui vous amène ici ?

— Le chef réclame un nouveau rapport d'autopsie sur Hope Benett.

Hudson se dirige vers son bureau avant de taper quelques mots sur l'ordinateur.

— Hope Benett avec deux « t », c'est ça, lance-t-elle sans quitter l'écran des yeux.

— Oui.

— Pourquoi vouloir un nouveau rapport d'autopsie ?

— Un nouvel élément est apparu dans l'enquête.

Hudson me jette un regard interrogatif par-dessus l'ordinateur, l'air de dire « mais encore ? ».

— Je n'en sais pas plus, me contenté-je de répondre en haussant les épaules.

Elle me fixe un instant, comme si elle tentait de percer tous les secrets de mon esprit, puis baisse la tête en lâchant un « Je vais faire semblant de vous croire ».

Pendant qu'elle lit les grandes lignes du rapport rédigé par Poulman, je songe, un instant, à lui révéler la vérité. Dissimuler des éléments ou mentir par omission à des collègues me noue les entrailles, mais en même temps, ça pourrait la mettre dans une situation inconfortable à son tour.

Et puis, même si Hudson paraît être honnête et être en mesure de garder des secrets, elle est nouvelle. Je ne la connais pas assez pour être certain de pouvoir lui faire confiance. Rien n'est sûr et, dans cette histoire, il vaut mieux être extrêmement prudent.

Finalement, mes lèvres restent closes, le silence est règle d'or.

— La mort a été classée comme naturelle, lance-t-elle par-dessus l'ordinateur. L'enterrement a dû avoir lieu depuis un moment.

Elle se redresse, détachant son regard de l'écran pour le poser dans le mien.

— Je suis douée, inspecteur, c'est un fait. Il y a des dizaines de personnes qui pourront vous le dire. Je ne suis pas pour autant magicienne, et je ne peux pas faire d'autopsie sans corps.

Cette réaction si cartésienne ne m'étonne guère.

— Il doit rester des échantillons dans les scellés, non ? Et il y a aussi les photographies du corps.

— En gros, vous me demandez d'établir un rapport à partir d'anciens éléments.

— Le chef aimerait éviter une exhumation.

— Il aimerait éviter ou il n'a pas eu l'autorisation ?

Sa question posée avec une innocente toute feinte m'arrache une grimace.

— C'est bien ce que je pensais, grommelle-t-elle entre ses dents. Il y a des chances que mon rapport ne concorde pas avec celui de l'ancien légiste ?

Ce sera à vous de me le dire, doc.

— Ça, c'est une manière de dire « oui ».


Police Provincial de l'Ontario.

A l'ombre de sa mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant